mercredi 16 août 2023

Fredrich BROWN " Martiens Go Home " (Martians Go Home") - (1954)


     Voilà bien des années que les humains s'interrogent sur l'intrigante planète Mars. Depuis que Lewis a avancé qu'il y avait des canaux et que cela ne pouvait qu'être l'œuvre d'une intelligence extra-terrestre. Ensuite, il y a eu H.G. Wells qui eut une idée de génie avec son célébrissime roman "La Guerre des Mondes". Et lorsqu'un autre Welles (une conspiration ??), Orson de son prénom, eut l'idée d'en faire une adaptation à la radio américaine, provoquant alors un sacré foutoir et une panique presque nationale (on a par la suite beaucoup exagéré ), cela n'a plus quitté l'imagination populaire. Probablement plus intensément en Amérique du Nord qui a été très tôt bien fourni en littérature. Outre HG Wells donc, Edgar Rice Burroughs - plus connu pour être le "père" de Tarzan - avait lancé dès 1912 le Cycle de Mars.

     Enfin, le cinéma de Science-Fiction des années 50 exploite le filon jusqu'à plus soif, à toutes les sauces. Parfois sans craindre le ridicule. 


   En 1954, un auteur qui aime manier la dérision et l'humour s'empare du sujet. Il transpose l'histoire dix années plus tard, en 1964 et propose une nouvelle approche, nettement plus portée sur l'humour. Bien des années avant Tim Burton, qui a probablement dû dévorer les écrits de l'auteur.

"... Un coup fut frappé à la porte. Il la regarda avec stupéfaction avant de poser son verre et de se lever. Dans le silence du soir, il aurait forcément entendu, une auto, et à pied, personne ne se serait promené ici. (la porte en question est celle de la cabane de deux pièces, à plus d'un mille d'Indio, Californie) 

- "Salut Toto ! C'est bien la Terre, ici ?" 

- "Oh non ! Ce n'est pas possible !!"

- "Ah ? On dirait que si pourtant. Une seule lune, dont les dimensions et les distances correspondent. Il n'y a qu'une planète dans le système à en avoir qu'une, et c'est la Terre. La mienne en a deux"

- "Ciel!!!" dit Luke (1)

- "Allons Toto, mettons les choses au point. Est-ce que c'est la Terre, oui ou non ?"

- "Tu te sens mal ? C'est ça, ta façon d'accueillir les visiteurs ? Tu ne vas pas m'inviter à entrer ?"

- "S-s-si vous voulez vous donner la peine... déclara Luke en reculant

- "Quelle piaule minable! ..." - "... au fait, dis-moi, est-ce que je suis vraiment tombé sur un monstre, ou bien est-ce qu'ici tous les gens sont aussi moches que toi ?" "


   C'est à peu près ainsi que débute l'histoire de Luke Deveureaux. Un auteur de Science-fiction, qui a dû partir s'isoler dans une cabane, avec personne à des miles à la ronde, pour tenter de retrouver une inspiration qui semble tarie. En lieu et place d'une idée, il trouve un mince petit bipède vert, à la tête disproportionnée, au nez proéminent et pointu et aux petits yeux rapprochés. Alors qu'il ne sait pas s'il s'agit d'hallucinations, du début d'une plongée dans la folie, voire, qui sait, d'une incroyable vérité. En rejoignant la civilisation, il découvre que son cas est loin d'être isolé. En fait, à peu près partout sur la planète, sur chaque pan de terre où s'agglutine une certaine proportion de terriens, des Martiens sont apparus. Plus insupportables, impolis, intolérables, épuisants, farceurs, moqueurs, ricaneurs, fouineurs, emmerdeurs, pousse-au-crime les uns que les autres. 


