[ ** censure ** ] ! Après les power trio - genre qui n'a jamais cessé de s'efforcer de mettre le feu aux scènes de par le monde -, voilà t'y pas que depuis le début du siècle, il y a quelques petits malins qui s'évertuent à foutre la merde avec des power duo. Des Power Duo !! Non mais ! Un terme qui pu l'arnaque, le faisandé, les égouts de l'enfer bouchés après une semaine d'épidémie carabinée de gastroentérite. Ben oui, parce que dans le monde du Rock, le minimum syndical c'est trois ! Vouaille ! Sinon, forcément, en concert, ça sonne anémique. Certes, il y a une poignée de sacripants qui, solidement équipés d'un arsenal de pédales diverses, parviennent à tirer leur épingle du jeu, mais malgré tout, il faut bien reconnaître que sur les planches, sans bassiste, batteur ou même guitariste, ça devient lassant. (Bientôt, des power-tout-seul !)
Alors quand il y a deux zigotos qui s'engagent à eux-seuls dans des zones (h)ardues du Rock-progressif épique, de plus, tendance "Rush" (déjà que pour ces derniers, à trois, c'était déjà copieusement culotté, vu le niveau technique que demande nombre de leurs compositions), il y a de quoi douter. Suffisamment pour qu'on s'en désintéresse sans y avoir prêté une esgourde. Et pourtant, ce serait une belle erreur, car ces deux loustics ont tout simplement réalisé l'un des meilleurs disques de l'année. Le précédent, sorti en 2020, a déjà de beaux atours fort prometteurs, mais il ne possède ni la force ni la flamboyance de celui-ci. Indubitablement, ces deux échalas à la crinière léonine ont mis à profit les confinements pour s'améliorer. Et pas qu'un peu.
Il semblerait presque logique que ce duo soit originaire du Canada, de l'Ontario de surcroit, tout comme Triumph et Rush, tant les références à ces deux groupes sont évidentes (tous deux également issus de l'Ontario). Et plus particulièrement ce dernier. C'est en 2015 que Cody Bowles et Kevin Comeau décident de monter un groupe qu'ils nomment Crown Lands. Un patronyme qu'ils choisissent en référence aux terres que la monarchie s'est attribuée au détriment des autochtones ; ces derniers qui ont été souvent expulsés avec violence pour laisser place aux colons (depuis maintenant quelques décennies, chez les voisins Etats-Uniens, certaines voix se sont élevées pour parler de génocide manifeste). A ce titre, comme un certain Keef Hartley dans les années 60 et 70, également batteur, Cody Bowles est si empreint de culture amérindienne qu'il récupère parfois quelques codes vestimentaires et ornementations typés (ceci dit, tout en cultivant un look assez androgyne où se mêle une profonde influence 70's). Simplement par goût, mais aussi par défi, en exposant une image qui aujourd'hui encore peut mettre mal à l'aise bon nombre de nord-américains d'origine européenne (comme si ces derniers portaient encore en eux la culpabilité de leurs aïeux, ou comme si, en dépit de leur inébranlable mutisme, de leur déni, ils avaient conscience que leur confort a été fondé sur la spoliation, parfois la destruction, de ces peuples).
En accord avec cet état d'esprit, les sujets de certaines chansons - ainsi que leurs vidéos - font référence aux autochtones, à leurs traditions, leurs mythes, leurs espoirs et l'injustice dont ils ont été, et sont parfois encore, victimes. A savoir que Cody est lui-même Mi'kmaq (peuple amérindien installé à l'est du Canada, sur un territoire comprenant la Gaspésie, les provinces maritimes, ainsi qu'une partie plus à l'ouest du Québec. Les Mi'Kmaq font partie des Algonquiens).
A leurs débuts, le duo foule plutôt des terres de heavy-rock où règne la fuzz (façon brutale), dans un sympathique mélange de White Stripes, de Rival Sons, de Wolfmother et de Queen of the Stone Age. Des premières chansons, et des vidéos, qui ne tardent pas à se faire nationalement remarquer. Dont "Mountain" (premier single de 2017), sorte de prophétie sur la résurrection d'un peuple que des démons terrestres - qui ont traversé l'océan avec leurs armes, aveuglés par leur cupidité - ont opprimé et chassé. Mais petit à petit, tout en élargissant leur palette (qui semble dorénavant s'étirer jusqu'à l'horizon - de la musique organique), le Rock-progressif s'immisce jusqu'à faire loi. Après quelques singles et Eps salués par les médias canadiens, le "little band" sort en 2020 son premier album. Un disque riche et intéressant, mais inégal. Avec "Fearless", Crown Lands rentre dans la cour des grands.
