vendredi 9 août 2024

OLIVIER WIEVIORKA "Histoire totale de la Seconde Guerre Mondiale" (2023) par Luc B.

Ce bouquin de Olivier Wieviorka est un sacré pavé, près de 900 pages, sans les annexes, mais sa lecture est passionnante. Le sujet a pourtant été maintes fois rebattu, les publications sur la Seconde Guerre Mondiale ne manquent pas. On parle ici de « L’histoire totale » au sens où l’auteur intègre différents aspects, militaires bien sûr, mais aussi politiques, sociologiques, économiques. Et logistiques.

Attaque de Pearl Harbour

On connaît cette phrase du général de Gaulle : « L’intendance suivra… ». Sous-entendu, aux militaires la tâche d’imaginer les plans de bataille, la stratégie, quant aux moyens mis en œuvre pour y parvenir, bah… l’intendance suivra. Et ben non, justement ! Beaucoup de batailles ont été gagnées non pas parce que tel ou tel était plus combatif, inventif, valeureux, mieux armé, mais parce qu'à l’arrière, la logistique a suivi, en soutien. C’est bien d’avoir des fusils, des canons, des chars, des avions, mais il faut aussi les munitions qui vont avec, l’essence pour faire avancer les engins, les pistes pour décoller et atterrir (les bases américaines dans le Pacifique, les débarquements en Sicile, Provence, Normandie).

Les munitions, il faut les produire et les acheminer à des soldats qu’il faut aussi nourrir, héberger, soigner (blessures, dépressions, maladies – vénériennes – et autres traumas). Au-delà des strictes opérations militaires, Olivier Wieviorka décrit l’envers du décor, les coulisses. Pour cela il s’appuie sur des sommes de chiffres, de statistiques, d'études réalisées sur le moment ou plus tard. On peut savoir le nombre de cartouches tirées tel jour, le nombre exact de soldats engagés dans chaque camp, les morts, les blessés. Le nombre et types de chars, les plus légers qui vont plus vite mais dont la tourelle n’excède pas 90°, les mieux blindés capables de résister à tel obus, mais qui avalent deux fois plus de diesel, donc un champ d’action limité. Toutes ses données techniques expliquent beaucoup de choses.

Bataille de Stalingrad

Ah la discipline militaire ! Tout noter, archiver, les colonnes de chiffres (les allemands étaient champions pour ça), une mine d’informations pour les historiens, qui à l’instar d’une démonstration mathématique pour prouver tel phénomène physique, peuvent expliquer une victoire ou une débâcle.

Ainsi, quand on lit les données sur Pearl Harbour, on se rend compte que si l'attaque surprise a été un traumatisme sur le plan psychologique, politique, militairement parlant, c’était peanuts. La destruction de Pearl Harbour n’a en rien impacté la force de frappe américaine. Il y a eu des victimes bien sûr, mais la plupart des navires bombardés étaient de vieux cuirassiers à deux doigts de la retraite, seuls deux bâtiments en état ont été endommagés, et trois mois plus tard, ils reprenaient la mer.

Churchill et Eisenhower

Facile à dire après coup, mais en regardant strictement l’aspect logistique et organisationnel, on pouvait savoir que les allemands ne gagneraient pas à Stalingrad. Quand on parle de centaines de milliers d'hommes engagés, voire de millions, en réalité, 25% des troupes ont réellement combattu en première ligne, tout les autres constituaient l'intendance, le génie, la cuisine, les médecins, les mécaniciens, les ingénieurs, les charpentiers, les maçons, l’administratif… Un des intérêts de ce bouquin est de prendre du recul, observer les faits dans toutes leurs composantes.

Rommel en Afrique du Nord

Si le récit est chronologique, l’auteur fait souvent des pauses, pour parler économie, sociologie, en quoi la culture ou l’éducation japonaise (par exemple) explique leur stratégie militaire de conquête. Comment la société anglaise a été impactée par les bombardements qu’elle a subis (déplacement massif de population, cohabitation difficile entre citadins et ruraux). On ne peut pas aborder la Seconde Guerre Mondiale sans évoquer les politiques coloniales, ce pourquoi cette guerre a été justement mondialisée. L’auteur fait le point de la situation, les typologies n'étaient pas les mêmes partout. Un chapitre est consacré au travail obligatoire, à la main d’œuvre, aux politiques d’occupation. La Collaboration avec l’Allemagne n’a pas été la même en France, au Danemark ou en Hongrie, parce que l’Allemagne s’est adaptée à chaque pays conquis en fonction des administrations locales, des gouvernements, des infrastructures, s'est appuyée sur des idéologies compatibles. Le Japon a fait pareil dans tout le sud asiatique.

Un chapitre est consacré aux mouvements politiques, aux nationalismes, aux théories racistes, aux pogroms, à la déportation ou l’extermination des peuples, à la Shoah, qui n'était pas un point de détail, mais une guerre dans la guerre, qui n’interférait pas sur le terrain strictement militaire de l’Allemagne, deux politiques indépendantes, avec ses propres logistiques.

Olivier Wieviorka fait aussi des allers-retours dans la chronologie générale. Il résonne par séquences. Plusieurs chapitres seront consacrés à la guerre sur le sol européen, l’auteur y déroule le fil des évènements, puis on repart deux ans en arrière pour aller en Afrique du Nord, on remonte dans les années trente quand le théâtre des combats se déplace dans le Pacifique, et la politique d’extension coloniale du Japon, l’invasion de la Chine. On en parle assez peu de la Chine, dans la Seconde Guerre Mondiale, après l’Union Soviétique c’est le pays qui dénombre le plus de victimes, 14 millions, essentiellement des civils. Car cette guerre, contrairement à la Première Guerre Mondiale, a tué beaucoup plus de civils que de militaires, ce qui a engendré des mouvements de population inédits.

