vendredi 2 juin 2023

JEANNE DU BARRY de Maïwenn (2023) par Luc B.

Le film aurait pu s’appeler JEANNE DU BARRY-LYNDON (arf arf). La réalisatrice Maïwenn ayant déclaré s’être un peu inspirée du film de Stanley Kubrick, et ne l’aurait-elle pas dit, que cela se serait su quand même ! Et y’a pas de mal à ça, au contraire, on se souvient qu’Orson Welles avait regardé 25 fois LA CHEVAUCHÉE FANTASTIQUE de John Ford avant le tournage de son CITIZEN KANE.

Il y a effectivement des similitudes entre les deux films, dans l’itinéraire du personnage principal, Jeanne du Barry,  qui accède à un haut statut social (non pas grâce à un mariage, mais c’est tout comme) le tout raconté en voix-off. On remarquera aussi un parallèle avec la mère de Jeanne, ses belles filles (le beau-fils chez Kubrick) et bien sûr dans le rendu de plusieurs plans.

Le plan magnifiquement composé de Monsieur Dumousseaux (Robin Renucci) assis sur un long banc, au début, fait écho au film de Kubrick, comme les scènes de bain, comme un plan dans un carrosse, et évidemment, dans la séquence à la salle de jeu, éclairée à la bougie.

La grande différence tient dans ce que la réalisatrice garde du personnage de Jeanne du Barry : son ascension. Alors que tout l’intérêt du film de Kubrick, était de voir le héros dégringoler de son trône, du rise and the fall, Maïwenn ne retient que le rise. On y reviendra, car c’est là, à mon sens, que le film perd de sa superbe.

Voici donc la jeune Jeanne Gomard de Vaubernier, repérée très tôt par Monsieur Dumousseaux, qui la prend à son service, lui inculque principes et éducation, l’envoie au couvent pour l’y retirer bien vite pour cause d’incompatibilité spirituelle, bref, il en fait une femme du monde, cultivée, lettrée. Qui va rencontrer le comte Jean du Barry, dont elle devient la maîtresse, dans ce qu’on appellerait aujourd’hui une union libre. La du Barry devient une grande courtisane, que le Duc de Richelieu (Pierre Richard, oui oui, François Pignon, quelle idée géniale !) après l’avoir troussée sur un coin de table, présente au roi Louis XV. Le monarque n’est pas insensible aux charmes de la demoiselle, qui pose rapidement ses valises à Versailles…

Dans sa première partie, le film tient du récit initiatique, et c’est très réussi. Maïwenn ne se disperse pas dans des scènes inutiles, bien que son héroïne soit une grande amoureuse, point de scènes de sexe ou de débauche, tout reste hors champ. la réalisatrice montre minutieusement les codes de la cour, l’étiquette à respecter (les scènes du lever du roi, on pense évidemment au MARIE ANTOINETTE de Sofia Coppola) grâce au personnage du valet du roi, La Borde (excellent Benjamin Lavernhe). Des codes de bonne conduite que Jeanne rejette assez rapidement, comme le fait de ne jamais tourner le dos au souverain, obligeant ses visiteurs à repartir à reculons dans une démarche grotesque. Maïwenn dresse le portrait d’une femme émancipée qui compte bien prendre sa place dans un monde d’hommes, et plus largement un monde sclérosé par des convenances stériles.

Comme cette présentation au roi à Versailles, où l'insolente brave les interdits et regarde Louis XV droit dans les yeux en exécutant sa révérence trois fois, pour bien appuyer là où ça fait mal. Jeanne doit affronter la jalousie des filles du roi, un fameux trio emperruqué qui rappelle les sœurs harpies de Cendrillon. Le péché de la du Barry, outre son impertinence et sa liberté d’esprit, est de redonner goût à la vie au vieux roi, que d’aucun préférerait laisser dans sa tristesse et sa dépression.

Le roi Louis XV qui est joué par l’américain Johnny Depp**, choix étonnant. Quand il veut s’en donner la peine, l’acteur est talentueux. Mais parle deux mots de français. Il joue dans la langue de Molière et on sent que ses dialogues ont été réduits au minimum, pas plus de trois mots par répliques, qui tiennent sur un demi A4 pour deux heures de film. Il y a une scène où le roi surgit dans un salon pour engueuler ses filles, on s’attend à une tirade mais le roi reste muet. Artifice de montage pour palier l’impossibilité de jouer pour l’acteur américain ?  

Dans EDWARD AUX MAINS D’ARGENT, Johnny Depp avait peu de dialogues, il s’exprimait par la gestuelle, à la manière d’un Buster Keaton, mais cela était voulu par Tim Burton. Le souci ici est que Maïwenn filme la relation d’un couple, mais son personnage seul monopolise l'écran. 

Tout fonctionne parfaitement pendant une heure et demie, Maïwenn tient le rythme, c’est enlevé, la distribution est impeccable, elle met en scène de très jolis moments (le grand dîner sur la table ronde, les plans extérieurs à Versailles, tournés in situ), laisse sa caméra-épaule hystérique au vestiaire pour de bons vieux travelling bien nets. Et puis patatras. Jeanne est installée à la cour, elle a réussi, elle est au top, et la réalisatrice n’a plus rien à raconter. Le récit se fige, le roi se meurt, il ne se passe plus rien, on pédale dans le vide. La fin de vie de Jeanne du Barry sera expédiée en voix off, décapitée en décembre 1793, donc 18 ans après la mort de Louis XV.

On pourrait reprocher aussi le manque de sous-texte politique, JEANNE DU BARRY est davantage un portrait de femme qu’un récit historique (les spécialistes de la période s'étranglent un peu sur les libertés de la réalisatrice...) les deux n’étant pourtant pas incompatibles.

C’est un film en costume qui ne sent pas la naphtaline, les dialogues sont joués de manière contemporaine, le chef op’ a fait un très beau boulot, les images sont superbes, à l’opposé du ratage artistique des TROIS MOUSQUETAIRES, et la distribution aligne des comédiens formidables, presque sous-exploités parfois. Fallait oser, de la part de Maïwenn, habituée aux drames intimistes, se lancer dans cette aventure. Le compositeur anglais Stephen Warbeck (4è BO pour Maïwenn) a écrit une superbe partition.

**le choix de Johnny Depp a été motivé par la réalisatrice par le besoin d’avoir à l’écran une « star » capable de projeter une aura à l’écran pour les spectateurs, égale à celle du roi de France auprès de ses sujets. Je ne suis pas certain que le but recherché ait été atteint, le Johnny donnant parfois l'impression de s'emmerder fermement.


couleur  -  1h55  -  format 1:1.85 

 

1 commentaire:

  1. Encore une qui a "la carte" sans que son apport artistique et culturel soit en rapport avec sa notoriété...

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