jeudi 26 septembre 2024

Hendrik ANDRIESSEN - Symphonie n°3 (1946) - David PORCELIJN (2015) - par Claude Toon


- Dis donc Claude, ça fait un bail que tu ne nous as pas parlé d'un compositeur inconnu du blog et sans doute un nordique vu le patronyme du monsieur…

- Pas nordique Sonia… Néerlandais ou Hollandais, au choix ! Les Pays-Bas font partie des nations européennes qui n'ont pas connu une activité créatrice très riche en composition musicale, ou du moins aucun musicien n'a atteint une postérité marquante…

- Les néerlandais ne sont pas mélomanes, il y a une explication à ce phénomène ?

- Non ! rien que je connaisse. Par contre nombre de grands instrumentistes et orchestres dominent l'univers classique.

- Andriessen a vécu au XXème siècle et la patrie d'Anne Franck a beaucoup souffert de l'occupation nazie, il y a-t-il un lien avec une production modeste ?

- Tu mets le doigt sur un sujet délicat que je vais aborder avec le plus d'objectivité possible.

 

Hendrik Andriessen  et son fils

La Hollande ne nous a légué aucun Mozart, Bach, Vivaldi, Debussy pour citer les quatre nations les plus prolixes musicalement parlant. César Franck était belge.

Et, présentés dans le blog, on ne compte plus les compositeurs d'envergure venus de Scandinavie : Nielsen au Danemark, Grieg en Norvège, Atterberg en Suède et pour la Finlande : Jean Sibelius, le plus célèbre de tous.

L'Angleterre n'est pas en reste avec de nombreux talents, tel Vaughan-Williams dont nous avons écouté la symphonie "Antarctica" il y a un mois, mais l'ignorantisme français ne fait rien, tant au concert qu'au disque pour promouvoir leurs musiques engagées et poétiques (Bax, Delius, Elgar…). Visiter l'index "musique classique", d'autres noms, d'autres styles vous surprendront autant que les ouvrages des célébrités.

Nous écoutons souvent dans ces pages des phalanges comme le Concertgebouw d'Amsterdam, classé 3ème meilleur orchestre symphonique du monde. D'autres, comme celui de Rotterdam ou de La Haye sont de premier ordre. Côté baroque, on ne fera pas l'impasse sur l'Amsterdam Baroque Orchestra créé par l'organiste et maestro Ton Koopman, disciple de Gustav Leonhardt pionnier du renouveau baroque, claveciniste et chef lui aussi natif d'Amsterdam et complice du berlinois Nikolaus Harnoncourt. Et pour conclure, plusieurs disques commentés dans ces pages furent gravés par Franz Brüggen qui en plus d'avoir ressuscité le jeu des flûtes à bec créa divers ensembles dont l'Orchestre du XVIIIème siècle. Mon choix pour le billet consacré à la Messe en si de Bach fut son enregistrement, un must parmi une discographie pléthorique…


Gésina Vester - style naturaliste

Hendrik Andriessen nait en 1892 à Haarlem, ville importante du nord de la Hollande. La famille s'implique intensément dans les métiers artistiques. Son père est organiste et sera le premier maître de son fils. Sa mère, Gésina Vester est peintre (1857-1939). Son style initial peu moderniste se rapproche de celui d'un Corot tendance naturaliste (elle peindra de nombreux troupeaux de vaches 😊) puis évoluera vers une forme évoquant un fauvisme sans la brutalité habituelle du trait de pinceau de ce courant pictural. Les deux tableaux issus des deux périodes et illustrant ce billet ne sont pas choisis au hasard. Ils ont pu influencer l'ouverture de la 3ème symphonie… Les frères et ses enfants de Andriessen hériteront de l'appétence familiale pour les arts musicaux et plastiques…

Après quelques initiations musicales avec son père, il poursuit son apprentissage de l'orgue avec un professeur de Haarlem, Louis Robert. Hendrik Andriessen deviendra l'un des rares élèves du virtuose et pédagogue hyperactif. Louis Robert sillonne l'Europe et deviendra plus tard organiste et professeur à Baltimore.

Il s'essaye sans conviction au métier de journaliste avant d'intégrer le Conservatoire d'Amsterdam et en 1913 succède à son père à la tribune de l'orgue de l'église Saint-Joseph de Haarlem. 


