L’histoire du rock est un mécanisme de sélection impitoyable et immoral. La vie en général est une grande roulette russe, vous jetez toute vos forces dans la bataille, tentez différentes combinaisons sans être capable d’en prévoir les effets. Le destin ne récompense pas forcément le plus travailleur ou le plus combatif, il lui arrive d’avoir de cruels caprices de jeune fille.
Il faut donc rappeler ici que, quelques mois avant Jimmy Page, Jeff Beck déployait déjà les bases de la virtuosité explosive qui fit les grandes heures du heavy blues. Subissant de plein fouet l’influence du rock'n'roll américain, Jeff Beck forgea son jeu en imitant Eddie Cochran et les grands bluesmen de Chicago. A cette époque, du côté du pays de l’oncle Sam, des artistes tels que Canned Heat, Paul Butterfield blues band ou Johnny Winter s’apprêtaient à ressusciter le mojo de Chicago. Les Yardbirds furent d’abord la version anglaise de ce retour aux sources, l’emblème d’une époque où le rock anglais ne s’était pas encore émancipé de son grand frère américain.
Doté du mythique duo Jeff Beck / Eric Clapton, les Yardbirds se firent vite un nom grâce à un blues abrasif et traditionaliste. De cette époque, on ne garde surtout que des mythes, beaucoup ayant rêvé d’une réunion de ceux qui devinrent l’alpha et l’oméga du rock anglais. Véritable leader des Yardbirds, Beck poussa Clapton vers la sortie en assumant son goût pour une pop moderne et aventureuse. Celui que l’on ne tardera pas à surnommer God ne put supporter un titre aussi mielleux que « For your love ».
Il s’empressa donc de rejoindre John Mayall afin de laver l’affront fait au blues de Chicago. Pour le remplacer, les Yardbirds recrutèrent Jimmy Page, qui était à l’époque un musicien de studio très demandé. Son arrivée marque le grand retour de la formation au blues, mais ce n’est déjà plus le blues poussiéreux des pionniers de Chicago. Il suffit d’écouter « Stroll on » dont l’énergie abrasive sera reprise par Aerosmith sur « Train kept a rollin », pour comprendre la révolution qui se mettait en marche. Pour mieux coller à l’euphorie d’une jeunesse en pleine émancipation, le blues des pionniers fut accéléré, sur amplifié et transcendé par des solistes virtuoses.
L’image de John Lee Hooker parcourant les rues, ses accords raisonnant dans de longs silences , ses notes servant surtout à ponctuer ses hurlements de vieux loup du Delta , tout ce folklore disparaissait pour laisser place à un mojo plus violent. Dépassé par le succès de sauvages qu’il a lui-même engendré, Muddy Waters finira par se convertir à ce culte de la fée électricité sur son album « Electric Mud ». Entre temps, Jimmy Page eut le temps de bien observer Jeff Beck. Durant la tournée des Yardbirds de 1966, el Becko éblouit son public à grand coup de distorsions spectaculaires et de saccages tonitruants d’ampli. Mais nulle formation ne peut faire cohabiter deux égos tels que ceux du duo Beck/Page. Refusant de se battre pour le contrôle d’un groupe aussi instable, Jeff Beck abandonna les Yardbirds peu après une dernière tournée triomphale. Loin de calmer une rivalité qui ne fera que s’accentuer par la suite, ce départ permit à Page d’utiliser la notoriété des Yardbirds pour faire décoller son futur Zeppelin de plomb.
Pendant que les New Yardbirds écrivaient les premières pages de l’épopée Zeppelinienne, Jeff Beck enregistra l’excellent « Truth ». Encore tiraillé entre ses influences puristes et son désir d’aller plus loin, Beck ne parvint pas à faire de « Truth » l’album fondateur du mouvement heavy blues. Ne partageant pas les mêmes scrupules passéistes, Page enregistra le premier album de Led Zeppelin en quelques heures. Cette déflagration contenait tous les éléments que des groupes tels que Whitesnake, Deep Purple et autres Uriah Heep ne firent que réadapter. Voix lyrique et hurlante, batterie sismique, guitare virtuose, la formule la plus populaire du rock était prête à conquérir le monde.
