vendredi 23 février 2024

L'ENIGME DU CHICAGO EXPRESS de Richard Fleischer (1952) par Luc B.

Ca fait du bien de se décrasser les yeux avec une bonne vieille série B, et celle-ci est de premier choix. 

Petit rappel pour ceux qui étaient absents au dernier cours (j’ai les noms) une série B est un film dans lequel on investit un minimum de pognon, d’une durée relativement courte (6 ou 7 bobines), généralement un film de genre qui mise sur l’action, et dont la fonction était de compléter un programme, à la manière des premières parties au music-hall.

Avantage pour les studios : peu de risque financier. Avantage pour le metteur en scène : on lui foutait la paix. Les réalisateurs, notamment débutants, avaient la liberté d’expérimenter leur style, d’apprendre à travailler avec des contraintes de temps ou de budget.

Parmi eux, Richard Fleischer, qui débute juste après guerre, mais doit attendre le mitan des 50’s pour se voir confier des budgets conséquents : 20 000 LIEUES SOUS LES MERS (1954) avec Kirk Douglas, LES VIKINGS (1958, un must) avec Douglas encore et Tony Curtis en plus, qu’on retrouvera dans L’ÉTRANGLEUR DE BOSTON (1968, et l’utilisation du split-screen). Autre polar classique LES INCONNUS DANS LA VILLE (1955) avec Ernest Borgnine en amish (!), et le jeune Lee Marvin.

Le film le plus célèbre de Richard Fleischer est sans doute SOLEIL VERT (1973, j'en ai déjà causé clic ici ), mais on peut citer aussi le très bon LES FLICS NE DORMENT PAS LA NUIT. Fleischer était plus qu'un solide technicien, un cinéaste inspiré, multitâche : film de guerre, SF, péplum, western, polar, horreur… ce gars a tout fait, même des films en 3D.

L’ÉNIGME DU CHICAGO EXPRESS est donc une série B pur jus. Treize jours de tournage, avec quatre journées de répétition financées sur les deniers personnels de Fleischer, un décor quasi unique, un scénario aux petits oignons, pas de psychologie, des caractères bruts, de l’action et une réalisation en constante dynamique.

Ça raconte quoi ? J’y viens, je finissais mon intro… Deux flics, Walter Brown et Gus Forbes sont chargés d’escorter Frankie Neall, la veuve d’un truand, jusqu’à Los Angeles. Elle détient des informations compromettantes qui intéressent la justice. On ne saura jamais vraiment quoi, et on s’en fout un peu, il est juste question d’une liste. Le transfert se fera en train. Deux tueurs à gage s’invitent au voyage pour éliminer l’encombrant témoin.

D’entrée de jeu, le scénario réserve une surprise. Les protagonistes (flics et gangsters) ne connaissent pas le visage de Mme Neall. Les tueurs doivent donc suivre les flics pour identifier leur cible. La première séquence est superbe. Brown et Forbes se rendent à une adresse pour embarquer Mme Neall, grande brune hautaine : la sculpturale Marie Windsor.

Toutes les caractéristiques visuelles du Film Noir sont là, profondeur de champ, contraste du noir et blanc, cadrages baroques (la montée de l'escalier), images nocturnes. Première scène mémorable : l’appartement de la témoin est à l’étage, et sur le palier elle casse son collier dont les perles se dispersent au sol. Fleischer va suivre les perles blanches qui dégringolent jusqu’au rez de chaussée pour buter contre une paire de chaussures. Celle d'un tueur tapi dans l’ombre, pistolet en pogne, prêt à faire feu sur Mme Neall. Superbe ! Fleischer traite la fusillade en quelques plans, violence sèche, un mec meurt, mais pas le temps de larmoyer, il y a urgence à se rendre à la gare pour ne pas rater le train.   

