mercredi 28 juin 2023

Ted NUGENT " Double Live Gonzo ! " (1978), by Bruno

 


   Dans la série des enregistrements en publics du siècle dernier, de l'an 1978, année plutôt prolifique en la matière, et généralement qualitative, il y en a un qui
fit date. Parmi d'autres, car bon nombre de live de cette année-là, allez savoir pourquoi, devinrent des classiques. Fait a priori non aisé sachant que parallèlement, les médias avaient tendance à se focaliser sur tout ce qui s'apparentait au mouvement punk. Un mouvement qui mettait un honneur à cracher sur les "vieux" dinosaures. Serait-ce alors que ces éditions d'enregistrements en public, auraient été une réponse à la vindicte ? Qui sait ?

     Enfin, de l'autre côte des grandes eaux, sur un vaste territoire spolié à des autochtones plus en harmonie avec leur mère nature que nous ne le seront jamais, celui passé maître en l'art de la fanfaronnade, venait de libérer un double album live que beaucoup considère encore aujourd'hui, comme la borne limitant son âge d'or. Une période dorée commençant avec la fin de son premier groupe, dès lors qu'il lui imposa son despotisme, supprimant les oripeaux issus du psychédélisme des années 60, au profit d'un heavy-rock'n'roll des plus teigneux et sauvage.


   Cela faisait des années que cet escogriffe haut en couleurs ne cessait de clamer à qui voulait bien l'entendre, qu'il était l'un des meilleurs guitaristes de hard-rock. Qu'il suffisait simplement d'assister à ses concerts pour le constater. Theodorus était passé maître en matière de marketing pour sa propre personne. Un sacré loustic. Un exemple que va être copié par des hordes de rockers américains, mais sans nécessairement en récolter les fruits. Du moins autant que Nugent, car si ce dernier n'est certainement pas le meilleur gratteux dans le milieu du rock, il sait néanmoins tenir une scène, son public et une guitare. Une guitare qui tire du Blues, du rhythm'n'blues et du rock'n'roll une matière qu'il transcende pour en faire un combustible hautement réactif, véritable feu-grégeois enflammant son hard-rock. 

Ce "Double Live Gonzo !" est toujours là pour en témoigner.

     Si l'album reprend les meilleures versions et/ou les meilleures captations de divers concerts - de juillet 1976 à novembre 1977 (ça fait un sacré râteau, mais certains lieux ne sont guère propices à l'enregistrement ) -, le disque est agencé comme s'il s'agissait d'une prestation dans son intégralité. Ainsi l'énergumène débute par une de ses confessions de foi envers le rock'n'roll. "J'ai eu ma guitare à dix ans, et j'y ai trouvé l'amour. Maintenant, je suis au bord de la dépression nerveuse et je vais me donner corps et âme. C'est si fou, mais tu sais que j'aime ça. J'ai trouvé un remède pour mon corps et mon âme... C'est si fou, oui tu sais que j'aime ça ; ça m'écrase la tête. Mon cerveau est à la limite, mais c'est ce que le docteur m'a ordonné". Profond. Le groupe attaque bille en tête formidablement soutenu par Derek St Holmes qui parvient à apporter une pointe de lyrisme à un hard-rock de sauvages, garanti "made in Detroit". 

     Pas grigou pour un sou, le quatuor lâche un premier inédit, et pas une fin de série. Un très bon "Yank Me, Crank Me", heavy-boogie-rock dont le riff entraînant et entêtant démontre que Nugent est passé maître dans l'art du riff. Conscient de son potentiel, le label en fait un single - qui va d'ailleurs faire un parcours honorable, d'autant plus pour un morceau de Hard-rock live. Puis un second avec "Gonzo", plus teigneux et heavy, qui installe déjà le Nuge dans la catégorie des frappa-dingues avec ses soli de psychopathe et ses cris de demeuré essayant de s'extirper d'une camisole de force. L'enchaînement avec "Baby, Please Don't Go" est assez saisissant. Semblant changer de registre pour revenir aux racines, Ted, débordant littéralement d'énergie, y insuffle une douce et contagieuse folie pour une version épique et séminale, où Nugent paraît sous tension, comme électrisé en permanence (State of Shock ?).