L'album débute carrément par une pièce ambitieuse partagée en neuf chapitre. "Starlifter : Fearless Pt. II". Dix-huit minutes palpitantes évoquant par bien des côtés le trio Rush - auquel Crown Lands voue une profonde admiration. C'est d'ailleurs un amour commun pour ce célèbre trio qui a uni ces deux perches chevelues. Magnifique pièce évoluant entre space-rock, heavy-rock épique et progressif halluciné ; entre envolées lyriques, ambiances épurées et introspectives, égarements intersidéraux et charges héroïques (en mode hard-rock façon Uriah-Heep meets Rush). Les deux musiciens ont accédé à une certaine osmose musicale, et surtout, Bowles maîtrise bien mieux sa voix haut-perchée, proche de Geedy Lee. Véritable bande son d'une odyssée sidérale. Bien que les paroles traitent d'une histoire de science-fiction, elles pourraient très bien être un parallèle avec l'histoire des amérindiens spoliés de leur territoires à des fins de profits divers. Après un tel exploit musical, la suite pourrait paraître fade. Il en est rien. Judicieusement, CL change de terrain - sans se départir de sa tonalité - en allant taquiner une forme de heavy-rock (relativement) mainstream avec des refrains pop - dans une forme triomphante, propulsés par un pattern de batterie énergique. Le rythme du chant de "Dreamer of the Dawn" évoque aussi Rush, précisément celui du tournant plus radio friendly des 80's. Bien que parsemé de parties de guitare plus sombres, plus métôl, "The Shadow" suit à peu près le même chemin. Au contraire de "Right Way Back" qui enclenche le turbo-compresseur (à fragmentations de particules subatomiques plutoniennes) pour partir dans une cascade d'étincelles phosphorescentes, tout droit dans l'éternelle nuit de l'espace. Ce dernier morceau a déjà été présenté sur "Odyssey vol. 1", un album live de 2021.
A la suite de ce triptyque relativement conventionnel, le duo revient à des choses plus complexes avec "Context : Fearless Pt I". Non, pas d'erreur, La première partie de leur "Fearless" arrivant après la seconde ; probablement dans un souci d'équilibre de l'album. Moins complexe et changeant que le second chapitre, et ses seulement huit minutes, le morceau n'en est pas moins épique. Comeau, soutenu par une batterie robuste, alterne entre riffs pointus, arpèges célestes, nappes de claviers inter-dimensionnelles et soli de basse. Après une douce introduction dans un format d'ambiance cinématographique - aube salvatrice nimbant de tons ocres et orangés les terres d'un no man's land à des années lumières de la troisième pierre du soleil -, "Reflections" se coltine avec le heavy-rock racé de Wishbone Ash.
Merveilleuse interlude avec l'instrumental "Penny". Seul à la guitare acoustique, Comeau délivre une splendide composition évoquant un fin mélange de celles d'Eric Emmett (de Triumph, dont c'était une spécialité) et de Pierre Bensoussan.
Last but not least ; ce petit groupe, sûr de son coup, a le toupet de terminer l'album par le meilleur. (qualité tout de même partagé avec la première pièce). Il termine avec deux pièces saisissantes, touchant l'âme. Très Zeppelien dans l'âme, "Lady of the Lake" évoque des senteurs de patchouli, de science-fiction, de prophéties et d'imaginaire amérindiens, pour aller communier avec quelques entités dans la forêt de Brocéliande et d' Avalon. Voyage "clair-obscur" en terre de légendes, tournant entre épisodes de puissant et lumineux folk-rock où Bowles prend des intonations à la Robert Plant, et des épisodes plus forts et orageux, fricotant avec le hard-rock de Sir Page. Ce sont de sombres et limpides notes de piano solitaire qui introduisent "Citadel", jusqu'au soutien de la batterie. La guitare n'est sollicitée que pour écraser quelques lourds power-chords, pour étoffer la chanson sans la brutaliser. Le relatif dépouillement de ce morceau, et son atmosphère cérémonielle, pousse Bowles à donner ici le meilleur de lui-même. Jamais jusqu'alors il n'avait fait preuve d'autant d'intensité. "L'hiver tombe sur les sentinelles comme les tambours en guerre... Des collines, une peste arrive. Le serpent noir révèle ses crocs. Nos terres sacrées perdurent pour toujours... Ils tempêtent de colère et jusqu'à leur mort, nous ferons appel à la Citadelle. Et lutter pour la liberté aux portes de l'enfer. Guerriers de la terre et du ciel, marquez le champ de bataille. Avec des cris intrépides, les épées se heurtent sans relâche aux démons. Notre rêve de liberté ne mourra jamais. Nos terres perdurent pour toujours. Nos voies sacrée répareront la Terre"
Un disque passionnant de bout en bout, même si l'excellence de la première et assez complexe pièce et des dernières, pourrait faire passer ce qu'il y a entre pour un (léger) creux de la vague. Néanmoins, une question demeure : comment ces gars vont-ils se débrouiller sur scène pour restituer la richesse de leurs dernières compositions ? On parle déjà de l'apport d'un batteur sur scène afin que Cody Bowles puisse désormais se concentrer sur le chant. Effectivement, Cody a parfois du mal à rester juste dans les notes hautes, notamment lorsqu'il doit en même temps assurer quelques robustes patterns. Kevin Comeau, lui, est déjà à lui tout seul un homme orchestre, alternant incessamment entre les claviers qui l'entourent, la guitare et la basse. Mais, de plus, jouant constamment des claquettes sur un volumineux pedal-board.