Conscient qu’il venait de se faire dépasser, l’auteur de « Truth » s’adjoignit les services de Ron Wood et Rod Steward pour former la première monture du Jeff Beck Group. Classique absolu, l’album « Beck Ola » fut malheureusement trop banal pour détourner le grand public des épopées zeppeliniennes. Chez le Jeff Beck Group on ne trouve pas de grandes épopées tolkenniennes, la guitare ne se perd pas dans de grands bavardages lyriques et sauvages.
Tout en développant une
puissance sonore digne des groupes les plus violents, le Jeff Beck Group sut
garder la simplicité du rock’n’roll des débuts. A une époque où le heavy rock
flirtait de plus en plus avec la complexité du rock progressif, la formation
sortit deux autres bombes heavy rock nommés « Jeff Beck Group » et « Rough
and ready ». Il ne faut pas oublier que, depuis la fin du rêve
psychédélique et le retour au blues des Stones, une résistance traditionaliste
s’organise. Dans ce contexte, le supergroupe Beck Bogert and Appice fit le pont
entre le traditionalisme américain et la folie britannique. Subtil mélange
entre le blues originel cher à Keith Richards et la hargne tonitruante des
enfants de Led Zeppelin, le seul album du trio montre que le blues peut rester
moderne sans oublier son passé.
Vinrent ensuite « Blow by blow » et « Wired », suite d’instrumentaux explorant les possibilités infinies du jazz fusion. Comme pour rattraper l’erreur qui permit à Jimmy Page de le devancer, Jeff Beck eut ensuite à cœur de rester à la pointe de la modernité. Après avoir montré au garage rocker qui était le patron sur le tonitruant « Loud haler », notre homme ne cessa de s’approprier les dernières lubies modernes.
Sorti en juillet dernier, l’album qu’il enregistra
avec Johnny Depp montre que son envie de défricher de nouveaux territoires
était intacte. C’est ainsi que celui qui réinventa la guitare électrique
réalisa l’idéal ultime du rock’n’roll : garder toute sa vie l’enthousiasme de
ses jeunes années. Aujourd’hui encore, à chaque fois qu’un groupe secoue le
fossile du blues, dès qu’un nouveau virtuose s’embarque dans un solo plein de
distorsions, c’est l’héritage de ce héros sous-estimé que l’on célèbre.
une petite coquille : accords raisonnant => accords résonnants
RépondreSupprimerJamais pu supporter Jeff Beck qui n'émoustille que des nippones pré-pubères lors de démonstrations purement gratuites (sauf pour lesdites nippones: prix des places plus linge de corps). Et puis quand on a des bras comme ça, on évite les débardeurs et les vestes sans manche, sans parler des bracelets autour du biceps. Quant à la fin de carrière avec Johnny Depp....
RépondreSupprimerOn peut s'amuser à observer le (de moins en moins, cf bedaine prononcée) sémillant et élégant (de moins en moins aussi, cf godasses de footing fluo) Rod Stewart lors du concert hommage à son camarade disparu, qui se remonte ostensiblement les génitoires au début de son apparition. La classe.
"pour les génitoires" : c'est parce qu'à partir d'un certain âge, ça à tendance à tomber. D'où l'abandon du jean et autres futals "moules burnes" au profit de trucs plus larges 😁
SupprimerSinon, ne pas supporter Jeff peut se comprendre - on ne peut tout de même pas condamner tous les fans de Beyonce, Rihanana et de la K-pop -, cependant, il peut paraître surprenant de ne pas être sensible (positivement) à au moins une de ses périodes. D'autant que son style n'a pas cessé d'évoluer, de muer, jusqu'à se cristalliser au début du siècle. Il était d'ailleurs l'un des (trop) rares musiciens à rassembler des amateurs de jazz, de blues, de harderoque, de roquetoucoure. Tout de même une carrière qui s'étale sur plus de cinquante ans 😳
Dans le concert hommage, Rod Stewart porte une chemise où il semble manquer un bouton, au niveau du nombril, comme s'il venait de se lever... Ils ont l'air de prendre du bon temps, c'est ça qui est bien avec la musique de vieux jouée par des vieux. Y'a une sacrée brochette de guitaristes, dommage que Jimmy Page n'ait pas montré le bout de son nez.
RépondreSupprimerC'est quoi, les "dernières lubies modernes" ?
RépondreSupprimerLe concernant c est surtout la musique électronique
RépondreSupprimerAh, ça peut m'intéresser alors... :-)
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