jeudi 17 août 2023

Johan SVENDSEN – Symphonie N° 2 (1877) – Mariss JANSONS (1988) – par Claude Toon


- Oh Claude, avec un nom pareil je sens qu'une fois de plus nous voilà partis pour un pays nordique… et un nouveau venu dans le blog… Humm, un concurrent sérieux pour Sibelius ou Nielsen ? Un oublié de plus ?

- Nous sommes en juin Sonia et ce billet sera publié en août, canicule au programme paraît-il, la baltique ou les fjords, on se rafraîchit un peu… Svendsen était norvégien de naissance mais a vécu à Copenhague, c'est un contemporain de Grieg… Certes un compositeur mineur mais en vacances, un peu de musique fastoche à écouter, ça détend !

- Je vois, une symphonie de trente-cinq minutes, ça suggère une analyse légère pas comme avec Mahler ou Chostakovitch, enfin je pense…

- Bien vu – Sympa ton petit débardeur d'été à fleurs dis-moi, en accord avec la musique du jour… Et ne téléphone pas à #MeToo par pitié pour cette remarque sans arrière-pensée… Pour revenir au norvégien, c'est une très jolie musique classico-romantique qui en effet ne philosophe en rien…

- Hihi, #MeToo ne s'occupe pas de tenues vestimentaires mais d'horreurs plus graves… J'avoue aimer être coquette, là ! Un disque de feu Mariss Jansons ?

- Oui, le regretté chef letton avait mené l'orchestre d'Oslo à un haut niveau technique et guidé dans des répertoires à remettre au goût du jour…


Johan Svendsen par Hans Heyerdahl

C'est fou toutes ces découvertes de compositeurs bien peu connus dans nos contrées, et cela depuis mes débuts dans le blog il y a douze ans… bigre ! Quelques anglais comme Arnold Bax mais surtout un aéropage de talents nordiques. Et oui, à l'époque, hormis Sibelius, le très célèbre finlandais, Grieg le norvégien et Nielsen le danois (et encore juste pour une 4ème et une 5ème symphonie), je ne connaissais aucune autre figure marquante dans le monde de la musique Scandinave ou Finlandaise. Je peux remercier les Youtubeurs qui créent des vidéos originales, l'outil YouTube proposant des suggestions par association pour enrichir ma discothèque perso et envahissante et, par ricochet, le blog. Citons : Atterberg, Langaard, Melartin, Madetoja, Saariaho, Stenhammar (en projet) … et il en existe d'autres à découvrir suivant mon inspiration ; il y a une liste nourrie quoique très incomplète dans le site Universalis : Karl Birger Blomdahl, Ivar Frounberg, Niels Gade, Joonas Kokkonen, je m'arrête à la lettre K 😊.

 

À la question imaginaire posée par l'animateur du sketch "Télémagouilles", (Clic [12:30]), "citez trois compositeurs norvégiens", le candidat aurait répondu "euh… Grieg, et… Mbappé … euh, non, ben…). Aucune ironie mal placée en parodiant les inconnus et en nommant le jeune surdoué du ballon rond, mais nos amis compositeurs scandinaves sont très sous-estimés en France. Je ne reviens plus sur ce sujet de l'ostracisme des programmes des concerts nationaux. Ils ont souvent des patronymes dont l'orthographe chagrinent Sonia… J'avoue que ma réponse aurait été Grieg et… 😕 ! Donc bienvenu à Johan Svendsen découvert récemment.

Johan Svendsen voit le jour en Norvège à Christiania, en 1840. La ville d'Oslo fondée au XIème siècle dans l'Oslofjord par le roi "viking" Harald III, promue capitale royale sous Håkon V au XIIIème siècle, est détruite lors d'un incendie en 1624. Le roi danois Christian IV aide à la reconstruction et en profite pour monter sur le trône de Norvège. Oslo prend le nom de Christiania en son honneur… En 1925, Oslo retrouve son nom historique ; voici un petit abrégé historique qui explique la grande richesse des sagas nordiques avec des royaumes qui passent de mains en mains au gré des conflits ou des tragédies…



Mariss Jansons vers 1990
XXX

Dès l'âge de neuf ans, le petit Johan joue du violon et de la clarinette. Son père étant professeur et chef d'un orchestre militaire, le gamin rejoindra la fanfare de la forteresse d'Akershus dans laquelle il officiera comme clarinettiste, flûtiste, trombone et percussionniste, logique ! Il se produit dans divers concerts comme violoniste. À l'âge de 23 ans, Johan bénéficie d'un coup de pouce d'un mécène de Lübeck qui a remarqué son talent et intègre ainsi le conservatoire haut de gamme de Leipzig… Il y suivra une solide formation de compositeur de 1863 à 1867 avec Carl Reinecke (1824-1910) ; il n'a pas le choix, un handicap naissant de la main mettant fin à une éventuelle carrière de virtuose… Reinecke, encore un compositeur du romantisme allemand snobé en France… pourtant auteur de très beaux concertos.

