Préambule n°1 : il existe deux films titrés en français L’Obsédé. Celui objet de notre causerie du jour, et celui de William Wyler (1965) avec Terence Stamp. Dans les deux cas il s’agit d’une histoire de séquestration.
Préambule n°2 : on se rend compte que L’Obsédé est sans doute à l’origine de la série Columbo (j’en ai pas la preuve, mais y'a de sérieux indices !)
Préambule n°3 : y’en a pas.
Un petit mot sur le réalisateur Edward Dmytryk, connu à plus d’un titre. D’abord par son patronyme impossible à orthographier correctement, manquerait plus qu'il ait joué avec Lynyrd Skynyrd ! Ensuite parce qu’il a tout de même réalisé une poignée de bons films, LES ENFANTS D’HITLER (1943), OURAGAN SUR LE CAINE (1954, avec Bogart), LE BAL DES MAUDITS (1958, Marlon Brando, Montgomery Clift), L’HOMME AUX COLT D’OR (1959, Henri Fonda, Richard Widmark), ou le très intéressant LA LANCE BRISÉE (1954, Spencer Tracy, Richard Widmark, Robert Wagner, grand western pro-indien). Bon, il nous a fait aussi l’improbable SHALAKO avec Sean Connery et Brigitte Bardot…
Ensuite (bis) parce que Dmytryk est tristement célèbre pour avoir été un des « 10 d’Hollywood », ces gens de cinéma à la conscience politique très à gauche convoqués par la Commission des activités anti-américaines du sinistre sénateur McCarthy en 1947. Dmytryk refusa d'y dénoncer ses camarades communistes. Pressentant la sentence (6 mois de taule) il grimpe dans un avion direction l'Angleterre où il réalise deux films, dont L’OBSÉDÉ. De retour au début des années 50, il se fait alpaguer sur le tarmac par le FBI et jeter en prison. Pour en sortir, il sera contraint de donner des noms. Un épisode qui va peser sur l’homme autant que sur sa carrière. A l’instar d’Elia Kazan, il sera considéré comme un traître. Si au départ Dmytryk a dénoncé très tôt le fascisme qui sévissait en Europe (LES ENFANTS D’HITLER), il s’intéressera ensuite à des personnages ambigus, inspirés de sa propre expérience.
L’OBSÉDÉ est un film noir, dont le ton est assez proche d’Hitchcock (période anglaise) et dont la construction rappelle ce que sera la série télé COLUMBO. On connaît dès le début le coupable et son mobile, le personnage de l’enquêteur n’arrivant qu’ensuite. Comme le lieutenant à la 403 Peugeot, le superintendant Finsbury avance masqué, un type qu’on ne prend pas au sérieux, qui détourne la conversation (ici la discussion sur les modèles de trains électriques) avec des répliques comme « Ah oui, j’avais une dernière question… » ou « c’est un détail, pour mon rapport, mes chefs sont pointilleux »…
Autre réplique que je me souviens avoir entendue aussi dans un COLUMBO, à la fin de la première (et géniale) rencontre entre Finsbury et le docteur Riordan qui se pique d’être un amateur de crime, le flic répond : « Tous les meurtriers sont des amateurs, car criminel n’est pas un métier, seuls ceux qui les attrapent en ont fait une profession : les policiers ».
Finalement, il y avait un préambule n°3, rentrons maintenant dans le vif du sujet.
Nous sommes à Londres. A son club, le docteur Riordan semble soucieux. Il vérifie constamment l’heure (gros plan sur sa montre), zyeute le vestiaire où est suspendu son pardessus (gros plan sur la poche de son manteau). Quand il quitte enfin le club et rentre chez lui, Riordan se cache dans l’ombre dès qu’une voiture passe. Bizarre… Car Clive Riordan, qui était censé être absent pour un congrès, a prévu ce soir-là de surprendre sa femme Storm Riordan et son amant Bill Kronin. Dans la première séquence, Clive Riordan va un à un démonter les mensonges des deux amants, leurs alibis foireux, mais toujours de façon courtoise (le ton est très british), aiguisée, montrant ainsi sa supériorité intellectuelle. Le type n’est pas près de s’étouffer par excès modestie. Il manipule et ridiculise, sûr de lui au point d’annoncer son projet : tuer Bill Kronin en réalisant le crime parfait.
