mercredi 10 juillet 2024

Joe WALSH " You Can't Argue With a Sick Mind " (1976), by Bruno

 


     C’est un euphémisme de dire que Joe Walsh est un sacré personnage. Vouaille.

     Non mais, il convient de rappeler que ce monsieur, Joseph Fidler Walsh, qui, a priori, avec son air détaché, un peu dégingandé, comme en constant dilettante, commence fort, à 21 ans, en 1969, avec le premier album de James Gang, « Yer’ Album ». Le suivant, le formidable « James Gang Rides Again », réalisé quelques mois plus tard, fait encore plus. Quasiment l'album d'un groupe mûr, d'expérience. Cela tout en poursuivant ses études (il ne devait pas être trop présent, non plus – c’est suite à la fusillade à l’université de Kent, le 4 mai 1970, choqué de voir les services de l'ordre ouvrir le feu sur des étudiants, qu’il arrête définitivement les études). Alors que le trio de Cleveland gagnait en notoriété, il a la sagesse et le courage de tout abandonner avant de succomber au poids d’une pression de plus en plus forte. Un choix qui aurait été aussi encouragé par un sentiment d’insatisfaction au sein d’un groupe qu’il aurait alors considéré limité. A vérifier, d’autant qu’il refuse aussi la proposition de Steve Marriott de rejoindre Humble Pie (en remplacement d’un Frampton démissionnaire). Walsh a un besoin vital de faire un break, préférant partir s’isoler un temps dans un coin perdu au Colorado.


   A peine requinqué, il reprend sa guitare et compose de nouvelles chansons. Constatant que du matériel consistant s'accumule, il contacte un ancien copain de l'université du Kent, Joe Vitale, qui depuis quelques mois, est rentré au service des Amboy Dukes pour cogner sur des fûts (avec lesquels il fit une tournée ou deux et participa à quelques sessions studio qui restèrent à l'état de démos. Joe n'apparaît donc sur aucun de leurs disques officiels). Multiinstrumentiste et aussi chanteur (il a d'ailleurs déjà enregistré en tant que tel), il est le partenaire idéal pour consolider des chansons et débuter tranquillement des sessions ; sans qu'il y ait trop d'intervenants. Alors que dans un premier temps, Walsh souhaitait juste se mettre au vert et recharger ses accus, il ne tarde pas à sortir des albums et à repartir en tournée. Toutefois, cette fois-ci, il semble plus libre de ses mouvements, il n'a plus vraiment de comptes à rendre. 

     Si son premier effort solo - également considéré comme le disque de l'éphémère Barnstorm - n'est pas à la hauteur commerciale de James Gang, il en est tout autre avec les suivants. Passé vingt-cinq ans, Joe Walsh traîne déjà derrière lui des disques qui ont tous reçus l'approbation du public et de la presse. Ses pairs musiciens apprécie aussi cet homme qui sait faire preuve autant de talent que d'humilité. A ce titre, lorsque Pete Townshend vient le voir pour lui dire tout le bien qu'il pensait de son jeu, et répondra simplement qu'il ne se serait jamais cru aussi bon. C'est qu'en dépit d'un certain succès qui, s'il n'est pas encore vraiment au niveau du statut de la "rock-star", est tout de même confortable, Walsh n'a pas la grosse tête, adoptant plus souvent la figure du comique que celui de l'artiste orgueilleux et hautain. Et ce même des années plus tard. 

     Et lorsqu'il participe à la popularisation de la talk-box - avant Frampton - grâce à son inoxydable hit, "Rocky Mountain Way", au lieu de jouer au fanfaron, il explique qu'il l'a découverte sur un disque de la chanteuse Country Dottie West, et que c'est son mari, Bill, qui en aurait conçu une dès les années 50. De passage à Nashville avec le James Gang lors d'une tournée en 1970, il rend visite au couple West et repart avec une Talk-box originale. Ce nouveau et précieux jouet fait son bonheur - surtout lorsqu'il est un peu perché. Et c'est en planant, en déconnant, qu'il compose ce succès qui, des années plus tard, sera encore un des moments clés de ses shows.

     Les shows de Joe Walsh... L'homme maîtrise son sujet. Ce n'est rien de le dire. Les rares extraits télévisés et le live de James Gang peuvent en témoigner. Les quelques extraits concernant aussi son escapade en solo, avec la formation restreinte baptisée Barnstorm, en quatuor, sont époustouflantes (malgré un son qui semble assez brouillon en général). Hélas, rien n'a été gravé pour l'éternité (du moins jusqu'à la prochaine apocalypse), jusqu'à ce que le label ABC, contrarié par une année sans réalisations de Walsh - et par conséquent, moins de tunes remplissant leurs caisses -, décide promptement de sortir un album live au début de l'année 1976. La maison de disques ne s'est pas foulée en se contentant de reprendre celui donné pour l'émission télévisée "Don Kirshner's Rock" le 26 novembre 1975, avec seulement six chansons. Le pire, preuve d'un certain manque de respect, tant pour l'artiste que pour le public, ce sont les affreuses coupures cassant le rythme de l'album. Et cette pochette affreuse avec son énorme boule à facettes remplissant l'espace, pouvant faire croire à un disque de disco. Surtout que le nom de Joe Walsh n'y est pas très visible.


