vendredi 28 juillet 2023

OPPENHEIMER de Christopher Nolan (2023) par Luc B.

Ca y est ! Enfin ! J’ai tout compris à un film de Christopher Nolan, et du premier coup. Sur le papier ce n’était pas gagné, Nolan parlant de fission nucléaire, y’avait comme qui dirait une petite appréhension. Mais une fois passées ces trois heures remplies ras la gueule, on se rend compte que la bombe H n’était finalement que le sujet secondaire du réalisateur, qui s’intéresse surtout aux enjeux éthiques et politiques de l’affaire. Si vous attendez de gros champignons atomiques qui explosent en 3D, vous allez être déçus.

D’explosion, on n’en voit qu’une, et même pas en 3D. De la vraie, comme on bon vieux temps, comme lorsque Coppola faisait vraiment larguer du napalm pour la première scène d’APOCALYPSE NOW. C’est là que Christopher Nolan surprend son monde, avec ce double récit : comment et pourquoi Robert Oppenheimer est devenu le directeur du projet Manhattan, mais surtout, qu’elles ont été les conséquences sur le reste de sa vie.

Un premier récit, en noir et blanc, se situe en 1954. Lewis Strauss (remarquable Robert Downey Jr enfin débarrassé de son ridicule costume d’Iron Man) est auditionné devant une commission chargée de statuer sur son éventuelle entrée au gouvernement. Strauss, qui a dirigé la Commission de l’Energie Atomique, est notamment interrogé sur ses relations avec Robert Oppenheimer. Ce même Oppenheimer qui dans un second récit, en couleurs, est lui aussi interrogé en huis-clos, sur sa carrière, ses études en Europe, et ses liens avec le parti Communiste. Nolan insert dans cette première partie de longs flash-back sur le parcours universitaire d’Oppenheimer, petit génie aux chevilles légèrement gonflées qui lit le sanskrit, et maîtrise le néerlandais en six mois. Ses recherches et sa réputation lui valent d'être recruté par le colonel Leslie Groves (Matt Damon) pour diriger un projet ultra-secret dans le désert de Los Alamos : la fabrication de la première bombe H. 

Dans tous ses films, Nolan maltraite la chronologie (MEMENTO, INCEPTION ou TENET), celui-ci ne fait pas exception, par la construction de son scénario. Le travail d’écriture sur ce film est phénoménal. Ce qui est compliqué, ce ne sont pas les équations au tableau, les maths quantiques, les neutrons qui canardent des atomes d’hydrogène, mais la multitude de personnages. Et la manière dont Nolan les filme n’est pas la plus lisible qui soit.

Nolan tourne en pellicule, au format 65mn (en IMAX), le must. Support logiquement destiné à des trucs comme LAWRENCE D’ARABIE ou 2OO1. Sauf que OPPENHEIMER est un film à 70% constitué de gros plans de gars qui parlent dans des bureaux. Les plans ne durent pas plus de trois secondes avec des contrechamps à chaque virgule. Le temps de lire le sous-titre, le mec n’est déjà plus à l’image. Comment peut-on apprécier le travail de la caméra dans ces conditions ? Ca fait parfois penser à du David Fincher. Qu'on se rassure, Nolan réussit de beaux plans d'ensemble, scope magnifié, dans le désert notamment, à l'occasion de l'essai de la bombe.

Un autre truc un peu enquiquinant, la musique omniprésente, des nappes d’accords assez quelconques, y compris sur les scènes dialoguées. Prévoyez par moment des boules Quilès, il y a des effets qui vrillent sérieusement les tympans. Imaginez écouter des battements de cœur avec un stéthoscope, multipliez le volume par mille, ça vous donnera une idée.

Une fois passés ces quelques désagréments - qui n’engagent que moi - OPPENHEIMER est un film tout à fait passionnant. Qui trouve son rythme dans la seconde partie à Los Alamos, la ville entièrement créée en plein désert pour accueillir les scientifiques et leurs familles, qui travaillent au projet Manhattan, avec magasins, église, école, « il ne manque plus qu’un saloon » se lamente la femme d’Oppenheimer (Emily Blunt). Avec ce premier enjeu : fabriquer une bombe H avant celle des nazis, ralentis dans leurs recherches par leur antisémitisme viscéral, puisque tous les scientifiques juifs en sont mis à l’écart, et par les dépenses liées à la guerre. Deuxième enjeu, s’assurer que la bombe ne leur pète pas à la gueule. La puissance de l’explosion est démultipliée par une réaction en chaîne. Les neutrons bombardent les atomes, libérant des neutrons qui bombardent des atomes… Mais est-ce que ça s’arrête un moment ou est-ce que ça continue à l’infini, jusqu’à destruction complète de la planète ? 

Jolie scène avec Albert Einstein (Tom Conti) à qui on demande son avis éclairé, et qui botte en touche. Donc pour connaître la réponse, va falloir en faire péter une, de bombe.

Vous imaginez bien que Christopher Nolan réalise la séquence aux petits oignons, j’en tairai le principe de mise en scène pour ne pas gâcher la surprise. Fallait y penser, c'est très efficace, ça vous scotche au siège une première fois avant de vous achever à la seconde secousse.     

Puis interviennent les questions de géopolitiques, d’équilibre des forces, de dissuasion, d’éthique. Robert Oppenheimer est célébré comme le père de la bombe. Il l’a créée (pas tout seul), mais ne l’a pas lâchée, comme lui dit le président Truman pour apaiser sa conscience. Il commence à douter, tiraillé entre idolâtrie et lynchage. Fabuleuse scène du discours devant des étudiants ovationnant leur héros, frappant des pieds sur les estrades, vrombissement qui étourdit, un public soudain perçu comme irradié, brûlé, par un Oppenheimer tentant de fuir la liesse en écrasant sur un cadavre calciné.

C’est la seule image qui renvoie à l’horreur d’Hiroshima, mais elle se suffit. Et à ces petits détails qu’on reconnaît un grand metteur en scène. Autre scène fameuse face au président Truman qui le renvoie d’un revers de main en concluant « on n’a pas besoin de pleurnichard comme lui ». C’est tout ce terreau qui va être développé dans la troisième partie. On commence à cerner l’implication exacte de Lewis Strauss, le rôle des commissions, les bassesses politiques. Nolan entremêle toujours ses deux récits, celui d’Oppenheimer, celui de Strauss, en captant parfaitement l’air (vicié) du temps, celui du maccarthysme, des procès bidons où on déterre les dossiers, où on biaise les témoignages.

OPPENHEIMER dure trois heures, et on les sent passer. Au bon sens du terme. C’est du costaud. Un récit très dense. Nolan empile beaucoup d’éléments, une histoire d'amour avec la psychiatre Jean Tatlock, celle de son couple avec sa femme alcoolique, dont le témoignage devant la commission est un grand moment, Emily Blunt y est superbe. Tout le casting est incroyable, en plus des précités, on croise pour quelques plans des gens comme Casey Affleck, Kenneth Branagh, Mathew Modine, Josh Hartnett, Rami Malek, Gary Oldman.

Christopher Nolan, au contraire d’un James Cameron de plus en plus accro aux jeux vidéo pour gamin, reste un des rares cinéastes contemporains à fidéliser un public avec du grand cinéma populaire et exigeant. Avec suffisamment de pouvoir pour obtenir le final-cut et faire plier les plateformes pour que ses films sortent en exclusivité en salles. Respect.    


Couleur / noir et blanc  -  3h00 -  scope 2:39 65/70mn, Imax    

 

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