Gésina Vester - style postimpressioniste

Dès 1913, commence une carrière de professeur et de compositeur. Andriessen le catholique se passionne prioritairement pour la musique sacrée. Pour l'orgue - bien sûr - son catalogue comprend 23 pièces : dont quatre chorals inspirés par ceux de César Franck par leur dimension méditative.

Cette production d'œuvres religieuses liée à son poste d'organiste ne limitera en rien une imposante création dans les autres domaines : la musique de chambre pour divers ensemble, piano et soliste (corde, vents), et la musique symphonique, là aussi tant pour des pièces concertantes que pour des symphonies de forme traditionnelle.

La composition des symphonies, comme chez Brahms, débute tardivement, en 1930 pour la 1ère symphonie, Andriessen approchant la quarantaine. Le genre exigeant en durée de travail le conduira à n'écrire des partitions orchestrales que tous les dix ans environ, la 3ème symphonie écoutée ce jour date de 1946, et son parcours s'achèvera en 1954 par la 4ème et en 1961 pour la Symphonie concertante. Andriessen composera donc dans tous les genres, mais peu dans l'art lyrique, juste deux opéras oubliés.  Il ne se soumettra à aucun style moderne particulier, n'appartiendra à aucune école telle la seconde école de Vienne, celle du sérialisme. Il l'expérimenta néanmoins. Peut-on parler de postromantisme ? Oui et non, et au sein d'un univers musical classique souvent emprisonné dans les dogmes, d'époque en époque, cette autonomie justifie de découvrir son œuvre tout à fait original. Il se rapproche par cette liberté de ses confrères anglais dans ses recherches. Début des années 70' Andriessen octogénaire abandonne progressivement la composition. Il disparait en 1981.


Camp d'otages de Michel-Gestel

En mai 1940, la Wehrmacht déferle en Hollande qui est vaincue en une semaine, Rotterdam est fracassée par les bombardements. Contrairement aux caciques pétainistes tellement collaborationnistes qu'ils deviendront complices d'Hitler, le micro parti nazi NSB néerlandais ne fait pas recette et une résistance active se mettra en place, organisant même une grève générale en février 1941 pour protester contre l'arrestation des juifs, deux autres en 1943 et 1944 ! En France, nous aurons la rafle du Vel d'hiv parmi d'autres, et Drancy, antichambre d'Auschwitz. Berlin délègue l'ex chef du parti nazi autrichien pour mater le pays plat, Arthur Seyss-Inquart. Cette brute sadique est efficace, tout comme Hans Frank en Pologne ou Heydrich en Tchécoslovaquie ; son programme :  pillage économique, persécutions antisémites et déportations, famine… etc.… mais la corde au procès de Nuremberg !  Seyss-Inquart met en place deux camps d'otages sélectionnés parmi "l'élite" pour ralentir l'organisation de la résistance, à Saint-Michel-Gestel et Haaren. Andriessen y sera incarcéré près d'un an. En 1958, il recevra le prix de la Fondation de Résistance des Artistes 1942-1945. 

Son frère, Mari Andriessen, sculpteur de génie, qui cachera des juifs et des armes dans son atelier, fut lauréat de ce prix en 1955. Mari sculptera une frêle statue d'Anne Franck placée devant la maison où l'adolescente vécut recluse pendant deux ans. (Photo ci-dessous)

Mengelberg. Au centre Seyss-Inquart le tueur d'Anne Frank

Ô, tous les hollandais, intellectuels ou pas, n'auront pas ce comportement héroïque, loin de là. Le maestro Wilhelm Mengelberg est directeur du Concertgebouw depuis 1895 ! Admirateur de Bach et des musiques modernes (y compris étiquetées dégénérées : Mahler au hasard). Il fréquentera assidument Seyss-Inquart et sa clique, portant des toasts aux allemands tout en évitant la mort à une cinquantaine de juifs. Comprenne sa logique qui pourra. D'un talent comparable à Furtwängler, il est déchu de son poste et de tous ses droits civiques en 1945 et mourra bien amer en 1951 n'ayant rien regretté…

Dès le D-day en juin 1944 et l'invasion de l'armée rouge à l'Est, une certitude se forge dans l'esprit des artistes. L'Allemagne nazie s'effondre mais le bilan humain et matériel de la guerre du Führer sera apocalyptique. Les compositeurs ne restent pas insensibles face à ce désastre et diverses partitions verront le jour dans un état d'esprit qui peut se traduire par "requiem pour une civilisation occidentale anéantie". Je pense, dès fin 1944 à Metamorphosen du bavarois Richard Strauss, suspecté de complaisance envers le régime nazi, ce qui est faux quand on étudie sans a priori le sujet. Plus tard Dmitri Chostakovitch écrira son 8ème quatuor après une visite de Dresde carbonisée et sa 13ème symphonie sous-titrée Babi Yar*, en hommage aux martyrs juifs de tout temps dont Anne Frank, la petite hollandaise morte à Bergen-Belsen… Et n'oublions pas l'anglais Vaughan-Williams et sa 6ème symphonie. Des œuvres majeures commentées et à écouter dans le blog (Index).