   Et pourtant quel album ! Walsh est très entouré. Il a étoffé son groupe avec deux claviéristes : Jay Ferguson, qui a fait ses débuts avec Spirit aux côté de Randy California, avant de fonder Jo Jo Gunne, et Dave Manson, qui jouera plus pour Elton John. Willie Weeks à la basse, pas encore trop connu même s'il a déjà joué pour Stevie Wonder, Donny Hathaway, George Harrison, Rod Stewart, Aretha Franklin, Ronnie Wood, entre autres. Joe Vitale est secondé à la batterie par l'ex-Family Stone, Andy Newmack (qui vient d'enregistrer l'album du succès, "Dream Weaver" de l'ex-Spooky Tooth, Gary Wright). Pour cette tournée, et peut-être pour la première fois, Joe n'est plus seul à la guitare. Son ami (avec qui, paraît-il, il aime bien dévaliser les bars des hôtels), l'Eagles Don Felder est venu le soutenir. Le percussionniste Rocky Dzidzornu (celui qu'on retrouve sur quelques albums des Stones) complète la bande.

     Entre le nombre de musiciens et leurs qualités avérées et prouvées, non seulement les morceaux élaborés de sa carrière solo ne perdent rien de leur élégance, mais ils gagnent aussi en consistance. Parfois suffisamment en puissance pour se permettre de donner de grands coups de savate contre la citadelle d'un heavy-rock régnant alors quasiment en maître sur le continent nord-américain.

     Les amateurs de la première heure de James Gang ne sont pas vraiment dépaysés puisque déjà, "Walk Away" a été repêché pour entamer le set. Même si c'est lui-même qui a pris la tangente, jamais il ne reniera son passé. Bien au contraire, il ne perdra jamais l'occasion de faire vivre un ou plusieurs titres de ce groupe qui n'a jamais eu le succès qu'il méritait. Et même si dès les débuts de sa carrière solo, une partie de son répertoire a pris le chemin de la Californie, le Hard-blues gras et enivrant développé par le trio de Cleveland ne cessera jamais de refaire surface. Bien généralement sous des attributs des plus séduisants. Comme avec "Rocky Mountain Way", un classique aux sonorité hard-blues, qui se traîne nonchalamment entre un slow-blues appuyé et une fausse ballade caniculaire. Désormais un passage quasi obligé de ses concerts, sans cesse trituré suivant ses humeurs et ses envies, pouvant très bien être écourté ou étiré ; comme ici, où il gagne deux minutes trente, à la faveur d'un break où Walsh développe de longs traits de slide, et fait parler sa guitare à travers sa talk-box. Les Eagles eux-mêmes ne vont pas résister à l'envie de l'incorporer à leur répertoire scénique.

   Même "Meadows", un morceau plus élaboré, voire raffiné, en garde encore quelque chose (du côté de chez "Third") -même si le riff de base semble avoir été inspiré par celui de "Woman From Tokyo" de Deep Purple. Toutefois, déjà à cette époque, Joe laisse le soleil Californien baigner sa musique. Il se fait alors plus romantique, se sentant l'âme d'un poète... qui a dû, par mégarde, mélanger son tabac à quelques herbes du maquis. Un paradoxe aussi avec Walsh qui possède cette voix limitée, dérapant parfois vers des accents de canard, mais qui n'en demeure pas moins chargée d'émotion. C'est particulièrement évident sur la sobre ballade acoustique "Help Me Make it Thru the Night", si légère que la brise l'emporte, faisant voler quelques soyeuses chevelures et rosir les pommettes parsemées de taches de rousseur de jeunes filles insouciantes. Don Felder, bien sûr, mais aussi Glen Frey et Don Henley, se font un plaisir de se prêter aux chœurs en s'accompagnant de leur guitare folk. Magnifique instant de sobriété, calé entre Crosby, Stills, Nash & Young et les Eagles.


   Il y aussi de la fibre des "Funk # 48" et "# 49" sur l'enjoué "Time Out", où, pour une fiesta nocturne dans un club de Tremé, lestée de plomb par les deux gratteux, 
 Felder et Walsh alternent les chorus et riffs. "Je fais les choses machinalement, j'essaie de ne pas ronfler. Je ne savais pas que l'arme était chargée... Déconnecté, époustouflé, quand tu dis ce que tu penses, ne dis jamais ce que tu prévois. Fais une pause..."

