J’ai dû vous parler déjà de ce roman REPLAY, par-ci par-là, dont le principe est celui du voyage dans le temps, thème classique de la SF, qui fait toujours fantasmer. J'adorerais revenir en 1944 et traîner à la sortie des studios de la Fox pour croiser Gene Tierney et lui offrir un verre... J'ai tellement prêté ce bouquin que mon exemplaire a fini par ne jamais me revenir. J’en ai trouvé un autre d’occas sur un étal de brocante, aussitôt (r)acheté, aussitôt relu. Pour m’apercevoir que si je me souvenais de la trame, plus de 70% de l’intrigue s’était perdue dans mes souvenirs. Le genre de truc qui n’arriverait pas à Jeff Winston, qui n’en finit pas de revivre sa vie, en gardant le souvenir de ses précédentes.
Si vous connaissez le film UN JOUR SANS FIN avec Bill Murray, le principe est un peu le même. Mais ici c’est 25 ans d'une vie sans fin. Des histoires comme celle-là, il en existe pas mal, au cinéma RETOUR VERS LE FUTUR, NIMITZ, PEGGY SUE S'EST MARIÉE, en littérature LA MACHINE A EXPLORER LE TEMPS de Wells, LE VOYAGEUR IMPRUDENT de Barjavel, et récemment Stephen King avait écrit 22.11.63 (2012) clic ici qui a d’ailleurs quelques similitudes, les deux héros tentent de faire échouer l’attentat contre Kennedy à Dallas.
Et dans le genre, REPLAY est certainement le meilleur que j’ai lu. Car Ken Grimwood – auteur américain de seulement cinq romans - creuse vraiment son sujet, et passe de l’anecdotique à la tragédie intime.
Le 18 octobre 1988, à 13h06 précise, Jeff Winston, 43 ans, est au téléphone avec sa femme Linda, quand il meurt. Paf, comme ça. Ses poumons se vident d’un coup, il ressent une douleur profonde, s’effondre, ne parvient plus à respirer. Logique, quand on est mort, on ne respire pas. Mais pourquoi est-il conscient de ne plus pouvoir respirer ? Il se réveille, vaseux, dans une chambre, pas celle d’un hôpital, mais sa chambre d’étudiant à Atlanta dont il reconnaît les posters au mur. En 1963.
Il va falloir du temps à Jeff pour appréhender la situation - on le serait à moins. Il est revenu 25 ans en arrière. Tout à refaire, mais cette fois, différemment. C’est l’aspect anecdotique, fantastique et rigolo du roman. Quand on connaît le résultat du derby du Kentucky ou la victoire des Dodgers au championnat de baseball, qu’on mise toutes ses économies, c’est facile de devenir riche. Quand on sait le boom de salle de fitness à la fin des 70’s, c’est facile d’acheter les actions qu’il faut et d’engranger les millions. Mais est-on plus heureux pour autant ? Surtout lorsque le 18 octobre 1988 de sa seconde vie, à 13h06, une crise le foudroie de nouveau. Jeff Winston meurt. Et se réveille en 1963. Mais pas le même jour, un peu plus tard…
D’où le titre Replay. Jeff Winston est condamné à revivre sa vie, en ayant le souvenir des précédentes. Il peut choisir de réajuster le tir, reconquérir sa femme Linda et cette fois réussir son mariage. Ou choisir Judy, son flirt du lycée. Ou batifoler avec Sharla, bombasse écervelée dénichée à Vegas, mener une vie de patachon dans le Saint Germain de Prés existentialiste, ou choisir une vie d’ermite dans son refuge à la montagne. Mais peut-il vraiment changer le monde ? Dénoncer Lee Harvey Oswald au FBI cinq jours avant l’arrivée de Kennedy à Dallas servira-t-il à quelque chose ?
C'est chouette de mener plusieurs vies, mais paradoxalement on se sent un peu seul. On reste, les autres partent. Parler de ce qui lui arrive est impossible, à moins de passer pour un dingue. Quand Jeff découvre au cinéma l’immense succès
de "Star Sea" réalisé par un certain Steven Spielberg, un film dont il sait qu’il n’existe
pas dans la filmographie du futur réalisateur de "Les Dents de la
mer", Jeff comprend que quelqu'un d'autre a fait joujou avec l'Histoire...
Le roman cesse alors d’être simplement divertissant et ingénieux, ce qui est déjà une grande qualité. De nouveaux thèmes font jours avec l’arrivée dans l’histoire de Pamela Philips, et la relation qui va se nouer entre elle et Jeff. Une relation, ou des relations, sur plusieurs vies. Le thème classique des dominos est abordé, peut-on changer le cours du monde en en modifiant qu’un infime aspect ? Peut-on le rendre meilleur, ou doit-on essayer de le rendre meilleur, peut-on changer sa propre vie sans altérer celle des autres ?
Et ce don - ou cette malédiction - comment la gérer ? Les héros doivent-ils la cacher, ou s'ouvrir aux autres, sensibiliser la communauté scientifique, enquêter en publiant par exemple des annonces dans les journaux du monde entier sur le thème connaissez-vous Lady Di, l’Ayatollah Khomeini, 10 ans avant que ses noms fassent l’actualité ? Et comment expliquer ce phénomène autrement que par les élucubrations timbrées de Stuart McCowan, tueur en série qui perpétue le cycle de ses crimes en sachant comment ne pas être condamné ?
C’est difficile de parler de ce roman sans en déflorer les rebondissements. Ce qui intéressant, c’est qu’on quitte la sphère purement fantastique pour des thèmes plus philosophiques, intimes : belle(s) histoire(s) d'amour, le souvenir des enfants qui ne sont pas techniquement orphelins. Et ce qui est terrible avec ces réserves de vies, c'est qu'on a encore plus peur de la mort, couperet qui empêche les protagonistes de construire une vie complète, heureuse. D'autant que les cycles de vie sont plus courts à chaque renaissance, à ce titre, une des dernières séquences est tout à fait poignante.
Tous les gens qui lisent ce roman, paradoxalement peu connu, disent qu'il est extraordinaire ! Le concept est à la fois déjà vu et original, le départ de l'intrigue est joliment troussée, avec plein de trouvailles, et se transforme, se développe en récit plus sombre, profond, tout en maintenant le suspens sur l'épilogue.
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Le cinéma s'est intéressé évidemment à un tel bouquin, Ben Affleck avait été pressenti pour en réaliser l’adaptation vers 2010, avant que le projet soit confié à Robert Zemeckis (réalisateur de Retour vers le Futur), mais à ce jour, aucun REPLAY au cinéma.
Edition poche Points - 345 pages
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