Je m'interroge en examinant la structure, la forme et les timbres de la 3ème symphonie de 1946, si celle-ci ne s'inscrit pas dans ce courant de témoignage.

(*) Babi Yar : Ravin ukrainien où, en 1941, 100 000 à 150 000 juifs, tziganes et prisonniers russes furent assassinés par balles par la SS.

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Mari Andriessen et sa sculpture d'Anne Frank

Andriessen compose la 3ème symphonie en affirmant lui aussi son enthousiasme de voir l'indicible guerre et ses atrocités enfin terminée. Un vent de nostalgie soufflera néanmoins… difficile d'exorciser ses angoisses de résistant. L'ouvrage s'affiche comme moins désenchanté que ceux de R. Strauss ou Chostakovitch. Pour le second, l'ignominie de la politique répressive et antisémite stalinienne succède à celle des nazis. On y distingue sans ambiguïté un réquisitoire musical envers toutes les idéologies tortionnaires. 

La 1ère symphonie d'Andriessen opposait gravité et facétie et montrait la maîtrise acquise tant dans le domaine du contrepoint que des jeux de tonalités, de la force expressive due au langage plutôt brute (désopilant solo de basson dans l'allegretto).

La 2ème symphonie regardait vers le lointain passé des suites baroque du début siècle des lumières. Chez cet homme à l'humanisme volontariste qui, en 1937 devait réellement s'inquiéter des bruits de bottes et des vociférations bellicistes outre Rhin, la symphonie dévoile une bonhomie assez inattendue. La 3ème symphonie reprend ce plan en quatre mouvements portant des sous-titres puisés dans le vocabulaire des concertos grosso de Haendel ou des quatre ouvertures de Bach

L'orchestration pourra surprendre car elle recourt à l'effectif romantique de la fin du XIXème, plus riche qu'à l'époque beethovénienne : 3 flûtes, 2 hautbois, 2 clarinettes, 2 bassons, 4 cors, 3 trompettes, 3 trombones, 1 tuba, timbales, harpes, cordes. La nostalgie d'une culture piétinée par des butors n'est pas à exclure. Andriessen compose avec une écriture plus avant-gardiste.

J'ignore quand exactement et par qui l'ouvrage fut créé vers 1946 (peut-être Eduard Van Beinum qui succéda à Mengelberg en 1945 comme chef du Concertgebouw d'Amsterdam, il en était son ancien assistant). Le français Jean Fournet très présent au pays des tulipes l'interprétera souvent et sera le premier à la confier au microsillon. Avant 1950, la symphonie sera créée dans de nombreux pays (enfin pas en France). Bien que la durée d'interprétation soit de 25 minutes, la symphonie est pourtant la plus longue du compositeur 😊.


David Porcelijn

1 – Ouverture : Dans un contexte de retour au genre baroque, on peut s'attendre à l'écriture respectant la formule "ouverture à la française" de l'ami Lully : trois sections : grave – fugato – da capo. Tous les opéras de Haendel y recourent, la structure fera fureur jusqu'à l'abandon par Rameau, lassé de la suprématie des normes musicales italiennes. À partir des époques classique ou romantique, le mot "ouverture" appliqué à l'opéra ou encore à une pièce symphonique isolée désigne une structure libre récapitulant la thématique essentielle de l'ouvrage qu'il introduit. (Quelques mesures ou vingt minutes, c'est selon.)

