De quoi Iggy Pop est-il le nom ?
Voilà la question que tous devraient se poser lorsque vient le moment de chroniquer la dernière production de l’iguane. La plupart discernent deux incarnations du chanteur athlétique. La première est celle d’un gladiateur proto punk, héros nihiliste recourant à diverses substances chimiques pour maintenir sa folie agressive. C’est l’homme qui hurlait comme un damné sur « Fun house », s’enduisait le corps de beurre de cacahuète avant d’être porté par une foule admirative. Personne n’aurait pu imaginer que cet homme flirtant avec la mort, ce fou rongé par l’héroïne, serait encore vivant en l’an 2000. D’ailleurs, il n’était pas là pour pousser la chansonnette éternellement, ses hurlements étaient des cris de kamikaze lancés sur le music business.
Le rock se regardait trop le nombril, se perdait dans de grands concepts pompeux. Le music business avait donné aux rockers l’ambition de faire de leurs œuvres les pierres d’une gigantesque tour de Babel musicale, une construction énorme venant chatouiller les esprits des grands compositeurs disparus. Dans la bible, celui que l’on nomme dieu donna aux hommes différents langages pour les empêcher de terminer l’œuvre sacrilège. Pour le rock, ce fut Iggy Pop qui tint ce rôle d’empêcheur de s’élever en rond.
Après que Dylan lui ait donné des ambitions littéraires, que les Beatles aient initié son flirt avec la grande musique, Iggy Pop réduisait le vocabulaire rock à des beuglements et noyait ses ambitions dans un magma primaire. Mais une telle fougue n’est pas éternelle, elle s’usa aussi vite que ses artères mises à rudes épreuves par des prestations homériques. Alors notre homme se désintoxiqua, enfila un costume de crooner ayant gardé un peu de sa rage passée, avant de produire une série de douceurs plus ou moins réussies. « The idiot » et « Lust for life » furent les plus brillants témoins de cette mue. Convaincu que l’on ne pouvait pas être et avoir été, une bonne partie de la critique vit cet assagissement comme le signe d’une déchéance.
De son coté, fasciné par un mouvement punk qu’Iggy avait en partie fait naître, le grand public fut repoussé par la relative douceur de ses premiers albums solo. Cette incompréhension, en plus de donner à Iggy une réputation de looser magnifique qui perdure aujourd’hui, crée un malentendu qui n’est pas prêt de disparaître. A partir des années 90 – 2000, les rockers firent l’inventaire de leur patrimoine. La plume de journalistes très influencés par Lester Bang aidant, le public se mit rapidement à vénérer le chaos stoogien au détriment d’albums plus originaux.
La critique ressortit de ses cartons « Zombie birdhouse » et « Brick by brick », avant de joyeusement cracher sur le plus audacieux « Free ». Le succès de « Post pop depression » fait exception à cette règle qui veut que l’iguane n’est audible que lorsqu’il gueule comme un putois, mais sa proximité avec le travail de Bowie n’y est sans doute pas pour rien. Le disque rappelait l’époque bénie où le Thin white duke et l’Iguane trouvaient un nouvel élan créatif chez les teutons, le public rock a toujours été friand de ce genre de madeleine de Proust.
Toujours est-il que, six ans après la sortie de « Post pop depression » , la presse encense « Every loser » avec un enthousiasme qui ne lui est pas coutumier. Enfin ! Semble-t-elle crier. Le grand reptile a fait la bonne mue ! Il est de nouveau fringuant comme un python débarrassé de sa peau morte. Produit avec des jeunots issus des rangs des Red Hot Chili Peppers et de Guns’n’Roses, « Every loser » déploie en effet une énergie peu commune. La nouvelle génération s’avérant trop molle, Iggy lui envoie une gifle salvatrice dès les premières notes de « Frenzie ».
Sa maturité lui permet désormais de swinguer comme un Alice Cooper sous speed sur « All the way down ». Il est donc vrai que Iggy retrouve ici une fougue qu’il avait perdu depuis la sortie du dernier album des Stooges, mais cet « Every loser » ne se résume pas à ça. Le crooner n’est pas mort sous les assauts de la bête de scène, il chante encore et ses récits sont pleins de joie et de compassion. Il y a d’abord « New Atlantis », ballade où notre homme exprime sa joie d’avoir enfin trouvé la terre promise sur fond de power pop séduisante. « Morning show » est dans le même ton nostalgique, la voix grave et douce d’Iggy prouvant que l’on peut trouver un havre de paix au milieu du chaos le plus agité. Il arrive également que les deux incarnations de l’iguane cohabitent, comme sur un « Strung out Johnny » tout en énergie contenue, où sur la succession d’explosions post punk de « The regency ».
« Every loser » est un album fait pour ceux qui aiment les deux facettes d’Iggy Pop. Dans ces grondements et entre ses hurlements, c’est toute la grandeur et la classe de l’ex-Stooge qui renaît ici.
Ce type reste une énigme pour moi, bien que je ne sois pas loin de le considérer comme un faiseur. Pas vraiment fan, à part Fun House. Beaucoup de déchet quand même.
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