La tension est donc immédiatement installée. On sait qu’il y a eu des fuites, que les flics sont suivis. De quoi devenir parano pour Brown, qui une fois monté dans le train ne sait plus à qui se fier. Comme Hitchcock dans UNE FEMME  DISPARAÎT (1938), Fleischer va utiliser au maximum son décor exigu. Et va demander à son chef op’ George E. Diskant d’utiliser une caméra à épaule pour gagner en mobilité (c'est rare à l’époque) et privilégier les panoramiques rapides. Lieu clos ne veut pas dire film statique. L’intrigue file à toute vitesse et les personnages ne cessent de bouger. Pour se rendre au wagon restaurant, et surtout pour changer de planque, de compartiment, un va et vient incessant qui renforce la dynamique du film.

Chaque voyageur est suspect. Cette Mme Sinclair trop sage pour être honnête, l’obèse Sam Jennings impossible à croiser dans un couloir, le placide Vincent Yost à tête de fouine, ce Joseph Kemp qui prend prétexte d’avoir égaré  sa serviette pour fouiller les compartiments… Difficile d’échapper aux regards des autres dans un train, on s’épie par vitres interposées. Ce qui permet à Fleischer d’agrandir artificiellement l’espace. Procédé qui culmine avec la scène où Brown se sert du reflet de la fenêtre d’un autre train pour voir ce qui se passe dans le compartiment à côté du sien, et ajuster son tir. Superbe !

Autre plan génial, tourné depuis la plateforme du train : un gars enjambe le garde-fou, fuit sur les rails, rattrapé plus loin par deux voitures de flics. Le tout est filmé en un seul plan, c'est le train en mouvement qui fait office de travelling arrière. Pour pouvoir tourner dans un compartiment exigu avec trois ou quatre acteurs, Fleischer est contraint de se faire tout petit, filmer en forte contre-plongée. Des axes toujours impressionnants qui suggèrent la puissance des personnages. Il varie les angles constamment. Et s’amuse avec cette astuce de montage, en raccordant le mouvement de main de Mme Neall qui se lime nerveusement les ongles, aux bielles du train.

Pas de psychologie ou d’amourette ferroviaire, on n’a pas le temps. Le scénario distille rebondissements et protagonistes à tiroir. Qui est réellement Frankie Neall, pourquoi Sam Jennings met son nez partout, quelles sont les réelles motivations de Walter Brown ? Seul bémol, un gamin horripilant au possible, qu’un des tueurs aurait été avisé de pousser du train dès sa première scène.

Richard Fleischer ne s’éparpille pas dans son récit, il trouve mille astuces pour contourner le manque de budget, le rythme ne faiblit pas une seconde. De la série B classe A.

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En 1990, Peter Hyams réalise un remake avec Gene Hackman et Anne Archer : LE SEUL TEMOIN. Le principe du témoin à protéger dans un train est gardé, comme la plupart des situations et personnages (mais pas dans les mêmes fonctions, ça c’est intéressant !). J’ai fait l’expérience de visionner les deux à la suite : Fleischer 1 – Hyams 0. Hyams aère trop son film (prologue avec l’hélico, poursuite en voiture, arrêts en gare…) et accouche d’un thriller assez conventionnel et poussif dans sa mise en scène. D'où cette question : pourquoi un remake est-il souvent inférieur à l'original alors qu'il suffirait de tout copier pour avoir 20/20 ? Bon... ici, remake ou pas, si y’a Gene Hackman dans l'coin, tout n’est pas à jeter.


Noir et blanc  -  1h10  - format 1:1.37 
 
Désolé pour la qualité plus que médiocre de la bande annonce, y'a que ça en stock !   


2 commentaires:

  1. Shuffle Master24/2/24 08:10

    Pas vu, mais Fleischer, c'est quelque chose. Claude-Jean Philippe, reviens!

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  2. Un très bon artisan, comme on dit de ce genre de réalisateur, à l'aise dans tous les genres, inventif, et dont la critique française a su démontrer le talent.

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