vendredi 13 septembre 2024

LE ROMAN DE JIM de Arnaud et Jean Marie Larrieu (2024) par Luc B.

 
 
Aux States il y a les frères Coen, en Italie les frères Taviani, en Belgique les frères Dardennes, chez nous on a les frères Larrieu. Arnaud et Jean Marie. Qui nous régalent depuis 25 ans, enfin… pas toujours, avec un cinéma parfois haut perché, fantaisiste, un regard biaisé, hors des sentiers battus. 

Pour mémoire, il y a eu PEINDRE OU FAIRE L’AMOUR, LE VOYAGE AUX PYRENEES (miracle ! ils sont nés à Lourdes), LES DERNIERS JOURS DU MONDE qui m’avait fortement impressionné, ou L’AMOUR EST UN CRIME PARFAIT, qui lui par contre m’avait mis très en colère ! Les revoilà avec LE ROMAN DE JIM, un très joli film, dans lequel on retrouve cette veine hédoniste, marqueur de leur cinéma. Et qui bénéficie comme souvent d’un casting remarquable, cet fois dominé par Karim Leklou

Il joue Aymeric, un gars sympa. On n’arrête pas de lui dire, tu es gentil. Dans les années 90, il accepte de faire le guet pour une bande de bras cassés, c’est lui qui se fait choper plus tard par les gendarmes. Il aurait pu dénoncer ses complices mais non, ça n’se fait pas. Il endure la taule. Aymeric adore la photo, mais comme il n’a pas de fric, il ne fait pas développer les pellicules. Le générique est constitué d’image en négatif, on en verra souvent dans le film, belle idée. Les premières séquences du film sont racontées à l’économie, en un plan tout est dit, tout s’enchaîne à merveille, l’intrigue se déroule sur 20 ans (le maquillage pour rajeunir l'acteur est tout de même plâtré à la truelle...). 

Ce n’est pas un cinéma bavard (on y reviendra), les images en disent plus. Il y a des plans apparemment tout simples, mais une lumière, un décor, un mouvement de caméra nous fait basculer dans une ambiance qui parfois frise le fantastique, des néons, des guirlandes d’ampoules…

Aymeric aime beaucoup prendre en photo les femmes avec qui il couche. Elles se sentent belles, ça tombe bien, elles le sont. Le gars n'est pas un apollon, mais les filles l’adorent. Très belle scène au début, grivoise et poétique, dans une chambre d’hôtel « le petit déjeuner le plus tard possible s’il vous plaît » avec Léa (Suzanne de Baeque) où la demoiselle exige le noir complet avant de se dessaper. Il fait aussi de très belles photos de Florence, nue, une ancienne copine rencontrée au hasard, elle est enceinte de six mois, ils couchent ensemble dix minutes après. Positions acrobatiques : « j’ai l’impression de faire l’amour avec un tableau cubiste »

Chez les frères Larrieu, la chair est belle, jouissive, naturelle, sans fard. Florence vit dans le Jura, une bicoque en tôle, elle plane un peu. Y’a une scène où elle recadre sa meilleure amie (qui ne le sera plus après ça!) qui ose s’interroger sur son mode de vie. Quand Florence accouche, Aymeric est là. Le gamin, Jim, est déclaré de père inconnu, mais son papa on le sait, ce sera Aymeric. Le gars qui a engrossé Florence s’appelle Christophe (Bertrand Belin, qui signe aussi la musique du film), 7 ans plus tard le voilà qui débarque, dépressif, femme et enfants morts récemment dans un accident de voiture. On l’accueille à la maison, une fois, deux fois, la pièce rapportée prend de plus de plus de place. Doit-on dire la vérité au gamin ? Christophe et Florence semblent vouloir renouer des liens, Aymeric gagne un prix de consolation, il sera officiellement désigné comme le parrain du gamin. Le pire est à venir…

LE ROMAN DE JIM, d’après le roman de Pierric Bailly, sous des dehors solaires et sensibles, voire légers, et en fait terriblement tragique. On est en droit de verser sa petite larme. Le départ à l’aéroport nous renvoie au KID de Chaplin, finalement pas si loin dans l’esprit. Film solaire car en grande partie filmé en extérieur, à la campagne, les ballades en forêts, les premiers pas du gamin dans les herbes hautes, on joue au cowboy et aux indiens. Les Larrieu filment magnifiquement la nature, rien d’ostentatoire, mais immédiatement on a envie d’y être. Comme on tombe amoureux de toutes les femmes que croise Aymeric. La dernière ne fait pas exception, Olivia, une prof qui aime danser sur de la techno à s’en faire suer par tous les pores, c’est Sara Giraudeau, la douceur incarnée. 

Il est question de paternité, de couple pas comme les autres, de vie décalée, de communauté (retour au village, entre-aide) de ce personnage que tout devrait mettre en colère, mais qui se résigne, accepte, endure sans piper. Et le spectateur de s'interroger : est-il naïf, est-il pris pour un con, toutes ces années, est-ce que les dés lancés sur le tapis vert en ont tout simplement décidé autrement, ou est-ce sa lâcheté qui est seule responsable (« ce que tu as fait, toi, je n'ai pas eu le courage de le faire » dit-il à son fils, plus tard) ?

Il y a une séquence superbe qui montre cette économie de mots dont je parlais. Jim est adulte, revoit Aymeric, ils partent en randonnée, l’explication va avoir lieu. Mais non, juste une simple réplique : « Tu sais, y’a pas de Samantha ». Nous, spectateurs, on comprend de quoi il s’agit, on a l’historique, les données (je ne vous raconte pas tout…), mais ces quelques mots suffisent à Jim pour laisser éclater sa rancœur, comme s’il n’attendait que ça, laisser son père seul sur un pont suspendu au dessus du vide. L’abandonner à sa peur, à son vertige, comme lui-même en a souffert, lorsqu'ils ont été séparés.

Les frères Larrieu traduisent en image ce qu’à pu ressentir le gamin toutes ces années. On aurait pu avoir de longues scènes dialoguées en mode mélo, elles auront sans doute lieu, plus tard, mais les réalisateurs les laissent hors champs, parce qu’une image parlent davantage. Comme ce dernier plan où s’inscrit le générique de fin, ils sont tous dans le champ de la caméra (choix de cadre pas anodin), forcément, ça crée des liens. LE ROMAN DE JIM est un film qui suscite les interprétations, face à cet homme qui respire la gaîté et la tristesse résignée. Karim Leklou traduit en un regard, une intonation, la détresse comme le bonheur infini. Un très beau portrait, un très beau film.


couleur - 1h40 - format 1 :1.85 
 
 
 




 

2 commentaires:

  1. Shuffle Master.14/9/24 08:34

    "La chaire est belle", ce sera pour le biopic sur l'abbé Pierre.

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    1. Excellent ! Et je vais de ce pas me flageller pour ce "e" honteux ! (merci)

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