     Repêché de la période The Amboy Dukes, - tout comme la reprise précédente - "Great White Buffalo" fait sensation avec son riff en picking et son final en apothéose aux couleurs bluesy fortement boostées, aux accents de Rolling Stones pactisant avec la sainte église du Detroit Rock City. Un morceau qui devrait être érigé au panthéon des meilleures chansons de heavy-rock. Parfois traité de raciste, Ted en écrivant ce morceau, rend pourtant un bel hommage aux Amérindiens, dans un pays où ils ont été victimes d'innommables atrocités et de génocide (bien avant que le terme existe). "... Mais vint l'homme blanc avec sa tête épaisse et vide. Il ne pouvait pas voir au-delà de son portefeuille. Il voulait que meurent tous les bisons... Les Indiens avaient besoin de nourriture et de peaux pour un toit. Ils n'ont pris que ce dont ils avaient besoin. Des millions de bisons en étaient la preuve. C'était il y a longtemps, dans le nouveau pays magique. Voyez, l'Indien et le bison vivaient main dans la main. Mais vinrent ensuite les chiens blancs, avec leur tête épaisse et vide "


   Autre rescapé des Amboy Dukes, précisément de leur dernier album, "Tooth, Fang & Claw" (de 1974) où Ted avait déjà pris le pouvoir (signant, comme sur le précédent, l'intégralité des morceaux), "Hibernation". Longue pièce instrumentale étirée sur près d'un quart d'heure (auquel il convient de retirer sa relativement longue présentation - qui déplu à certains auditeurs). Après une introduction faite de larsens perce-esgourdes (rien d'étonnant à ce que le loustic se soit flingué un tympan !), l'emblématique Gibson Byrdland nous emmène dans un voyage, traversant à vive allure, comme à dos de mustang, forêts et prairies verdoyantes, traversant dans des gerbes rafraichissantes les rivières claires et poissonneuse. En ce temps là, les rares instrumentaux avaient du sens, et n'étaient juste un prétexte pour faire étalage de son talent, des démonstrations egocentriques de technique - même si sur le coda, le Ted s'emploie à effectuer le plus long larsen de l'histoire du Michigan -.

   Lancée, la troupe continue son aventure avec des morceaux longs, tournant autour des dix minutes. On retrouve enfin St Holmes sur "Stormtroopin' ", jusqu'à ce qu'il laisse sa place à la Gibson demi-caisse de Ted qui, seulement soutenue par la batterie du fidèle Briton Cliff Davies, part dans un long solo où elle semble lutter contre elle-même. Vagissant au début - tel un monstre fantastique émergeant du lac St. Claire après un long sommeil millénaire -, il part rapidement dans la folie faisant rugir sa guitare comme mille diables.

   "Strangeholdaffiche ici plus de dix minutes. Rob Grange (co-auteur du titre non crédité sur disque, mais confirmé par le boss), avec sa basse, trace des volutes comme auréolées d'un timide effet de « chorus » sur lesquelles Ted s'appuie d'abord pour poser sa rythmique un rien menaçante et reptilienne, sorte de Stoner-light, avant de se laisser aller à de longues semi-improvisations. Ce long solo sera référencé par le magazine Guitar World parmi les meilleursUne fois n'est pas coutume, mais Ted en profite pour croiser le fer avec son acolyte Derek. Ce n'est que des années plus tard que mister Nugent vantera les mérites à la guitare de St Holmes. Ainsi que pour son talent de chanteur, le désigna comme le meilleur avec qui il travailla - avec Meat Loaf (présent sur l'excellent album "Free For All" de 1976).


 La dernière face est la plus chaude d'un disque déjà chaud-bouillant. L'ami se fait poète et part dans un monologue rythmé et speedé (à faire pâlir de jalousie tous les rappers et affiliés), intronisant cette "love song", qu'il dédie à "all that Nashville pussy" (charmant) (1)  avant de démarrer en trombe son cultissime "Wang Dang Sweet Poontang" ; version personnelle d'un Little Richard en mode heavy-rock festif, grivois et rageur, évoluant comme un hot-rod pied au plancher.

   Et pour rester dans la "poésie", la bande enchaîne avec le subtil "Cat Scratch Fever", qui ne va pas pêcher très loin dans l'art du double-sens. Au contraire, et on se demande même comment une telle chanson a pu faire office de single (qui demeure son fort succès en matière de single). Les USA et leurs paradoxes. La musique, elle, pêche par un certain classicisme dans le domaine d'un Hard-rock format stadium. Mais le riff emblématique, quasi chantant, reste un morceau de choix pour les amateurs de riffs accessibles qui matchent. Le final est la charge d'une coalition d'Ojibaws, de Hurons et de Outaouais, galvanisés et courroucés par des années d'ignoble injustice et qui, dans une folie vengeresse, déciment les rues des villes construites par les Blancs, comme une injure à la Terre-mère. "Motor City Madhouse", heavy-rock'n'roll speedé qui a bien pu inspirer le trio infernal Motörhead. Pour bien finir les esgourdes du public, pour bien les décalaminer, juste avant un coda foutraque, bruitiste, Ted finit par un hurlement de bête sauvage - ou d'un démon venant se faire prendre les burnes par les griffes acérées d'un chat aliéné (cat scratch) - l'un des plus longs de l'histoire du hard'n'roll.

     A l'époque, et pour quelques années encore, on ne ressortait pas indemne d'un concert du Motor City Madman (certains ont craint d'avoir perdu l'ouïe). Ce témoignage n'en est qu'un aperçu quasiment sans danger. Même si d'imprudents auditeurs - dépourvus de tout entraînement préalable au rock-fort-qui-fait-saigner-les-zoreilles - n'ont jamais réussi à s'enfiler les quatre faces d'un trait, tandis que d'autres ont fini ravis, mais le front bouillant et les esgourdes rougies.

