Billy tire la tronche. En plus de sortir d'enregistrements particulièrement éreintants, il en a plein le cul de ce star-system aliénant. Marre de la pression des maisons de disques qui peuvent décider de ne pas sortir un disque, même si on s'y est investi des mois, voir plus, en y mettant tout son cœur. Exaspéré par la presse qui peut descendre un disque sans vraiment faire l'effort de sérieusement l'écouter, d'essayer de le comprendre - et à côté encenser des bouses -. Fatigué de devoir donner autant d'importance à l'image qu'à la musique. Crotte ! Lui, il est musicien, pas gravure de mode. Et pourtant, en dépit d'un fort succès qui l'érige au niveau de star aux USA, de trois disques de platine d'affilé, de plus d'une dizaine de chansons qui rentrent dans les charts (avec plus ou moins de succès), le malheureux prend une douche froide à cause d'un clip vidéo. Celui de "Rock Me Tonite". Un clip stupide, mal filmé, où visiblement Billy est fort mal conseillé ou dirigé. On l'y voit s'étirer et ramper sur le sol telle une diva en mal d'amour, puis danser, ou plutôt gigoter comme un pantin en caoutchouc (Mick et Iggy n'ont qu'à bien se tenir 😁), - danse de saint-Guy en mode fofolle -. Tout ça en étant attifé de la façon la plus décontractée possible, dans un subtil croisement entre Véronique & Davina et Miami Vice. Pas de jeans, ni de cuir, ni même un Spandex moule burnes (ce dernier ingrédient peut faire rire aujourd'hui, cependant, dans les années 80, pour la plupart de nos très virils rockers, c'était un accoutrement impératif. Un gros problème pour les complexés, ou ceux obnubilés par la taille de leur robinet - d'où la séquence de "Spinal Tape" avec le bassiste qui, pour passer un sas d'embarquement, doit retirer le gros cornichon de son futal). Billy n'en a rien à faire des fringues. Souvent, totalement décontracté, il s'affiche avec des futals confortables et des tee-shirts sans forme et froissés, au mieux des chemises. Ce clip fait les choux gras de la presse qui redouble d'efforts pour ridiculiser Billy. A croire que son succès déplait aux gratte-papiers de la presse rock. Sa réputation ternie, Billy brocardé, la courbe des ventes de ses disques s'en ressent cruellement (1), tandis que la masse des spectateurs s'éclaircit. "Video killed the radio star" ? Visiblement. Mais dans ce cas, le rôle d'une presse parfois sans pitié, n'est pas innocent.
Une petite cabale injustifiée envers un gars qui s'investit corps et âme dans la musique. Qui n'en a rien à foutre des paillettes. C'est un authentique musicien. A neuf ans, il apprend à jouer du piano, enchaînant plus tard avec la guitare, et à quatorze ans, il forme son premier groupe. A 21 ans, constatant qu'il ne peut pas poursuivre ses études pour rentrer dans l'enseignement tout en s'investissant sérieusement dans la musique, il fait le choix d'abandonner ce qui aurait pu l'amener à un travail stable pour tenter sa chance dans l'artistique. Mais, "it's a long way to the top". L'ascension est longue et pénible. Et quand enfin, avec Piper, le groupe dont il est déjà le compositeur le plus prolixe, il croit enfin sortir d'un long et sombre tunnel, les portes se referment, le plongeant à nouveau dans le noir. Bien que soutenu par la même équipe que la grosse machine "Kiss" - dont Sean Delaney qui s'implique dans la production -, et un succès certes timide mais croissant, le groupe se sépare après deux honnêtes albums (assez bien accueillis par la presse).
Quant à l'hexagone, point disert sur le bonhomme, lorsque la presse nationale consent un rare article, c'est plus généralement pour rabaisser en peu de mots Billy à un tâcheron sans aucun génie, pratiquant un Rock-FM ampoulé sans intérêt.
Toutefois, il faut bien admettre que son dernier album, "Sign of Life", n'est pas non plus des plus réussis, empêtré dans une production trop riche, truffée d'encombrants effets. La présence de Jim Steinman (Meat Loaf) à la production n'est probablement pas étrangère à cet excès indigeste. C'est d'ailleurs après ce dernier essai de 1984 - et son "clip de Pandore" - que l'homme disparaît totalement des radars. Du moins en Europe - qui était d'ailleurs alors généralement plus sensible aux méchants et puissants riffs du heavy-metal. A croire qu'il s'était retiré du circuit.