Oui, oui, sans Rush, Crown Lands n'aurait probablement pas existé. (dans une moindre mesure, on pourrait également mentionner Triumph). C'est une évidence. C'est comme si Cody et Kevin avaient essayé vainement de refouler cette imposante influence, faisant leur possible pour qu'elle déteigne le moins possible sur leurs compositions. Ce qui ne les empêchaient pas de la revendiquer, avec force, encourageant même à la découverte de ce trio désormais quasi mythique. Avec cet album, tout laisse à croire qu'ils ont fini par l'accepter, totalement, au point de se placer dorénavant, fièrement mais humblement, comme des continuateurs. En ce sens, ils s'efforcent de ne pas faire de redite, de plagiat. Effort probablement insensé tant la discographie de Rush est riche (vingt disques studio), cependant, la configuration actuelle de Crown Lands l'aide à offrir quelque chose de relativement différent.
Cody BOWLES
Chant, batterie, flûte amérindienne, (carillon)
Kevin COMEAU
Guitares électriques 6 et 12 cordes, guitare acoustique, basse, Taurus pedal, mellotron, synthétiseur OB-6, piano
🎶👑
Bon, un des types s'appelle Kevin, et l'autre est issu de la tribu micmac, est-ce que c'est bien sérieux? Le vrai Power Duo, c'est des gars bien de chez nous, des Landais bien roots, The Inspector Cluzo, qui alternent tournées et confections de foies gras (vendus le samedi matin au marché de Mont-Marsan).
RépondreSupprimerHa, ils sont assez extraordinaires ces deux là ! Et c'est tellement rafraichissant de voir ces gaillards proches de leur terre, de leur ferme. Des types "cash", sans chichi ni paillettes, sans mondanités, sans poses ou autres futilités. Des types qui n'en ont rien à carrer des modes, du show-biz et du "tout-Paris". Un véritable exemple à suivre. Et en plus, à ce qui paraîtrait, ce serait le groupe français le plus connu hors frontières.
SupprimerA quand un article sur The Inspector Clouzo, Shuffle, on paie les pigistes... mais pas en conserve de foie gras, juste un remboursement sur le ticket de métro.
RépondreSupprimerBel album des Crown Lands, la référence à Rush est effectivement assez évidente, j'ai cru pendant les deux premières minutes que j'écoutais le "Xanadu" du trio canadien. Ok avec toi sur la fin de l'album, le titre "Penny" aurait-il pas dû être intégré à un autre ? Après, la partie centrale du disque ronronne un peu je trouve, l'oreille ne bondit pas d'un coup. Encore plus impressionnant en live (vidéo) batteur - chanteur en prog, p'tain, faut l'faire !
Oui, Luc, je suis totalement d'accord avec toi au sujet du milieu de l'album. Toutefois, c'est surtout une sensation par rapport à l'ambitieuse entrée en matière et le triptyque final. Au contraire des précédents essais, tout ici est d'un très bon (haut ?) niveau.
SupprimerEt pourtant ils ne sont guère âgés. Mais tous deux ont aussi étudié la musique. La musique classique pour Kevin Comeau (d'où probablement son aisance à la guitare acoustique).
C'est pour les batteurs que j'ai sélectionné la vidéo en live, justement parce qu'elle offre un regard (à la "FPS"). On comprend pourquoi Cody en live a parfois du mal à reproduire intégralement ses inflexions vocales.
Mais ... ?? 😲 Jamais rien dans le Deblocnot' ??? ça déloque total ! J'étais pourtant certain que ça avait déjà été abordé....
RépondreSupprimer(en même temps, la paie a 3 ans de retard, et les grattes promises en dédommagement ont due partir en low-cost, doivent transiter dans une gare souterraine de Vénus - ou de Mars 😤)