Andriessen combine les deux structures dans son premier mouvement de 6 minutes. À n'en pas douter, les arpèges de harpes, le thrène féerique aux cordes, les appels lointains  et guillerets des trompettes et cors, petits motifs repris aux bois expriment la sérénité retrouvée après des années terribles, on notera l'orchestration colorée et limpide. Les séquelles du cauchemar nazi encore si présentes dans les esprits meurtris se traduit à [0:50] par l'émergence tragique d'un climax furieux entre cuivres et timbales. On pourra distinguer l'influence de la forme sonate usuelle, un thème principal sinuant entre les pupitres. L'expression des conflits de sentiments soulignée par une orchestration versatile est féérique. L'écriture très nuancée (au sens solfège) oppose parfaitement quiétude et cris d'effroi au sortir d'un mauvais rêve…

 

2 – Sonate : D'une durée équivalente à l'ouverture, je vois dans cette "sonate" un récit de l'engagement contre l'oppression, un conflit conclu par une liesse musicale. Là encore la composition s'impose une grande variété de tons, que ce soit le jeu concertant et ludique entre pupitres (les fanfares) et les rugosités dans le discours. [3:41] Après le déchaînement central, la reprise de la thématique initiale dans une orchestration renouvelée justifie le sous-titre de sonate…


3 – Sarabande : De nouveau une notation héritée de l'époque baroque. De la danse d'origine espagnole très à la mode comme mouvement lent à l'époque baroque, Andriessen conserve la forme alanguie et noble. Est-ce une méditation sur les temps de reconstruction, d'apaisement ? Il construit cet adagio à la manière des premières mesures de l'Ouverture… Certains pourront entendre une supplication (solo insistant de trompette repris au violons), rien d'étonnant chez ce compositeur adepte de spiritualité. Je me dois d'insister sur la richesse de l'orchestration. Le baroque use peu des tuttis grandioses, au contraire de nombre d'ouvrages romantiques requérant comme ici un effectif important (Bruckner). Andriessen conçoit donc tout à fait sa partition dans l'esprit des suites et arias des baroqueux.

 

4 – Fugue : Courte, dense et enflammée, la fugue (la forme la plus essentielle du baroque… il n'y a pas à dire... merci M. Bach !) montre Andriessen tournant manifestement la page des années de ciels noirs. Sa 4ème symphonie s'inscrira dans un courant artistique moderne.

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David Porcelijn né en 1947 dirige et compose principalement dans son pays natal : la Hollande. Il est diplômé en flûte traversière et baroque et en direction d'orchestre du conservatoire de la Haye. Il a dirigé nombre d'orchestres de premier plan en Europe, au Mexique et en Australie. En plus du répertoire traditionnel, Porcelijn se passionne pour la musique contemporaine et celle de compositeurs bizarrement oubliés du XXème siècle. Sa discographie reflète cet intérêt, au hasard l'enregistrement de Éclairs sur l'Au-Delà... immense symphonie mystique difficile d'accès d'Olivier Messiaen avec l'orchestre de Sydney !

Pour le label CPO, il a signé une intégrale orchestrale en 3 CD de l'œuvre symphonique de Andriessen également édité en albums isolés. Il y eut une première gravure de Jean Fournet en 1968 complétée par la vision du chef français des symphonies N°1 et N°4 dans une anthologie. La 2ème  fut dirigée par Willem Van Otterloo en 1969.

À propos du CPO, David Porcelijn, pilier du label allemand et d'autres étiquettes en contrat avec les phalanges dirigées, a enrichi le catalogue d'une myriade d'interprétations d'ouvrages orchestraux de compositeurs à découvrir… Des sujets de chronique futures…

- Soniaaaaaaaaaaaa... Soniaaaaaaaaaaaa... il faudra préparer rapidement des fiches-chroniques pour des petits nouveaux : Christian Sinding, Richard Meale, Peter Sculthorpe, Nigel Westlake et Matthew Hindson, Kurt Schwertsik, Tristan Keuris ; d'autres néelandais : Hans Kox, Julius Röntgen, Henk Badings et Jan van Gilse ; le slovaque Ľudovít Rajter. Ah... et puis Jeff Hamburg, Isidora Žebeljan, Jacqueline Fontyn et Martin Smolka, Ján Levoslav Bella et………….

- Claude… je me sens maaal….

- Luuuuuuc, Paaaaat….. Accourez avec le défibrillateur… Sonia fait un malaise, j'ignore pourquoiiiii….. vite…..


Écoute au casque ou avec des enceintes additionnelles plus que conseillée.

Le son des PC, sauf exception, est vraiment une injure à la musique…


INFO : Pour les vidéos ci-dessous, sous réserve d'une écoute directement sur la page web de la chronique… la lecture a lieu en continu sans publicité 😃 Cool. 

 


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