vendredi 16 juin 2023

QUENTIN TARANTINO "Cinéma Spéculations" (2022) par Luc B.

Il l’a dit, et on est prié de le croire. Quentin Tarantino arrête de réaliser des films, le prochain, le dixième, sera son dernier. Qui porterait sur la célèbre critique de cinéma américaine Pauline Kael. Tarantino veut se consacrer à autre chose, au théâtre, mais surtout à l’écriture. Après la novélisation de ONCE UPON A TIME IN HOLLYWOOD, il publie un essai, qui parle de cinéma, mais pas le sien, très influencé par les écrits de Pauline Kael

En lisant CINÉMA SPÉCULATIONS on a tout simplement l’impression de discuter le bout de gras avec Tarantino, une discussion où il n’y aurait que lui qui parle, et nous qui écoutons ! On reconnaît son style, une logorrhée qui se boit comme du p’tit lait, comme ses dialogues de films, de longues tirades dont on pense qu’elles vont se perdre avant de retomber sur leurs pieds. Comme dans ses films aussi, beaucoup de digressions, pour bien remettre le propos dans son contexte, et si le bouquin donne l’impression de se barrer dans tous les sens, il est au contraire parfaitement construit, structuré, comme la pensée de l’auteur.

Ouvrage éminemment subjectif, on s’en doute, ce qui en fait tout le charme. Au travers d’une douzaine de chapitres qui portent le nom de films (Bullitt, Inspecteur Harry, Délivrance, Guet-apens, Taxi driver…) c’est toute la passion du cinéma de QT qui suinte de ces lignes, mais aussi une partie de sa vie, sa jeunesse, son adolescence. Comme écrit sur la jaquette : « Je voulais écrire sur le cinéma, et j’ai fini par vous raconter un peu ma vie ».

On se rend compte que tout le cinéma de Tarantino trouve son origine dans ses années d’apprentissage. D’un coup, tout devient évident. Parce que ses parents avaient comme habitude de l’emmener avec eux au cinéma, à une condition : tu ne nous emmerdes pas pendant la projection, tu restes invisible, silencieux, si t’as des questions, on voit ça à la sortie ! C’est juste hallucinant d’apprendre le nombre de films que le petit Quentin, dès 10 ou 11 ans, a vu au cinéma, et pas des trucs de mioches ! Le gamin s’est maté à cet âge des FRENCH CONNECTION, DÉLIVRANCE, SOLEIL VERT, LE BON LA BRUTE ET LE TRUAND… et j’en passe des centaines. Et qu'il a été revoir plusieurs fois, toujours en salle, puisse qu'à l'époque pas de VHS ni de plateformes de streaming. 

Ces films ont en commun une certaine violence, mais sa mère avait un autre principe : si on replace la violence d’un film dans son contexte, si elle n’est pas gratuite et intelligemment filmée, alors un enfant est apte à tout regarder (ou presque), à condition de débriefer la séance ensuite, d’en parler, d’en discuter. Plus tard, sa mère divorce, se met en collocation avec deux autres femmes. Elle va avoir plusieurs amants (physiquement elle semblait plutôt gironde, ressemblait à Cher…) issus de la communauté noire. Dont un certain Flyod, que sa mère lui présente ainsi : « tu devrais parler ciné avec lui, il s’y connaît autant que toi ».  

Tarantino a donc été bercé très jeune dans le cinéma, les double-séances, le cinéma dit d’exploitation, cinéma de genre, la black exploitation notamment grâce à Flyod, et dans un foyer où il côtoyait des Noirs. Quelques imbéciles ont parfois accusé Tarantino de flirter avec le racisme, dans sa représentation des Noirs, son utilisation du mot « nigger ». Ce qui est tout simplement le reflet de sa vie à l'époque, de son éducation. On comprend beaucoup de choses de ses films après la lecture du livre.

Si Quentin Tarantino nous donne quelques repères biographiques (il cite chaque cinéma où il a vu tel film, à l’horaire de séance près !) il parle surtout des films qui l'ont marqués (ceux des chapitres) qu’il décortique, qu’il défend ou encense autant qu’il les critique, qu’il remet dans le contexte de l’époque, le début des années 70, le Nouvel Hollywood, ce qu’il appelle les cinéastes-auteurs. Il ne s'agit pas de s’extasier sur tel ou tel travelling, ce ne sont pas des analyses techniques, mais un décryptage de fond, des thèmes, des personnages, de la signification d'une scène et son impact sur les spectateurs. C'est en cela qu'il se situe dans la mouvance des Paulettes, les critiques adeptes de Pauline Kael.

