mercredi 23 août 2023

Clifford D. SIMAK " Demain les chiens " ( "City ") - 1952- by Bruno



     - "Qu'est-ce que c'est que l'homme ? " - "Qu'est-ce que c'est qu'une cité ?" - "Qu'est-ce que c'est que la guerre ? " Autant de questions que se posent les chiens, en particulier les jeunes chiots à l'écoute de récits ancestraux remontant du fond des âges. On ne peut donner à ces questions de réponse catégorique. Les hypothèses ne manquent pas, ni les théories, ni les suppositions les mieux fondées, mais rien de tout cela ne constitue véritablement une réponse. Il ne s'agit là que de contes. L'Homme n'existe pas et la cité 
non plus, et d'ailleurs, ce n'est pas la vérité qu'on recherche dans une légende mais le plaisir du conte.

     ... Qu'il s'agisse d'une légende fort ancienne et, selon certains, extra-canine, c'est une thèse qui s'appuie sur l'abondance remarquable dans les contes de mots, de phrases et même d'idées qui n'ont jamais pu avoir aucune signification. ... Cette édition de contes n'entend pas entrer dans le détail des nombreux arguments techniques invoqués en faveur ou à l'encontre de l'existence de l'Homme, à propos de l'énigme de la cité, des diverses théories relatives à la guerre et de tant d'autres questions qui viennent harceler quiconque voudrait trouver à la légende des racines historiques acceptables. ... Pour ceux qui désirent mieux comprendre les textes et les problèmes qu'ils soulèvent, il existe nombre d'ouvrages dus à des Chiens plus qualifiés que l'éditeur de ce livre.


   ... l'opinion générale est que la créature appelée Homme n'a jamais existé, et que l'être, qui apparait dans la légende, n'est qu'issue de l'imagination populaire. Peut-être l'Homme est-il apparu à l'aube de la culture canine comme un être mythique, une sorte de dieu, dont les Chiens pouvaient invoquer l'assistance. En dépit de conclusions dictées par le bon sens, il se trouve des auteurs pour voir dans l'Homme un dieu plus ancien, un visiteur venu d'une terre mystique ou d'une dimension étrangère, venue passer quelque temps pour guider les premiers pas de la civilisation canine, et puis qui est reparti d'où il venait. D'autres encore croient que l'Homme et le Chien ont pu se développer côte à côte... Le plus déconcertant rencontré en abondance au cours de ces contes, est cette vénération dont l'Homme, semblait-il, était l'objet. Cette vénération dépasse le culte d'un dieu tribal.

     "Ne prenez pas ces textes trop à cœur car le désarroi, sinon la folie, guette ici le chercheur trop anxieux de savoir ".

     Voici quelques extraits choisis de la note de l'éditeur (canin) intronisant ce recueil de huit contes. Huit contes conservés et étudiés par la civilisation canine depuis d'innombrables générations. Huit contes autant porteurs de fascination que d'interrogations. Dans le livre - un recueil - chaque conte est intronisé par une réflexion mettant en lumière les écrits de trois célèbres philologues. L'un campant sur ses positions refusant tout trait historique de l'Homme, sachant qu'il n'existe aucune forme de vie intelligente aussi avancée que celle des Chiens ; un second voyant dans ces contes une symbolique mythologique restant encore à déchiffrer le sens. Et un troisième, plus interrogatif, n'écartant pas la possibilité d'un fond réel remontant à des temps immémoriaux, et donc probablement déformé. Cependant, visiblement, les Chiens ne comptent pas d'archéologues dans leurs rangs qui auraient pu éclairer sur la plausible part de réel de ces contes.

     Dans le livre, les contes sont classés chronologiquement, commençant à une époque où la civilisation des Hommes affronte un bouleversement mondial. Ces créatures mythiques, les Hommes, ont finalement réussi à domestiquer une énergie, l'énergie atomique, et l'agriculture de masse est définitivement abandonnée au profit de la culture hydroponique. Ces bouleversements entraînent les Hommes à quitter des cités où ils s'étaient agglutinés tels des fourmis. "La cité est un anachronisme. Elle a d'abord été un emplacement tribal, où l'on se rassemblait pour se protéger les uns les autres. Plus tard, on a élevé un mur autour pour une meilleure protection. Puis le mur a disparu mais la cité a continué à vivre en raison des commodités. Elle s'est perpétuée jusqu'à l'époque moderne parce que les gens étaient obligés de vivre à proximité de leur travail, et que ce travail était dans la cité".

