vendredi 25 août 2023

JACQUES BAINVILLE "Histoire de France" (1924) vs LAURENT JOFFRIN "Le roman de la France" (2019) par Luc B.

Les vacances, c’est pas fait pour glander. On a toute l’année pour ça… Le déclic a eu lieu à la sortie du film JEANNE DU BARRY, mais déjà avec LA REINE MARGOT de Chéreau et ses imbroglio politico-religieux, je m’étais promis de réviser mon histoire de France. A côté, le synopsis de Game of Thrones  c’est de la petite bille, une blague Carambar. Dans le genre trucidons-nous joyeusement en famille, l’histoire de France, ça se pose là !

J’ai opté pour un classique du genre, HISTOIRE DE FRANCE de Jacques Bainville (1879-1936 - photo à gauche, ça ne lui aurait pas plu !), écrivain, journaliste et historien, qui déroule les faits depuis Vercingétorix jusqu’à la première guerre mondiale. Forcément, l’ouvrage a été écrit en 1924.

Qui jouit d’une grande réputation – notamment littéraire - mais le souci, c’est que Bainville était encarté politiquement, figure de l’Action Française, monarchiste convaincu, adepte de la doctrine de Charles Maurras, qui ne passait pas pour le plus rigolo de la bande. 

Dès les premières lignes, le livre suinte sa haine du peuple allemand (il faut remettre l'auteur dans son contexte). Et puis dans le premier chapitre, bien avant Clovis, on y parle déjà de la grande et belle France, avec des trémolos dans la voix. Y avait-il déjà une France au IVème siècle, au sens chrétien du terme, quand l'empereur de Rome Constantin se convertit à cette religion ? Dans sa préface, Franz-Olivier Giesbert indique que Bainville a su mettre de côté ses opinions pour dresser une histoire objective du pays. On le croit sur parole.

Du coup, je m’suis dit qu’un autre regard sur l’affaire ne ferait pas de mal, avec LE ROMAN DE LA FRANCE de Laurent Joffrin, journaliste écrivain lui aussi, qui a passé pas mal de temps à "Libération", quotidien pas franchement monarchiste. Les deux ouvrages se complètent parfaitement. J’ai lu le Joffrin en premier, ce que je conseillerai à ceux que l’exercice intéresserait.

Il est parfaitement exact que Bainville avait une sacrée plume, il rend compte des évènements parfois non sans malice, la verve patriotique, on a l’impression de l’écouter perché sur sa chaire d’historien. Je n’ai jamais testé de livre-audio, j'imagine qu’un Denis Podalydès nous passionnerait avec ce texte. 

Jusqu’à l’avènement de la République, la succession des rois était conforme à la loi salique, c'est l'héritier mâle qui porte la couronne. Dans certains boulots, être fils-de ça ouvre quelques portes… Le suffrage universel a finalement du bon, ne serait-ce que nous éviter une litanie de De Gaulle II, III, IV, V...

Au tout début y’a eu les mérovingiens, appelés ainsi à cause de Mérovée, le grand père de Clovis. Puis les carolingiens avec Pépin le Bref et surtout Charlemagne. Puis les capétiens du nom de Hugues Capet, et là, c’est du CDD très longue durée. Avec un p’tit virage subtilement négocié au moment d’Henri IV, qui n'était pas le fils de Catherine de Médicis, mais son gendre. Protestant de Pau, le futur IV avait épousé la catholique Marguerite (future Reine Margot) pour désamorcer une situation explosive (qui explosa quand même, la Saint Barthélémy). Comme Henri IV s’appelait avant Henri de Bourbon, la dynastie capétienne devient les Bourbons.