QT brosse aussi quelques portraits d'acteurs, il y a des pages formidables sur Steve McQueen, à propos de BULLITT, le roi de la cool attitude (mais extrêmement calculée, markétée) qui prenait grand soin de ne pas être occulté par la présence d'une autre (bon) acteur à l'écran ! Très belles pages sur Clint Eastwood et Don Siegel à propos de L'INSPECTEUR HARRY et plus tard de L’ÉVADÉ D'ALCATRAZ. Le bouquin s'appelle Spéculations, car dans un chapitre Tarantino s’interroge : « et si c’était Brian de Palma qui avait réalisé TAXI DRIVER et pas Scorsese » car le scénario lui avait été proposé en premier, mais il n'en avait pas trouvé le potentiel commercial.

L'analyse de TAXI DRIVER, scénarisé par Paul Shrader, souvent cité dans le livre, y compris pour sa réalisation HARDCORE, est pertinente. Il s'agirait d'un remake urbain de LA PRISONNIÈRE DU DÉSERT de John Ford, et je vous assure que ses arguments tiennent vraiment le coup ! QT évoque presque les larmes aux yeux les premiers films de Sylvester Stallone (LA TAVERNE DE L’ENFER, ROCKY) dont on oublie aujourd’hui qu’il était un brillant scénariste-dialoguiste, et réalisateur.

Tarantino nous parle des films qui l’ont marqué dans son initiation, généralement des films d’action, des serials, les films de double ou triple programmes, que les distributeurs rassemblaient autour d’une même thématique : le film d’horreur (MASSACRE A LA TRONÇONNEUSE est pour lui un des plus grands chef d’oeuvre), le film de revanche, comme JOE C’EST AUSSI L’AMERIQUE de John G. Avildsen, LEGITIME VIOLENCE de John Flynn, ou les films avec Charles Bronson. J’ai du bol, à part deux ou trois, je les connaissais, ce qui facilite la lecture. Si vous souhaitiez savoir ce que Tarantino pense de Chaplin, Welles, Fellini, Kubrick, Renoir ou Bergman, vous repasserez ! Ce n’est pas son propos. Le chapitre sur le Nouvel Hollywood est d’une pertinence qui laisse pantois.

Le gars étant dans le cinéma depuis près de trente ans, il a rencontré beaucoup de ces réalisateurs ou scénaristes qu’il vénère, et dont il parle. Et avec qui il a discuté des sujets abordés dans ce livre. Il y est souvent question de John Milius, (scénariste de DIRTY HARRY, LES DENTS DE LA MER, JEREMIAH JOHNSON, CONAN LE BARBARE, APOCALYPSE NOW) et s'il évoque un Marty, c'est de Martin Scorsese qu'il s'agit. Il parle aussi des critiques, comme Kevin Thomas (connais pas) qui écrivait dans le Los Angeles Times, un journaliste « équipe deux » autrement dit celui qui se coltinait les articles sur les films de séries, qui a fait émerger des cinéastes comme Jonathan Demme. Il y est aussi question de Pauline Kael, du magazine The New Yorker, qui a fait la pluie et le beau temps durant trente ans à Hollywood par ses prises de positions tranchées et très subjectives.

Non seulement ce bouquin donne envie de découvrir ou revoir les films dont on parle, à l’aune de ce que QT en écrit, pour se confronter à ses avis (il va très loin dans l’analyse, comparée, argumentée) mais aussi de revoir les films de Tarantino pour se rendre compte comment le réalisateur a absorbé, digéré cette époque où il entrait en cinéphilie comme on entre au couvent.

C’est drôle, pertinent, intelligent, passionnant. 


Flammarion - 410 pages       

                      

14 commentaires:

  1. Shuffle Master16/6/23 08:41

    Je ne supporte pas les films de Tarantino (malgré plusieurs essais, je décroche de Pulp Fiction au bout de 20mn), mais j'ai bien aimé le bouquin sur Hollywood. Je vais attendre que celui-là sorte en poche. Mais il est difficile de mettre sur le même plan des films comme Delivrance, Guet-Apens ou Taxi Driver et de gros nanars comme Conan le Barbare (avec Schwarzy, dont le seul bon rôle est celui où il est en slip dans Le Privé, d'Altman) ou Rambo (avec Stallone, dont le seul bon rôle est.... en fait, il n'y en a pas).

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    1. Salut Shuffle, content de te lire à nouveau. Une question me turlupine (d'huitre) . Hormis les Allman Brothers du temps de Duane, qu'est ce qui te fait kiffer?

