mardi 11 avril 2023

MANDY de Alexander Mackendrick (1952) - par Claude Toon


- Dis donc Claude, le réalisateur Alexander Mackendrick a déjà fait la une du blog avec Tueurs de dames, un film d'horreur ?

- Heu non, haha, Sonia… Une comédie policière désopilante, très british où cinq brigands passeront un à un de vie à trépas en tentant un braquage, une délicieuse mamie aux manières victoriennes étant par ses bévues l'exterminatrice inconsciente… Mandy est un drame traité de manière quasi documentaire…

- Ah, je sais que tu aimes les films s'attachant à des enfants maltraités par la vie, Bruno ou Edmund dans les films néoréalistes italiens par exemple… Que lui arrive-t-il à Mandy ?

- Mandy, une petite anglaise née sourde et muette, va devoir subir une difficile rééducation… Le film s'attache à toutes les dimensions du drame : la souffrance sociale de la gamine, les efforts des éducateurs, les conflits entre parents… Ok, une trame de mélo, mais bénéficiant d'une mise en scène et d'une photographie de qualité qui le différencie d'un documentaire pédagogique si élaboré soit-il…

- Il n'y a pas d'affiche en français…

- Si, mais avoir affiché "La merveilleuse histoire de Mandy" était grotesque en regard du sujet… Ce n'est pas un conte de Noël ou "Sissi aux Baléares"…


Mandy derrière la grille du silence
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Un grand réalisateur se différencie d'un… disons, moins talentueux, par la richesse des informations et des émotions distillées par un plan sous l'aspect purement visuel. L'image de Mandy ci-contre, se camouflant derrière un grillage et sa manche cachant sa bouche, résume à elle-seule la détresse de la gosse, l'isolement d'une fillette recluse dans le silence et son incapacité à exprimer verbalement sa souffrance ; une prison sociale de fait.

J'avais vu ce film étant ado, il m'avait ému tout comme nombre d'œuvres se focalisant sur des jeunes victimes de divers désastres, que ce soit la folie des hommes ou le handicap. Attention, Sonia cite deux de mes chroniques à propos du cinéma néoréaliste italien des années 44-52 : Le voleur de Bicyclette et Allemagne année zéro (De Sica et Rossellini) (Clic) (Clic). Un cinéma qui avait ses règles : tournage hors studio autant que possible, acteurs non professionnels, luttes sociales… Mandy est un film de facture classique : scénario d'après un livre de Hilda Lewis, acteurs professionnels, mise en scène en aucun cas improvisée… Mackendrick ne stigmatise pas la cruauté d'une société en général, n'idéalise pas non plus la générosité, mais dépeint le mal-être ou le dévouement des protagonistes confrontés à l'adversité.

Je constate que ce film n'est pas oublié même si insolite dans la carrière de son réalisateur. On dispose d'une copie finement restaurée et j'ai pu le voir à la TV (Canal + à la demande) sachant qu'il est tout à fait disponible en DVD. Heu, ce n'est pas un blockbuster Marvel même féérique, vous vous en doutez…


Mackendrick (au sol) dirigeant Mandy Miller
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Le premier plan nous présente Mandy Miller, bébé de deux ans, souriante, câlinée par sa mère Christine (Phyllis Calvert) lors du rituel du bain. Second plan, Christine confie son inquiétude à propos d'un apparent retard de langage chez sa fille. La confidente a un petit garçon du même âge que Mandy sur les genoux et tente de rassurer Christine sur le thème "tout vient à son heure". Image terrible lors du départ de l'amie où, par champs-contrechamps et en gros plans sur les visages des deux mères, le sourire courtois de Christine se fige dans l'angoisse quand le garçonnet prononce… "en-voir" ! Un coup de feu ne serait pas moins terrible ! Suivent d'autres plans de la mère testant sa fille, courtes scènes destinées à compléter les prémices du drame, ainsi celui où Mandy ne se retourne pas quand dans son dos Christine tente d'attirer son attention avec l'incontournable doudou qui fait "pouêt-pouêt", en vain…

Quel parent n'a pas attendu le premier "baba – papa ; baman - maman, etc." ? On pourrait penser que Alexander Mackendrick use de grosses ficelles mélodramatiques pour ce prologue… Non, sa caméra privilégie le huis clos. Le cadrage serré enferme Mandy et Christine dans ce qui préfigure la cellule au silence sépulcrale séquestrant MandyMackendrick choisit l'option du plan serré pour les scènes intimistes voire de très gros plans sur les visages, sur les bouches (on pense à Sergio Leone) en opposition à des plans très larges pour donner au parc ou au terrain vague, visible jusqu'à la Tamise, un effet d'immensité menaçante pour Mandy.