     Le conte suivant fait un bond en avant de quelques décennies. L'Homme commence à quitter la Terre, cherchant à "repousser la frontière", trouver d'autres contrées où s'établir. Une quête éperdue, sans fin. L'auteur du conte, se demande si depuis des millénaires, l'Homme, qui depuis la préhistoire n'a jamais cessé d'être dans le conflit, ne fait pas fausse route. Si, pour son salut, il ne devrait pas chercher une source de pensée dénuée de tout ce lourd et indélébile passif de l'Homme, pour fonder une nouvelle philosophie qui pourrait alors éclairer un nouveau chemin. Peut-être celui d'une rédemption.


   C'est finalement ce qui va se produire lorsque les Chiens finissent par remplacer une civilisation en déclin, dont les derniers descendants ont quitté la Terre dans l'espoir de trouver une inaccessible harmonie ou une quelconque plénitude sur une autre planète. Des Chiens qui, assistés par un système robotique fourni et pérenne, vont s'épanouir tranquillement dans une nouvelle civilisation dépourvue de discorde, d'hostilité, de luttes générées par la soif insatiable du profit et le goût amer de la jalousie.

     Progressivement, au fil des siècles, ces contes décrivent indirectement, par l'intermédiaire de quelques mythes, la chute de l'Homme et la longue et discrète émergence des Chiens. Des chiens auxquels il n'aurait longtemps que manqué la parole, par faute d'une physionomie inadéquate. Mais n'était-ce pas l'Homme, aux sens limités, qui ne comprenait pas ? Jusqu'à ce qu'un Homme-savant intervienne, effectuant chirurgicalement des mutations appropriées. Des mutations génétiques artificielles qui vont finalement lentement se transmettre par l'ADN. Une théorie qui semble bien farfelue. 

     Plus tard encore, après de nombreux siècles, la société des Chiens évolue également. Notamment grâce à ses sens propres. Ceux dont les humains ont toujours douté ; à savoir, la perception des horlas. Ce qui les a fait aboyer dans la nuit, courrouçant leurs maîtres incrédules - et le proche voisinage.

     Parallèlement, une autre espèce terrienne, qui n'avait plus évolué pendant des éons, prend elle aussi, grâce à une aide externe salutaire, le chemin de l'évolution. Nettement plus lente mais peut-être plus déterminée, elle aura aussi un impact significatif. Peut-être deviendra-t-elle un nouveau danger.

     Dans les années quarante, l'auteur Clifford D. Simak tisse en huit contes - publiés successivement avant de faire l'objet d'un recueil en 1952 (sous le titre original de "City") - une fable sur une humanité perdue dans ses travers et ses paradoxes. Une réflexion, critique douce-amère, sur une civilisation rigide et aveugle, engoncée dans ses certitudes. Vu les années séparant la publication du premier conte, 1944, et aujourd'hui, bien des choses peuvent paraître désuètes. Cependant, étonnamment, d'autres peuvent sembler visionnaires (il prédit déjà la crainte d'une attaque nucléaire qui va aux USA impacter les années 50 et une partie des soixante - et la tondeuse robotique... - ). Au moins avant-gardistes en matière de vision et d'approche de la science-fiction (ce qui ne l'empêche pas de devenir dans les années soixante un journaliste scientifique, dont le travail pour une vulgarisation à même d'être comprise par les néophytes sera salué). En avance de plusieurs décennies, on y trouve aussi un plébiscite pour une écologie qui, à l'époque, est encore loin d'être une mode, un sujet d'actualité et/ou une nouvelle force (ou outil) politique. Son enfance dans la ferme durement acquise de son père et sa proximité avec les animaux, se ressent dans plusieurs de ses œuvres. C'est aussi un plaidoyer contre la futilité de la guerre (l'Europe sort de la seconde guerre mondiale tandis que les USA s'engouffrent dans divers conflits et guerres) mais aussi la nécessité de se remettre en question, au risque de s'enliser dans une forme de décadence.

En 1973, pour parfaire son œuvre, Simak ressent le besoin d'écrire un neuvième conte, "Epilogue".

Un petit livre n'atteignant pas les 300 pages, qui demeure, en dépit de son âge, un classique, généralement plébiscité par les amateurs du genre, l'érigeant parfois au rang envié d'incontournable.




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