Johan Svendsen se tourne vers la direction d'orchestre et sera ainsi reconnu comme un excellent orchestrateur à l'inverse de son compatriote Grieg, ami de Liszt, pianiste virtuose mais dont la production symphonique reste modeste en dehors de Peer Gynt et du concerto pour piano. Johan Svendsen voyagera beaucoup en Europe et même aux USA dans les années 1875-1883. Il se liera d'amitié avec Richard Wagner ; ses symphonies portent l'influence de cette relation. Sa vie sentimentale sera, disons… mouvementée mais je ne m'y attarde pas ; sinon, qu'il semblerait que madame, lors d'un coup de sang, ait jeté au feu un projet de 3ème symphonie

N'étant pas pianiste, Svendsen n'a rien composé pour l'instrument roi du XIXème siècle. À l'inverse sa contribution au répertoire orchestral est variée : les deux symphonies, des rhapsodies norvégiennes dont certaines ont été créées à Paris, deux concertos, etc. On lui doit aussi de belles œuvres de musique de chambre, un octuor, un quatuor et un quintette, plutôt en début de carrière…

Svendsen a vécu de nombreuses années à Paris et surtout à Copenhague où il meurt en 1911.

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Le chef d'orchestre letton Marris Jansons qui nous a quittés en 2019 (RIP et Biographie) a longtemps dirigé l'orchestre philarmonique d'Oslo, nous léguant des interprétations excellentes des cycles de symphonies de Brahms ou de Tchaïkovski. Ce chef formé à l'école du tyrannique mais rigoureux et moderniste maestro russe Mravinsky (Philharmonie de Leningrad pendant 50 ans) nous interprète ici les deux symphonies de Svendsen… plutôt bien servies au disque pour des œuvres que l'on pourrait taxées de "confidentielles".

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Quatre jeunes filles sur un pont (1901)

Ayant dépassé la publication de 725 billets, mes efforts pour les illustrer se sont orientés vers les gravures et la peinture, encore une de mes passions… évidement sélective 😊. Qui dit Norvège dit Edvard Munch, le peintre tourmenté auteur du célèbre "cris", peinture flippante existant en plusieurs versions… Mais l'art de Svendsen n'a aucun rapport avec les B.O. pour film d'horreur, et heureusement Munch a peint des tableaux plus cools, paysages, scènes de la vie quotidienne, etc. Je n'ai pas cherché à rapprocher le propos de la musique avec l'expressionisme de Munch, une petite sélection d'œuvres picturales aux traits francs, c'est tout…

Nous écouterons la 2ème symphonie en premier cette semaine, car plus aboutie que sa grande sœur à mon humble avis, notamment dans son introduction… Il serait dommage que l'écoute des hésitations thématiques dans le prélude de la 1ère symphonie d'un apprenti symphoniste soit sanctionnée par un "bof" et suivi d'un rejet du compositeur…

La 1ère symphonie datée de 1866 accuse une nette parenté avec l'enseignement romantico-germanique de Carl Reinecke qui s'achève et l'étude des symphonies de Mendelssohn et Schumann. La 2ème de 1874, écrite huit ans plus tard montre un compositeur plus imaginatif, plus libre de l'héritage des maîtres romantiques… Il fréquentait depuis 1870 le cercle novateur Liszt-Wagner. La création a lieu le 14 octobre 1876 à Christiania (futur Oslo) et le 8 novembre 1877 au Gewandhaus de Leipzig par Svendsen lui-même.