Mandy semble hors sujet dans la filmographie anglaise de Mackendrick, son sujet grave et humaniste contrastant avec deux comédies hilarantes : L’Homme au complet blanc de 1951 avec un Alec Guiness petit inventeur d'un tissu indestructible et insalissable et donc d'un costard pour l'éternité, et cela au grand dam des lobbies et des syndicats… Il devient la cible d'une chasse à l'homme burlesque… En 1953, les anglais se marrent face aux déconvenues d'une bande de casseurs dont les plans sont contrecarrés par une délicieuse, envahissante de générosité et très honnête mamie : Tueurs de dames chroniqué dans ce blog (Clic). Et toujours Alec Guiness.

Autre comédie en 1949 : Whisky à Gogo, aventure farfelue dans une île des Hébrides victime d'une pénurie de Whisky 😱. La récupération de 50 000 bouteilles dans un navire échoué est entreprise… Caractéristiques du film : acteurs non professionnels, tournage en extérieur avec les moyens du bord… en un mot la méthode de tournage propre au néoréalisme italien.


Crise de nerf entre Mandy et Christine
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Rien de surprenant dans le choix de mise en scène dans Mandy, car Mackendrick avait été chargé par les autorités d'occupation alliées dans la Péninsule de superviser la renaissance du 7ème art. Ainsi, il soutiendra le tournage de Rome Ville ouverte de Rossellini, pierre fondatrice du néoréalisme. Mackendrick était donc en terrain connu quand on lui confia la réalisation de Mandy, cinéma réaliste et humaniste…

 

Seconde séquence clé : le père de Mandy, Harry Miller (Terence Morgan) de retour de son travail interroge son épouse sur son inquiétude. Il prétexte pour rassurer sa femme une légitime impatience parentale. La petite vient d'être couchée, Harry et Christine entrent la chambre… Mandy se retourne… Ouf ! Non Christine constate que Mandy a réagi à la lumière pénétrant sa chambre. Ultime essai pour lever le doute : Harry saisit un plateau en inox qu'il fait chuter provoquant un bruit infernal de cymbale ! Mandy ne sursaute même pas, ne pleure pas, fixe juste sa maman. Un ORL confirmera que Mandy est née sans nerf auditif (1 bébé sur 16 000) ; une surdité totale et irréversible et donc une enfant muette en devenir.

Le montage se révèle d'une densité parfois rare de nos jours. La famille se déplace sans transition de la chambre au cabinet médical. L'incontournable plan du véhicule transportant une famille effrayée est omis à bon escient. En deux plans séquences de quelques minutes le destin de Mandy est scellé. Peu importe les détails médicaux, Mackendrick se concentrera sur la détresse du couple mais aussi sur la problématique sociale posée par la petite handicapée amenée à grandir… 

Christine, Dick et Mandy
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Dans le premier plan, Christine rêvait en voix off à la destinée de son unique enfant : femme d'affaire, artiste ou mère de famille comme elle, rêve déjà tué dans l'œuf. 

Mackendrick filmera en sociologue le périple de la famille anéantie qui doit déménager dans la maison spacieuse des parents de Harry. Elle est accueillie par une mamie aimante mais possessive avec son fils et un papi indifférent, plutôt obnubilé par ses parties d'échec par correspondance.

Cinq années passent. Mandy (Mandy Miller) s'ennuie dans cette prison dorée. Une préceptrice hors d'âge tente de lui enseigner la langue des signes, mais quelle utilité pour communiquer avec des enfants de son âge… Mandy s'ennuie dans le petit jardin clôt de la demeure, voyant à travers un trou grillagé le terrain vague où s'ébattent d'autres marmots. Mackendrick témoigne ainsi des séquelles du blitz de la Luftwaffe.