Et puis voilà qu'en 1986, en toute discrétion, le père Billy, trente-six ans au compteur, débarque avec un nouvel opus. Une cinquième réalisation qui marque un certain retour au gros Rock de "Never Say No", ce qui en fait un disque assez perdu entre l'essor d'un métal extrême et celui d'un glam-rock US qui entamait sa descente vers l'auto-parodie. Le genre qui n'intéresse plus grand monde. Billy, lui, s'en balance. Contrairement à ce qui a pu être écrit sur le bonhomme, il n'est pas un opportuniste et préfère suivre son propre chemin, quitte à se vautrer commercialement. Pour la première fois depuis son premier long-player, "The Tale of the Tape", il ne s'investit pas dans la production, laissant faire Peter Collins. Un producteur aussi à l'aise dans la Pop dans le Rock dur (genre où il va se distinguer dans les années à venir - à commencer par le "Run for Cover" de Gary Moore de 1985). De l'aveu même de Squier, ce fut un travail long et difficile, le producteur minutieux demandant de multiples prises afin de pouvoir saisir le meilleur de chacun. Un processus exténuant qui inspira le titre du présent album : "Enough is Enough". Expérience mitigée pour Billy. Exaspéré par le perfectionnisme de Collins, il finit par le rembarrer et retourne à New-York avec les bandes pour finir lui-même le travail de mixage avec David Thoener. Avant de quitter Londres, en remballant ses affaires, il découvre que sa vieille Gibson Les Paul Sunburst 1958 a été volée. Autre déception, Capitol Records décide d'effacer la partie de piano d'introduction de "Love is a Hero" - sous prétexte que Queen n'étant plus au beau fixe aux USA, cela pourrait impacter les ventes négativement -, or, d'après Billy, c'est de ce plan de piano, offert par Freddie Mercury (et présent au contre-chant), que découle cette pièce. Cependant, avec du recul, bien que facilement critique envers lui-même, il admet que la pugnacité de Peter Collins a permis au groupe de réaliser un très bel album dont il peut se montrer fier. Et effectivement, il se révèle meilleur que les deux précédents.
Freddie Mercury est aussi directement impliqué dans "Lady is a Tenor Sax" qu'il co-signe et qu'il chantait initialement. Mais sous l'insistance de Freddie himself, c'est Billy qui s'y colle, donnant alors tout son possible pour essayer d'être à la hauteur. Si sur le papier, la présence d'un membre de Queen s'arrête à "Love is a Hero" et "Lady is a Tenor Sax", d'autres morceaux en portent pourtant aussi la marque. En particulier "Lonely One", où l'on croirait entendre John Deacon.
C'est un mystère, mais alors que généralement les critiques focalisent sur les facettes Pop et FM que peut effectivement développer Billy Squier, - ce qui n'est pourtant nullement une tare - ils omettent son côté franc-riffeur. En effet, dans les grandes lignes, Billy pourrait bien des fois être l'image fantasmée d'un AC/DC tâtant d'une Pop musclée, voire d'un Rock-FM assez serré. D'autres, dont des proches de Billy, avancent que Def Leppard lui aurait beaucoup pris (volé ?). En fait, un peu comme Cheap Trick, et d'une autre façon comme Queen, son credo c'est de marier des guitares franchement heavy et tranchantes, éreintant des Marshall qui n'en demandaient pas tant (très tôt, il fait modifier quelques composants de son Marshall pour obtenir une tonalité moins ronde et plus agressive), à quelques élans aux consonnances plus british-Pop, parfois pas si éloigné du Glam-rock. Avec en sus, derrière, comme pour tempérer un batteur (Bobby Chouinard) qui a tendance à cogner comme une brute et des grattes pyromanes, des claviers espiègles prenant le contre-coup avec des lignes plus mélodiques et enjouées. "Shot O' Love" en est un bon exemple.
Si le style de Billy est toujours immédiatement identifiable, cette nouvelle cuvée semble cette fois-ci enveloppée d'un léger châle de tristesse, perlée de noirceur. Même sur des choses aussi légère que "Love is the Hero" et la ballade mélancolique "All We Save to Give" à l'atmosphère pluvieuse. Et plus spécialement sur la power-ballad "Till It's Over".