Pour les deux symphonies, l'orchestration est similaire : 2 flûtes, 2 hautbois, 2 clarinettes, 2 bassons, 3 trompettes, 4 cors (2 groupes de 2), 3 trombones – ténor, alto dans la 1, basse, timbales et cordes. La formation la plus traditionnelle qui soit en cette fin du XIXème siècle. (Partition)


Nuit étoilée (extrait - 1893)

Symphonie N°2 en ré majeur opus 4

1 – Allegro : [00:00] : Svendsen introduit en majesté sa symphonie ; pas d'adagio liminaire, ce n'est plus de mode depuis Beethoven. Une thématique fougueuse jaillit, à la fois rythmée et cantabile et qui charpentera tout l'allegroun leitmotiv pourrait-on dire. Une scansion martiale à trois temps sur les violons II et les altos soutient avec panache un récitatif épique et gaiement articulé réunissant bassons, cors, et cordes graves. Une gaîté due au recours au ré majeur et au style de Svendsen qui aime opposer des groupements instrumentaux bien définis dans son orchestration. [00:44] une conclusion intermédiaire, frénétique par son ardeur, mais sans changement de tempo, l'orchestre jouant en tutti, prépare une reprise finement réorchestrée. En effet, à [00:58] clarinettes et bassons réexposent le leitmotiv. [01:15] Flûte I et hautbois puis clarinette et bassons chantent deux courts motifs secondaires écrits telle une réminiscence du matériau mélodique introductif. Le style allègre, optimiste et romantique de Svendsen se révèle dès ces premières mesures. Le développement et les diverses reprises montreront que Svendsen respecte la forme sonate mais sans académisme, accentuant ainsi la lisibilité des fantaisies orchestrales qu'il affectionne.

 

2 - Andante sostenuto : [???] Les cors suivis par les cordes (sauf violon I) insufflent le climat plus nostalgique de l'andante dont l'exposé du thème principal est confié à la clarinette, thème onirique soutenu par de tendres trilles aux cordes. L'émotion est là, mais ne cherchons pas un dramatisme omniprésent comme dans les grands adagios métaphysiques d'un Bruckner ou d'un Mahler. L'orchestration s'étoffe pour déployer ce thème jusqu'à [11:20] ou, après un charmant solo de flûte, une transition permet au hautbois d'énoncer le second thème. Cet andante empreint d'un profond lyrisme est une page majeure tant pour le compositeur que pour la musique du pays des trolls…  Suivront des solos de cors, de clarinettes… 

Oslofjord - Plage du Nord (1910)

On notera un goût prononcé de Svendsen pour la rythmique incisive des cordes. Comme dans l'allegro, l'orchestration variée évite des associations instrumentales parfois lourdes. On appréciera, comme précisé avant, la succession des solos : [11:40] cor, [11:56] deux clarinettes, puis l'ensemble des vents… Et dans le passage central, le compositeur n'hésite pas à chercher un certain pathétisme… [15:42] Une petite ballade facétieuse du hautbois nous entraîne vers une coda glorieuse, une originalité en fin d'un andante…

 

3 – Intermezzo : Allegro giusto : [17:22] : Le scherzo fera songer à Sibelius et une fois de plus une rythmique affirmée est au rendez-vous, que ce soit à l'aide des pizzicati des altos et des violoncelles vs contrebasses ou à l'écoute du chant cadencé et allègre de la clarinette, puis de la flûte en complicité avec le basson, et enfin le hautbois… L'ensemble forme le premier bloc thématique du scherzo. [18:03] La seconde idée, plus rugueuse est confiée aux cordes ; les vents faisant silence ! [18:57] élégiaque et mélodieux le trio débute aux cordes avant que bassons, clarinettes et hautbois n'interviennent avec volubilité. [19:40] Le scherzo n'en est pas vraiment un en l'absence de reprise da capo. Svendsen s'inspire très librement de la forme imposée, le titre Intermezzo est vraiment un bon choix face à cette excentricité. Il y a même une humoristique coda ! J'y entend presque du Dvořák dernière manière et le Grieg du Peer Gynt est proche… 


Printemps, amoureux du rivage (?)

4 – Finale : Andante-Allegro con fuoco : [22:10] : Dans le premier mouvement, de certaines symphonies de Beethoven, l'allegro initial s'élance bille en tête, sans réflexion méditative initiale. À l'inverse, Svendsen débute son final sereinement, sur un tempo paisible, un andante d'où émergera un fringant allegro comportant pas moins que quatre thèmes différents, fichtre ! Les cordes entonnent un thrène empreint de gravité qui précède un récapitulatif organisé autour du thème de l'andante ; bassons et violons II alternant avec la clarinette dialoguent paisiblement, évoquant une douce journée en pleine nature.