C’est une période passionnante mais difficile à suivre, quand en plus des histoires de familles déboulent les bisbilles entre catholiques et protestants. Et pire : les rois d’à côté, en Angleterre, Espagne, sont aussi issus des mêmes familles, mariages politiques obligent. Et que je te refile ma fille, et que tu épouses mon frère. Ca me rappelle cette réplique de De Funès dans "La Folie de Grandeurs" : « Le roi répudie la reine, la vieille épouse le perroquet, César devient roi, je l'épouse et me voilà reine ! »

Que ce soit chez nous, outre-Manche ou outre-Rhin, ils portent tous les mêmes prénoms (la tradition veut que l'héritier du trône, le fils généralement, porte le même nom que son père) Charles, Henri, Philippe, Louis. On ne les a numérotés que plus tard, d'où l'utilisation de surnoms coquets, du genre Le Gros, Le Bel, Le Chauve, Le Hardi, Le Fou, Le Bègue, Le Chevelu... 

Bainville et Joffrin n'ont pas le même regard sur la Régence (transition entre Louis XIV et XV), période de toutes les alliances et guerres en Europe, un jeu de dominos diplomatiques qui donnent le tournis. On se rend compte qu’à part quelques moments de répit par ci par là, on s’est foutu sur la gueule avec nos voisins pendant des siècles. La fameuse guerre de Cent ans n'était qu'un apéritif. C'était bon pour l'orgueil royal, qui tentait d'étendre son influence alors que personne ne lui demandait (le paroxysme est atteint avec Napoléon) mais ça vidait les caisses de l'état. Et qui renflouait ensuite les caisses, puisque les nobles et le clergé ne payaient évidemment pas l’impôt ?... Ceci jusqu’en 1914, où les guerres deviennent carrément mondiales.

Le petit bémol avec Bainville, c’est qu’il connaît tellement son sujet, qu’il pense ses lecteurs au même niveau d’érudition. Il est souvent dans l’analyse, pertinente, le commentaire, citant le travail de l'historien Jules Michelet (1798-1874) et cela se ressent davantage sur la période qui lui est contemporaine. C’est de l’Histoire pour nous, cent ans plus tard, mais de l’actualité pour lui, à l’époque. Exemple avec le président Sadi Carnot, cité une fois, rapidos, dont on apprend trois pages plus loin qu'il est mort assassiné. Par qui, quand, pourquoi ? Obligé d’aller sur Wiki pour avoir l’info. De même pour savoir de quel Philippe d'Orléans on parle, il y en a eu tellement... 

C’est pour cela que lire le bouquin de Joffrin (photo à... droite) en premier est la bonne méthode. Le style est moins flamboyant, mais plus précis, didactique, et là encore avec un pincée d’ironie lorsqu’il remet les choses dans le contexte actuel. Comme la fumeuse théorie du Grand remplacement de Camus (pas l'écrivain) mise en parallèle avec le royaume des Francs et les invasions successives de barbares qui ont fait ce que nous sommes aujourd’hui, ou les fiers bretons chers au Menhir le Pen (la souche française) qui n'étaient ni plus ni moins que des réfugiés politiques Normands (hommes du nord chassés de l’actuelle Angleterre).

Joffrin, qui écrit cent ans plus tard que Bainville, a sans doute eu sous les yeux davantage de documentations, en tout cas plus récentes. Il évite les portraits stéréotypés, comme le « noble Vercingétorix » grand blond à la moustache altière (chez Bainville). Joffrin introduit ses chapitres par une description de tableaux ou images célèbres, de celles qu’on trouvait dans les manuels d’Histoire, pour ensuite nous dire, bon… ça ne s’est pas vraiment passé comme ça…

Joffrin parle de l’histoire de France mais aussi de l’histoire des français. Nuance. En moins encyclopédique que la géniale "Histoire populaire des États Unis" d'Howard Zim. Les joyeux de la couronne chers à Bainville, c'est une chose, mais il y avait aussi le peuple que l’historien monarchiste laisse sur le bord de la route. Illustration avec l'épisode Etienne Marcel, vers 1350, prévôt des marchands de Paris (sorte de président de la chambre de commerce) qui tient tête au roi, défend les intérêts des commerçants, des bourgeois, héros des États Généraux par trois fois organisés. Cela va finir en quasi guerre civile. Joffrin le présente comme une grande figure annonciatrice de 1789, quand Bainville passe rapidement sur son cas.  