Mackendrick développe son récit par petites touches cruelles. Le toutou de la maisonnée s'échappe dans la rue… Mandy court sans entendre le camion qui surgit ni le chauffeur qui pile in extremis puis la conspue, paniqué par l'accident évité de justesse… Mandy frappe l'animal, Christine harassée frappe Mandy. Mamie s'interpose pour tempérer cet enfer… Lors d'une sortie dans un parc, Mandy se jette comme une furie sur un garçonnet farceur qui marchande avec insistance puérile mais innocente la restitution à Mandy de son ballon contre un "S'il te plait" qui ne vient pas…


Miss Crocker "Crie Mandy, crie !"

L'amie de Christine lui conseille de placer sa fille dans un établissement spécialisé sans l'accord du père. L'éducateur Dick Searle homme bourru mais génial accepte de rééduquer Mandy en suivant l'instinct de la psychiatre fondatrice Jane Ellis (Nancy Price), elle-même sourde. Dick déteste l'establishment de l'institut qui ne pense que fric, rentabilité et notoriété. Dick Searle (Jack Hawkins - Quintus Arrius dans Ben Hur, Lawrence d'Arabie, Le Pont de la rivière Kwaï, etc.).

Mandy arrivée tardivement, habituée à une vie de claustration, peine à progresser. Mais, il y aura le jour où… Voir la seconde vidéo…

On est frappé par la rudesse de cette scène, n'y voyons pas une violence sur l'enfant de la part de Miss Crocker (Patricia Plunkett), mais tout au contraire, l'opportunité inespérée d'un combat pour commencer à vaincre le handicap. Miss Crocker oblige Mandy en larmes à poser ses lèvres sur le ballon. L'obstination de l'enseignante permet enfin à l'enfant de faire sauter le verrou qui la bride… Mandy se plie à l'exercice "bebebe […] babe, babe […] baby, baby…" Elle ressent les vibrations par sa bouche, ses mains, puis son corps… 


"Baby... Baby... Baby"

Sur une possible exigence de la production en termes de durée (90'), Mackendrick ne peut réitérer à l'infini des scènes pédagogiques, risquant le didactisme lassant. Il insère donc un chapitre sentimental dans lequel Dick Searle en pince pour Christine, assurant le soir des leçons pour Mandy. Dick Searle voit en cette mère courage l'épouse qu'il n'a pas eue.

Je ne détaille pas trop. Harry jaloux et imaginant se voir dépouillé de son rôle de père et de mari, est manipulé par le directeur de l'établissement, Ackland (Edward Chapman), bureaucrate étalon (et infidèle) en conflit permanent avec Dick. Avocats véreux et délateurs professionnels fomentent de toute pièce un constat d'adultère qui n'a jamais eu lieu, Mandy devant alors quitter l'institut et pire, ses petits camarades. Twist ingénieux de Mackendrick, le grand-père, entre le déplacement d'un cavalier et d'une tour, viendra recadrer son fils un peu benêt (personne ne demande à Harry d'éduquer sa fille mais de l'aider dans cette voie en complicité avec son épouse, les pantalonnades malsaines de certains adultes ne doivent jamais contrecarrer cet objectif prioritaire !) C'est vrai quoi, il a raison papi !

Mackendrick dans ce passage "roman photo" qui sera critiqué n'aura pas la finesse d'un Douglas Sirk, mais brocarde efficacement les fâcheux qui oublient le bienfait apporté à Mandy… Il reprend son style inimitable de ses comédies pour ridiculiser certains personnages 

Il existe un site proposant un diaporama d'une centaine de belles photos du films (Clic)

 

Pendant que les adultes se querellent, Mandy file sur le terrain vague où un groupe de gosses joue au foot et l'accueille quand elle bloque la balle ! Elle a désormais mieux à faire que supporter sans les comprendre des prises de bec grotesques à son sujet 😑. Champ-contrechamp ci-dessous… Complicité ludique et symétrique de l'altercation haineuse dans le parc à propos de son ballon.

Mandy Miller, enfant actrice âgée de 7 ans à l'époque, tourna 11 films entre 1951 et 1958. On n'imagine pas ce film sans elle, la richesse de ses mimiques alors qu'elle n'a aucun dialogue autre que des cris, des borborygmes et quelques mots simples. J'adore le béret et les grandes nattes 😊. De son vrai nom Carmen Isabella Miller, elle abandonnera les plateaux devenue adulte. Au festival de Venise, Mackendrick recevra le prix spécial du jury et sera nominé pour le lion d'or.


"Tu veux jouer avec nous ?"... "C'est quoi ton nom ? " "Maaandy"... "Mandy !"


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