     Lassés par la personnalité extravertie et egocentrique de Ted Nugent, la difficulté à incérer leurs compositions ou à faire valoir leurs contributions, et par les minces rétributions (en inadéquation avec les fortes ventes d'albums et l'imposante affluence aux concerts), Rob Grange et Derek St Holmes plient bagages. A l'origine, Ted Nugent devait être l'appellation d'un groupe démocratique, et c'est par cette promesse que tous deux rejoignent Nugent et Cliff Davis. Mais malgré les revendications et la compréhension du staff et de Nugent, ce ne sera jamais vraiment le cas. Il y a bien de sérieux efforts de la part de Nugent, mais ça ne dure pas. Tous deux finissent donc par partir, et tentent leur chance en fondant le très bon groupe St. Paradise. Groupe hélas éphémère. Leur absence se fait cruellement ressentir sur le moyen et lourd - mais encore sympathique - "Weekend Warrior" de 1978, et bien plus encore sur le décevant "State of Shock" de 1979. Derek St Holmes qui, injustement, ne parviendra jamais à renouer avec le succès, rejoindra sporadiquement Nugent. Pour quelques séances studios (dernière apparition discographique sur "Shut up and Jam !"), quelques concerts, parfois même une tournée complète. Ces fois-ci, Nugent ne cessera pas de le mettre en valeur, lui laissant bien plus de place. 


(1) C'est cette charmante citation que reprendront Ruyter Suys et Blaine Cartwright pour baptiser leur groupe, Nashville Pussy.



🎼🎸🚙
Autres articles / NUGENT (liens) : 👉  Ted Nugent " First - same " (1975)  👉  "Scream Dream"  (1980)  👉  "Shut Up and Jam !" (2014)  👉  "Detroit Muscle" (2022)
/ Derek St. HOLMES 👉 " St Paradise " (1979)

6 commentaires:

  1. «la Gibson demi-caisse de Ted»
    Non ! La byrdland a une caisse totalement creuse, rien à voir avec les corps semi-hollow de la ES-335.

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    1. Effectivement. Un mauvais réflexe contracté à la suite de la lecture de bouquins et de revues la désignant comme une "demi-caisse". Désigné ainsi peut être parce que c'est une thinline.
      Et c'est justement sa caisse creuse qui génère ce feedback dont Nugent est friand et abuse.

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  2. Shuffle Master.2/7/23 15:58

    Question: pourquoi ce terme de "gonzo", généralement accolé à celui de Hunter S. Thompson, dont Nugent semble assez éloigné - en témoigne sa conception assez "capitaliste" du groupe de rock (contrairement au Grateful Dead, par exemple)? Vous avez deux heures (chat GPT interdit).
    Question subsidiaire: sachant que le prix moyen d'une place de concert aux USA était de 15 dollars en 1978, que la contenance moyenne d'un stade est de 20 0000 personnes, que Nugent prenait à lui seul 60% de la recette, et en déduisant les frais de transport et delocation de la salle équivalents à 15%, combien d'argent s'est-il mis dans les poches pour cette tournée (calculette interdite)?

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    1. A l'époque, le Ted mettait pas mal de flouze dans son ranch, son élevage de bestioles à fourrures (d'où la longue queue qui pendouille à sa ceinture), son propre studio d'enregistrement (oui, déjà). Et puis, il y a aussi une première pension alimentaire et il prend personnellement soin, autant que possible, de ses deux enfants (les amenant même avec lui en tournée). A côte de ça, ne prenant pas de substances illicites et ne buvant que modérément (de la bière), et ayant longtemps considéré les musiciens qui l'accompagnaient comme des employés (guère payés par rapport aux recettes générés), il a dû lui rester un sacré paquet.
      Après, il a aussi fait des dons... à la NRA. Mais aussi pour des associations s'occupant de vétérans ayant du mal à se réinsérer dans la société.

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    2. Pour Gonzo, ça reste flou. A l'origine, ça désigne plutôt un fou, un idiot ou crétin. Voire juste un naïf.
      Dans sa chanson du même nom, le Gonzo ne s'adresse pas à lui-même, mais aux gens. "Everybody is gonzo !!" ou "everybody's gonzo" ? Peu avant, dans cette chanson aux paroles tenant sur un timbre poste, il dit qu'il y a de la folie dans l'air, et qu'il y a des fous partout.

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  3. Gonzo, c'est une des marionnettes du Muppet Show, qui parlait du nez. Mais je ne suis pas certain qu'il y ait un rapport avec Ted Nugent. Pour la question subsidiaire, je n'ai pas trouvé le montant empoché, mais j'ai trouvé l'âge du capitaine.

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