Joffrin n'omet pas non plus l’esclavagisme, la colonisation, l’inquisition, les famines et épidémies, les découvertes scientifiques (l’imprimerie qui jouera un rôle essentiel dans la diffusion des idées, Gutenberg vu comme le Steve Jobs de l’époque !), les philosophes des Lumières, totalement absents ou sacrifiés en trois lignes chez Bainville. Joffrin porte un regard plus républicain sur les évènements. Son livre s’arrête au début de la Révolution, un tome 2 est annoncé.

Les deux bouquins sont passionnants. On regrettera que l’édition du Bainville (en poche chez Tempus) soit truffé de coquilles liées à la ponctuation à presque chaque page, rendant la lecture (très) pénible à suivre. La mise en page du Joffrin est plus aérée, avec des petits résumés, des transitions, des sous-titres.

Pour les néophytes comme moi, c’est celui que je conseillerai en priorité.

Le Bainville chez Tempus - 550 pages.

Le Joffrin (tome 1) chez Tallandier - 460 pages.


5 commentaires:

  1. Le yin et le yang, en somme. La vérité doit se trouver entre les deux.
    "Dans certains boulots, être fils-de ça ouvre quelques portes…"
    Oui, en France, dans le cinéma et la chanson, c'est même fortement conseillé...

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  2. Ah ah ! J'vous attendais sur le sujet, j'ai presque pensé à vous en écrivant cette vanne !

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  3. Il y a deux problèmes avec l'Histoire.
    Le premier c'est que c'est une science, qui repose sur des recherches, de la documentation, de l'analyse, sur des documents ou des témoignages d'époque ... historien, c'est un boulot à temps plein ...
    Le second, c'est l'interprétation des faits qui passe par la subjectivité de celui qui les relate plus tard, vu que dans la plupart des cas, tous ceux qui ont vécu les événements sont morts depuis des siècles ... y'a pas un historien qui fasse l'unanimité (de son vivant), et surtout pas Michelet, dont chaque ville a un lycée ou une rue qui porte son nom ...

    Ensuite y'a les "historiens" wikipedia, qui ont jamais étudié l'Histoire, qui se sont "documentés" sur le Net, ont fait quelques copier-coller avec trois phrases de transition, et prétendent nous apporter de nouvelles références sur telle ou telle période ... comme si ça suffisait pas avec des jean teulé ou des lorant deutsch, voilà que le joffrin s'en mêle. J'ai rien contre lui, plutôt sympa (faut en vouloir, assumer une position plutôt de gauche sur cnews, en débattant avec les praud, d'ornellas, messiha, levy, et autres sbires à bolloré); mais voilà, joffrin, il a pas le cursus pour donner un avis d'historien ...

    Conclusion, plutôt le nationalisme de Bainville (même si 500 pages pour vingt siècles, c'est un peu léger), que la vision bobo de Joffrin (au cas où il me viendrait à l'idée de lire un des deux)

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  4. Shuffle Master.26/8/23 14:44

    Je suis assez d'accord avec Lester sur le cas Joffrin, qu'il est difficile de prendre au sérieux. Ça va pour occuper un strapontin sur les chaînes d'info en continu, mais c'est tout. Pour les ouvrages historiques (le domaine m'intéresse aussi), je choisis la période et je regarde ceux qui font (à peu près) autorité). On s'aperçoit que certaines périodes - le début du Second Empire, par exemple, avec la Société du 10 décembre, sorte de proto-SAC, restent assez mystérieuses alors que pour d'autres, on frôle l'indigestion (Napoléon Ier, Louis XIV).

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  5. Le Joffrin, on me l'a passé, je l'ai donc lu, et j'ai trouvé cela très intéressant. Contrairement au Bainville, acheté parce qu'il est présenté comme un must-have. Quand on regarde la liste des publications de Joffrin, y'en a pour tous les gouts, de l'essai, à l'Histoire, au roman, j'apprends ainsi qu'il a repris la série des Nicolas le Floch, au décès de Jean François Parot. Qu'il écrivait aussi une autre série de polars napoléoniens. C'est en tout cas une bonne porte d'entrée pour approfondir telle ou telle période, je pense que s'il sort le tome 2, j'irai jeter un oeil.

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