[24:08] Facétieux Svendsen qui enchaîne par une pittoresque cavalcade légère et un tantinet humoristique accelerando et crescendo, flûtes, hautbois, bassons, cors et cordes en trilles pour nous inviter à l'allegro proprement dit… [24:39] Suivant quelques mesures fff trépidantes de l'orchestre, apparaît un motif de transition festif et pastoral joué par les cordes seules et à l’unisson. Une musique vive, colorée, radieuse… 

[24:44] et voici le premier thème, bref, lancé énergiquement molto crescendo par les violons. S'en suit un premier et pugnace développement où les cuivres font enfin une entrée remarquée ! [25:18] Le contraste entre cette belle énergie et le thème 2, flûte, clarinette puis altos concertants, ne laisse pas indifférent par sa malice. [25:50] Tout aussi surprenant sera le thème 3, retenu et bucolique, une variation sur le thème introductif. [26:17] Et Svendsen, très en verve, ajoute un bref thème 4 poétique chanté par la flûte, le hautbois et les violons I.

La symphonie se conclura sous forme d'alternances marquées de passages courts mêlant tous ces motifs, le calme puis la tempête et inversement. Voici un homme qui a travaillé avec générosité le final de sa symphonie, une œuvre dans l'œuvre, ce n'est pas si courant, même l'immense Schubert maîtrisait avec difficulté ce travail avant la symphonie en Ut, la dernière. Cette course-poursuite échevelée ne se révèle jamais excessive ou braillarde, bien au contraire, pétulante ? Absolument.

Écoute au casque ou avec des enceintes additionnelles plus que conseillée.

Le son des PC, sauf exception, est vraiment une injure à la musique…


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Discographie alternative

- Non Sonia, je n'ai pas d'actions chez le label Chandos, et je n'ai jamais eu l'honneur de partager un café avec Neeme Järvi

Les jaquettes des albums sont classées par ordre de parution.

Tiens avant, juste un commentaire : à l'époque Karajan pour DG, un cadre jaune occupait un tiers de ladite jaquette et souvent une photo du maestro extatique occupait le reste, un syndrome du culte de la personnalité… mais au moins on savait grâce au cadre ce que l'on allait écouter ! Donc pour CPO et Chandos, enfin cette fois-ci, les photos sont cools, là n'est pas le reproche, mais l'initulé Orchestral works ou Symphonic works n'est pas très explicite quant au programme… Oui, OK, c'est marqué au dos du boîtier mais quand on cherche quel volume propose la 2ème symphonie (parmi 3), ça m'agace !

- Enfin Claude, tu as passé l'âge de t'agacer pour de tels détails…

- Comment ça ? je m'agacerai jusqu'à la tombe si le cœur m'en dit ! Va donc ranger le bocson qui te sert de bureau !!!

- Bou houhou… t'es pas gentil, d'autant que… non rien  !!!

Vous avez forcément noté qu'à chaque fois que je chronique une œuvre d'un compositeur quasiment inconnu (euphémisme) dans l'hexagone, le label Chandos de la perfide Albion propose une et même deux gravures récentes de ladite œuvre du jour, interprétée(s), par des artistes de renom et soigne sa technique d'enregistrement au Top niveau…

Commençons par Neeme Järvi, le chef letton octogénaire, membre honoraire du blog, qui avec ses 500 albums ne pouvait pas laisser passer l'opportunité de s'intéresser à Svendsen… En 2013 il fait paraître trois volumes comportant bien évidement les symphonies… (Volume 2, j'ai vérifié 😊). Il avait déjà gravé les deux symphonies pour le label Bis avec l'orchestre de Göteborg. Ici l'orchestre de Bergen se montre à la hauteur des difficultés rythmiques et des exigences de la partition au niveau des couleurs instrumentales, prise de son équilibrée ; en résumé la version concurrente de Jansons (Chandos – 2013 - 4/6).

En 2008, le label allemand CPO a publié une intégrale en 3 CD de la musique de Svendsen. Euh… je n'aime pas trop dénigrer. L'Orchestre Symphonique National de Lettonie incolore ne brille pas dans une interprétation morose, un comble. Le chef norvégien Terje Mikkelsen (1957-) pourtant talentueux n'obtient aucun éclat de sa phalange, pourtant il y a de jolis solos, donc des individualités méritantes comme on dit au foot… Une déception relative car c'est là la seule intégrale en un coffret unique à prix bas. (CPO – 2008 – 3/6).

Beaucoup plus animée et raffinée, la vision de Thomas Dausgaard avec l'excellent orchestre de la radio danoise se révèle chantante, articulée, mettant en valeur l'orchestration du symphoniste norvégien… Encore une publication Chandos et une prise de son aérée… Bref, le second disque réunissant les deux symphonies et donc pleinement rival de l'album Jansons pour EMI plus ancien (Chandos - 2000- 4/6). (YouTube).


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