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    2. Plein de choses mais moins que la moyenne sans doute... De mémoire, le rock sudiste, un peu Zappa et Gong, etc...

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  2. Tu devrais essayer "Jackie Brown", ça devrait te plaire. Le bouquin sur Hollywood est la novélisation de son dernier film en date "Once upon in time..." qui n'est pas loin d'être son meilleur. J'ai revu "Pulp Fiction" récemment, j'ai trouvé ça un peu longuet, il y a des moments qui tournent à vide, ça tient davantage de l'assemblage de séquence, voire de sketches, mais il faut avouer que c'est très malin et original dans la (de)construction. Son premier, "Reservoir Dog" est paradoxalement toujours aussi impeccable et juvénile.

    J'ai cité "Conan" pour situer qui est John Milius, lui n'en parle pas dans le bouquin, il se limite à la décennie 70, donc pas de "Rambo" non plus, mais du "Rocky". Justement, dans ce livre, il ne cherche pas à hiérarchiser, il dit que tel film a marqué les spectateurs et son époque (dans les doubles programmes le public acclamait le héros d'un film, applaudissait les exploits des Bronson, Stallone, Eastwood, Burt Reynolds...), Tarantino décrypte le pourquoi du comment, en comparent notamment avec les héros des années 40 ou 50.

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  3. "Quentin Tarantino arrête de réaliser des films, le prochain, le dixième, sera son dernier."

    Enfin une bonne nouvelle... J'ai assez aimé Pulp Fiction mais j'ai du mal avec l'esthétisation et la complaisance pour la violence (même problème avec Scorsese dont je n'apprécie que Taxi Driver).

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  4. Shuffle Master.16/6/23 13:38

    Ah, mais pardon, j'aime plein de trucs: en vrac, et sans souci de préséance, Blackberry Smoke, Parker (les stylos aussi), Anatole France, Tom Principato, Léon Bloy, Smokin' Joe Kubrek (cité ici, il n'y a pas longtemps), les films d'Altman, certains des frères Coen, The Byrds, Manchette, JB Pouy, James Crumley, Kent Anderson, Flaubert, The Plimsouls, Philippe Muray....etc.
    @ Luc B.: Jackie Brown et Reservoir Dog, j'ai essayé aussi, avec le même résultat. Je m'ennuie copieusement. Rocky, je trouve ça grotesque (sans parler de la musique, rédhibitoire)). Sur la boxe, Fat City, c'est un poil mieux.

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    1. Est ce que Rory Gallagher trouverait grâce à tes oreilles?

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    2. Shuffle master.18/6/23 09:42

      Pour sûr, je les ai quasiment tous. Mais je n'aime pas trop les derniers, un peu trop rentre-dedans à mon goût. Je préfère Deuce et Calling Card.

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    3. J'ai eu la chance de le voir en concert à Nice (16 mars 82, tournée promo Jinx, 60 Francs...). Le mec le plus cool, décontracté et humble de la galaxie!

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    4. Je n'ai eu que l'occasion de me recueillir pieusement devant sa statue à Cork. Les larmes sèchent encore 30 ans plus tard sur mes joues. "Deuce" et "Calling card" sont des must have. Les live de 72 ("Laundromat" énorme, "I Could had religion" désespéré, sur un seul accord ?) et de 74 avec un clavier, mais qui m'apparaissait un peu court, un faux double album... Un de mes titres fétiches reste "Seventh son of a seventh son" que j'ai sur une compil, un swing bluezy extraordinaire. (SM, tu tâtes encore de la batterie ?)

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    5. Curieusement pour un type comme Gallagher, je préfère les albums studio aux live. Je continue la batterie. On joue deux fois cette semaine dans des petits bleds - rythme inhabituel - ça va me permettre de faire tourner mon matériel (achats compulsifs de caisses claires, de cymbales, de kits depuis des années....). Et toi?

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    6. Shuffle Master19/6/23 08:06

      Me suis planté (toujours fâché avec le numérique): le com ci-dessus, c'est bien le mien.

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  5. Ca joue toujours, comme ce samedi sur un répertoire rock / blues, et le 21 prochain, cette fois en configuration jazz dans un restau...

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  6. Il vaut mieux un disque de Tarantino qu'un film de Gallagher ...

    Sinon anecdote (connue) que j'ai déjà placée.
    Un journaliste demande à Jimi Hendrix :
    - Qu'est-ce que ça fait d'être le meilleur guitariste du monde ?
    Réponse d'Hendrix :
    - Je sais pas, demandez à Rory Gallagher.
    Conclusion : Hendrix aimait bien Taste et était un type modeste ...

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