     Il ne s'agit ni d'une invasion, ni d'un contact civilisateur, mais simplement d'un nouveau terrain de jeu pour ces petits bonhommes verts qui ont simplement couimé de leur planète pour s'en payer une bonne tranche au détriment des Terriens. La bonne vieille Terre n'est plus qu'un terrain de jeu pour les affreux jojos qui s'éclatent, jour et nuit, à faire craquer les plus patients et tolérants. Et tous les moyens sont bons, bien que toujours sans aucune violence physique. Leur capacité à couimer dans l'instant d'un bout à l'autre de la planète, aucune pièce au monde ne leur étant inaccessible, rend dorénavant toute intimité impossible... 

     En fait, il y en aurait des millions. Des millions perturbant tous les systèmes qu'on croyait bien huilés. Les religions en prennent un sacré coup, même si bon nombre se font alors plus intègres ou virulents, arguant que ces êtres ne sont que des démons envoyés par le Seigneur pour punir une humanité pècheresse, pour la mettre à l'épreuve. Les télévisions et radios sont en berne, les aliens farceurs empêchant toute forme d'émissions plus ou moins en direct. Tout ce qui tient lieu de divertissement est en faillite, Hollywood compris - impossible de s'attaquer à un film avec des leprechauns extra-terrestres dans les parages. Plus de secrets, même militaires, les Martiens prenant un grand plaisir à les dévoiler. Le bon côté, ce sont les délits d'infractions, de vols, qui sont proches de zéro. Mais malheureusement, inversement, les prisons se remplissent de délits mineurs, le manque de sommeil et l'exaspération ayant raison des plus fragiles nerveusement. Ainsi, les milieux carcéraux et hospitaliers sont les seuls débordant désormais d'activité ; avec les instituts psychiatriques en pleine expansion.

     Sans qu'aucune arme soit brandie, sans aucune violence physique, ces impitoyables petits hommes verts ont en quelques semaines seulement raison de l'économie de toute une planète. La plongeant dans une crise faisant passer celle des années 30 pour une joyeuse partie de festivités. Est-ce la fin de l'humanité ? Où y-aurait-il une solution pour échapper à ce fléau ? Mais inutile d'en dire plus, au risque d'ôter toutes saveurs au livre.

     Un petit livre de moins de 200 pages qui se lit avec facilité dans la journée. Certainement pas le meilleur de l'auteur (pour cela, il conviendrait de se tourner vers le plus copieux "La Nuit du Jabberwocky") mais un bon moment d'originalité. Même si depuis il a servi de terreau à de nombreux auteurs - de la bande dessiné au cinéma. Quand il a n'a pas été carrément pillé.

     Fredric Brown a bien cerné le genre humain qu'il dépeint avec humour et fantaisie. Son esprit affûté et son entrée précoce à seize ans dans la vie active l'amène à exercer divers petits boulots en tout genre, tout en essayant de poursuivre des études. Avec le décès prématuré de ses parents, il n'a plus d'autre choix que de se consacrer au travail au détriment des études qu'il ne peut longtemps poursuivre. Cette immersion dans le monde du travail, lui faisant toucher divers secteurs, lui donne une vision critique de ses contemporains. Une vision qu'il utilise à bon escient, visible dans ses nombreuses nouvelles et rares romans, lorsqu'il a enfin l'opportunité d'écrire. Toutefois, plutôt que d'en faire un pamphlet acerbe, il préfère manier l'humour pour dénoncer les travers et les absurdités de ses compatriotes. Comme s'il nous tendait un miroir, sans autorité, ni condescendance, plutôt avec compassion, dans l'espoir qu'on puisse se corriger. Evitant les tirades moralisatrices sérieuses et pompeuses. C'est que lui-même n'est guère exempt de défauts, à commencer par son goût prononcé pour le whisky et le bourbon - d'où les références récurrentes au tord boyaux dans bon nombre de ses œuvres -, qui auront raison de son travail et de sa santé.



(1) Luc in french, comme notre docteur ès-cinéphile, auquel toutes les revues du territoire ont au moins une fois offert un pont d'or pour qu'il rejoigne leurs rangs. Mais il est incorruptible, le Luc B.

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