Joukov

Cette construction du récit permet de bien comprendre que la guerre était partout à la fois. La première débâcle de Stalingrad est contemporaine à trois jours près de Pearl Harbour. Stalingrad, bataille restée célèbre, symbolique, racontée au cinéma, n'aura pas été si décisive que ça, au contraire de celle de Koursk en juillet 43, qui explose les compteurs en termes d’engagement matériel et humain, en pertes et dégâts, et en conséquences pour l’Axe. Les Allemands devaient être sur tous les fronts, en Lybie, en Grèce, faire barrage au débarquement en Sicile, scruter la Normandie tout en contrant les percées soviétiques. 

Autre aspect assez passionnant, les erreurs commises. Ce conflit a été une suite ininterrompue de maladresses, voire d’incompétences militaires ou politiques. Pourquoi le Japon a-t-il manigancé le bombardement Pearl Harbour, cible non stratégique, ça n’a aucun sens ! L’auteur montre que certaines décisions ont été totalement improductives. Hitler martelait à ses généraux de ne jamais retraiter, et ce sont des centaines de milliers d’hommes qui sont morts pour rien alors qu’ils auraient été plus utiles ailleurs. Ou cette folie de Staline de faire fusiller systématiquement ses officiers soupçonnés de traîtrise, laissant des millions de troufions sans commandement, sans intermédiaire entre le haut commandement et la base.  

Débarquement en Normandie

Pareil côté Alliés. Churchill et Eisenhower n’avaient pas la même vision du conflit. Aux Etats Unis, le président Roosevelt laissait les décisions militaires et stratégiques à Eisenhower, mais Churchill était à la fois chef de gouvernement et chef de guerre, et il tenait à son empire colonial. Et que dire de Montgomery, qui s’était fait une belle réputation en Afrique du Nord face à Rommel (lui-même électron libre) à s’en faire éclater l’égo, et qui lors de la campagne de Normandie et ses suites a accumulé les bévues, au grand désespoir des américains. 

On se rend compte que si les pays de l’Axe s’étaient contentés de leurs premières prises de guerre, les avaient consolidées, si le Japon n’avait pas voulu étendre son influence jusqu’en Russie, en Inde, l’issue de la guerre aurait pu être différente. Parce qu’encore une fois, livrer bataille à 3000 km, nécessite de fournir des hommes, du matériel, donc ouvrir et sécuriser des accès. Et il faut un vivier humain énorme. Expédier de force tous les hommes entre 18 et 50 ans se battre, c’est bien joli, mais qui reste au pays pour faire tourner les usines, et donc l'économie ? Si vous enrôlez les paysans, qui cultive les champs pour nourrir la population civile (qui du coup demande des comptes et se rebelle) et nourrir les soldats partis se battre ? 

Et on apprécie la soixantaine de cartes, qui décrivent mouvements et positions des uns et des autres, parfois détaillées (les îles du Pacifique, les quartiers de Stalingrad). Et ce qui ne gâche rien, le style d’Olivier Wieviorka est agréable à lire, qui ne nous assène pas des vérités, ne nous prend pas de haut, même si on peut se noyer sous la tonne de données chiffrées, qu'il suffit de lire en diagonale.  

Cette HISTOIRE TOTALE DE LA SECONDE GUERRE MONDIALE est un travail colossal, une synthèse qui englobe énormément d’aspects, et qui me parait être objective dans la vision globale du conflit.  


10 commentaires:

  1. Shuffle Master.9/8/24 20:25

    Espérons qu'il est moins gonflant que son frère Michel, le sociologue de services.

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    1. A part une accumulation de chiffres et données qui confine à la maniaquerie, parfois, et dont le vulgum pecus se fout un peu, non, la lecture n'est pas gonflante. Mais faut aimer ce genre...

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    2. Shuffle Master.10/8/24 08:55

      OK, et tu as avalé ça en combien de temps? Sur la plage?

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    3. Oh non, trop lourd à porter. Lu en début d'année, pas d'une traite, entrecoupé de quelques polars... Mais ça se lit vite car on a hâte de connaitre la fin !

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  2. Tu as du être fachement surpris par la fin de l'histoire !!!! J P

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    1. Pas de mariage ni de gosses, pas franchement de happy end quand on pense à la suite de l'intrigue qui s'annonce peu réjouissante !

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  3. Ouais c'est sûr ! Lu énormément de littérature sur la seconde guerre mondiale et particulièrement sur les combats de 44 en Normandie. Ce dernier ouvrage je risque de le trouver redondant ! Si c'est pour lire que Montgomery a accumulé les bévues pendant la campagne de Normandie, Villers Bocage, les nombreuses opérations avortées pour prendre Caen, sans compter le désastre de Market Garden en septembre en Hollande ! Je pense que je vais en rester là ! Jean Pascal

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  4. Probablement plus intéressant que tous les films hollywoodiens sur le sujet 😉👍
    Je présume que l'intérêt financier de certaines sociétés - voire état - n'y est pas mentionné (cela aurait alourdi le bouquin)

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    1. Si tu fais allusion à quelques "profiteurs" de guerre, c'est mentionné dans les passages qui concernent l'aspect économique / financier. On peut difficilement en faire l'impasse. Mais il faudrait effectivement un bouquin entier sur le sujet !

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    2. C'est déjà bien d'en parler

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