Evidemment, les morceaux franchement plus rock ne manquent pas. A commencer donc par "Shot O' Love" qui pourrait très avoir servi de terreau au "Hysteria" de Def Lepp. Tout comme "Break the Silence", même si ce dernier est plus aéré; un creuset où fusionnent Bad Company, Huey Lewis Mott the Hoople. Le petit bijou, le nerveux et vif "Come Home", qui revisite le Rock'n'roll à la Chuck Berry avec une ardeur au tempérament australien. Et "Powerhouse", où plane (encore) l'ombre des copains de Queen, mais en version plus heavy-rock avec une slide brûlante. Son long coda permet au fidèle Jeff Golub d'en faire des tonnes, avec tous les poncifs inhérents au guitar-hero de la décennie précédente.
L'album se referme sur "Wink of an Eye", tonitruant heavy-rock aux allures de sombres ruelles moites et crasseuses, où un prédateur psychopathe, impatient, attend sa prochaine proie. Final quasi époustouflant, clôturant un bel album sans faute. Sans faute, si ce n'est qu'il est en dehors des "canons rock" de l'époque, bien loin du Sunset Trip et des "ornements cloutés" de la perfide Albion.
Fatigué, désabusé, pour la première fois, Billy ne part pas sur la route promouvoir son album. Il se retire pendant trois années qu'il va mettre à profit pour sortir un nouvel opus. Plus cru, plus rauque, plus heavy, sans une once d'ingrédient "FM". Il y tire encore plus la tronche. Sorti sans réelle promotion, une fois encore, incompréhensiblement, l'album sera un nouveau demi-échec malgré un hit qui marque le retour de Squier dans le Top 5 US. Pendant plus de quatre années, Billy Squier semblait intouchable, véritable poids lourds américain promis à une fructueuse carrière. Et d'un coup, en dépit de disques toujours de qualité, forçant le respect de ses pairs, de Queen à Jimmy Page, la carrière de Billy dégringole. Peut-être parce qu'il a préféré n'en faire qu'à sa tête, refusant de suivre le mouvement, refusant de faire des concessions pour coller aux modes, jusqu'à rentrer en conflit avec Capitol Records. Lorsque sort son dernier album en 1993, en toute discrétion, sans aucune promotion, il s'est déjà écarté de la scène. Il ne sort de sa tanière qu'en 1998, pour un album de Blues acoustique (introuvable). Il ne remonte sur les planches qu'en 2001. En 2004, il rejoint Ringo Starr pour son All-Starr Band. Dorénavant, il ne se produit que sporadiquement, à l'envie ; seul, avec une formation provisoire ou simplement pour rejoindre un groupe. Enfin, en 2023, il met en ligne une chanson, "Harder On a Woman". Mais rien d'autre n'a suivit.
(1) L'album recevra tout de même la certification "platine". "Seulement", car les deux précédents, eux, sont doubles "platine")
(2) La guitare qu'empoigne Billy sur la seconde photo - issue d'une séance pour le verso de l'album - est un prototype de Kramer. Une petite guitare surnommée "Baby Blue", équipée d'un seul P-90 en position chevalet et d'un Floyd Rose. Le corps est une fusion d'une Esquire et d'une Melody Maker. Quant au manche, Kramer a dû bosser dur pour en réaliser une combinaison de certaines caractéristiques de trois des guitares préférées de mister Squier. A savoir celui d'une Les Paul, d'une Stratocaster et d'une Telecaster. Pour un meilleur sustain, le corps et le manche sont d'une seule pièce d'érable. Restée à l'état de prototype exclusif, ce modèle n'aurait jamais été commercialisé. Billy en possède six, dont deux avec deux micros.
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Une chronique de Springsteen, plus un apologue de Queen, ça fait beaucoup en deux jours.
RépondreSupprimerCe n'est pas un apologue sur Queen... 😪
SupprimerJe compatis. C'est un peu rude, pardon. Un doublé Yes / Phil Collins la semaine prochaine conviendrait mieux ?
RépondreSupprimerUne intégrale Bowie pourrait également faire son office...
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