"Turn To Stone" clôt l'opus sur une direction plus aventureuse, fusionnant rock-progressif et jazz-rock, dressant un climat orageux avant que quelques rayons de soleil triomphants ne déchirent un manteau de nuages d'un pourpre sombre et d'un bleu profond. L'énergique Joe Vitale lâche sa batterie et son micro (il fait aussi les chœurs à l'occasion) pour jouer des claviers sur ce morceau, et un beau et long solo de flûte traversière. [on remarquera que ce Vitale, relativement discret, encore présent sur le dernier album de Walsh, a joué à peu près de tout, de la Pop au Hard-rock, en passant par le Jazz et le Reggae]. Actuellement, c'est Kenny Wayne Sheperd qui s'est réapproprié ce morceau apte aux improvisations, mais auparavant, c'était Roy Buchanan qui, avec l'aide de Ray Gomez, en avait fait un superbe morceau instrumental plus ouvertement jazzy.

     Néanmoins, en dépit de l'indéniable qualité de cet enregistrement, un goût amer persiste. Celui du manque. Par l'absence d'excellentes pièces qu'on aurait bien aimé écouter, certainement transfigurées par l'excitation de l'instant. Ainsi que par la durée de l'enregistrement réduit à trente-cinq minutes, alors qu'on sait que le show télévisé comportait au moins quatre morceaux de plus. Cinq ans auparavant, le "James Gang Live in Concert" de 1971 avait été plus ou moins le sujet des mêmes remarques, même si le final de dix-sept minutes d'un "Lost Woman" explosif - et parfois un peu chaotique - s'emploi à rassasier - et assommer - le client

     Suite au départ de Bernie Leadon des Eagles, Don Felder et ses collègues prient Joe de venir les rejoindre. S'ensuit le succès faramineux du cinquième album du groupe californien avec notamment la chanson éponyme qui fait un carton de part et d'autre des océans. La notoriété de Joe - et son compte en banque - prennent une autre ampleur. Même s'il regrette que son implication et son travail n'aient pas été plus reconnus. Une certaine déconvenue lorsqu'il remarque, bien plus tard, que son nom apparaît peu dans les crédits. Une déception envers ceux qui se disent ses amis, mais il le prendra avec philosophie, sachant qu'à ce moment-là, les esprits pouvaient avoir été bien embrumés par l'action de coûteuses substances. 

     Tout semble sourire à Joe Walsh dont le succès, quoi qu'il fasse, s'accroche aux basques sans qu'il cherche pour autant à le provoquer. Il reste juste lui-même, joue sa musique, sérieusement - mais sans s'empêcher de faire le pitre. 

Pourtant, la vie n'a pas toujours été tendre avec lui. Son père décède d'un accident de la route alors qu'il n'a pas encore six ans - Walsh est le nom de son beau-père mais il garde Filder en mémoire de son père -, et il perd sa fille en avril 1974, dans un accident de circulation. La chanson "Song for Emma" clôturant l'album "So What" lui est dédiée. Un passif qui, cumulé à la pression du succès, va probablement le faire doucement plonger dans l'alcoolisme et autres addictions qui failliront avoir raison de sa carrière. Mais Joe est toujours là, affichant une sempiternelle bonne humeur.



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4 commentaires:

  1. j'aime Joe Walsh, j'avais chroniqué "But Seriously, Folks…" il y a deu ans !

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    1. C'est - ou c'était - une star aux USA. Ici, du moins en France, il n'a pas eu beaucoup d'impact.
      Toutefois, j'ai connu quelques personnes (éclairées ?) qui avaient et chérissaient sa discographie - même s'ils convenaient que certains de ses albums des années 80 étaient inégaux.

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  2. Jamais été un grand fan de Walsh . J'avais à sa sortie acheté ce disque , je n'ai pas acquis la version cd . Dès qu'il ouvre la bouche , Walsh semble bourré ou défoncé (ou les deux) , voir le concert d'Eagles au Forum de LA! Son arrivée chez les Eagles n'a selon moi pas apporté grand chose , sinon un glissement prononcé vers un rock FM . Le dernier grand disque du groupe c'est "On the border" .

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    1. Il a effectivement longtemps été copieusement imbibé ; à un point tel, que les sessions d'un de ses albums du début des années 80, ne sont des souvenirs floues et parcellés. Toutefois, même totalement sobre, Joe Walsh ne peut s'empêcher de faire le pitre. Il a du mal à se prendre au sérieux. Une attitude qui ne passe pas toujours mais qui démontre son détachement des clichés liés au "guitar-hero", ou au fanfaron 😊

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