5 jours plus tard, une manchette de journal titre sur la disparition mystérieuse d’un américain à Londres : Bill Kronin. Storm Riordan n’est pas dupe mais n’a aucune preuve pour dénoncer son mari. Et ce serait avouer sa liaison, son infidélité. Comme lui dit son mari, elle n’est pas prête à une telle humiliation publique. Elle tentera un coup de bluff, dire qu’elle a reçu une lettre de Bill, reparti aux USA. Riordan se marre, se délecte, car il sait la vérité : Bill Kronin est séquestré au fond d’une cave, et il va y passer de longs mois…
Il y a tout de même une inconnue dans l’intrigue : si Riordan veut tuer Kronin, pourquoi le garde-t-il en vie si longtemps ? Sujet de discussion que les deux hommes auront ensemble, à chaque visite de Riordan. Il apporte régulièrement à boire, à manger, de la lecture à son prisonnier. Kronin est enchaîné au mur, il n’a qu’un périmètre restreint dans lequel se déplacer, symbolisé au sol par une ligne peinte en blanc. Idée géniale, Riordan se tient toujours de l’autre côté de la ligne, à l’abri, et Kronin n’a pas l’angle de vue nécessaire à comprendre ce qui se trame dans une pièce adjacente.
A l’image, et grâce à la profondeur de champ, les deux hommes semblent discuter comme de bons amis, dans le même espace. Le ton est très badin, on ironise, on se jauge, Riordan explique à sa future victime la difficulté de faire disparaître un corps, toutes les solutions sont énumérées (on retrouve l’humour macabre d’Hitchcock), il joue avec sa proie, sadiquement. Une fois que Kronin aura compris le comment, la question sera : quand ? Riordan donnera cet indice quand l'autre lui réclamera d’autres livres : « un petit volume suffira ». Sous-entendu, tu n’auras pas le temps de te lancer dans les deux tomes des Misérables…
Edward Dmytryk va distiller le suspense sur deux aspects. Quand et comment aura lieu le meurtre, et l’enquête du policier Finsbury, qui soupçonne Riordan de plus en plus d’avoir fomenté un mauvais coup. Dans leurs échanges aussi il est question de domination. A la première entrevue, Dmytryk filme Riordan en forte contre plongée, pour asseoir son pouvoir, sa supériorité face au policier qu’il considère comme un crétin. Dmytryk place une scène où les hommes discutent de trains électriques. On est dans le jeu (comme dans LE LIMIER de Mankiewicz), chacun évalue l’autre.
On appréciera ce plan tout bête, lorsque Riordan est dérangé à son cabinet par un coup de sonnette. Il préparait des trucs louches dans son laboratoire, je n’en dis pas plus… Il ouvre, mais y’a personne sur le palier. Sauf de la fumée, sur le côté, celle qui s’échappe de la pipe du policier, qui est d’abord pris pour un colporteur, encore une similitude avec Columbo.
L’intrigue va se nourrir d’autres rebondissements, la femme de Riordan n’a pas dit son dernier mot, mais aussi son chien. Qui aura la bonne idée (ou mauvaise, c’est selon) de renifler les traces de son maître, ce qui permet à Dmytryk de filmer une filature dans le Londres encore meurtri de la guerre, avec ces terrains vagues et immeubles éventrés. Monty (c’est le cleps) aura au fur et à mesure un rôle primordial à jouer dans cette partie d’échecs machiavélique. Par moment la situation ressemble à celle de LE SILENCE DES AGNEAUX.
Ce qui est intéressant dans L’OBSÉDÉ, c’est que le spectateur est de tout cœur avec le salaud ! Adage hitchcockien : plus le méchant est réussi, plus le film l’est aussi. Le docteur Riordan se donne tellement de mal, qu’on ressent une pointe de déception à la fin, qui est plus classique, plus dans la norme. C’est en tout cas une belle mécanique criminelle, un film original, presque en huis-clos, une très belle photo noir et blanc, bien contrastée, un bon thriller qui prouve la maîtrise technique de son réalisateur.
Dingue ! Aucune bande annonce sur Le Tube, pourtant le film existe sous trois titres. Donc le film complet...
Merci pour ce post très instructif sur ce sacré personnage ! Dans vos nombreuses richesses, auriez-vous connaissance d'un lien où je pourrais récupérer ce thriller culte en VF svp ? Merci de votre aide et longue vie à votre blog ! Cinéphilement, EF
RépondreSupprimerBonjour EF, et merci de votre passage. Hélas, je ne peux pas vous aider à trouver "L'Obsédé", encore moins en VF. Sur les plateformes internet, on en trouve des éditions dvd assez suspectes, et si on peut regarder le film sur You Tube (qualité médiocre) il est sans sous-titre. Reste à attendre une diffusion télé sur une obscure chaine du câble (c'est là où je l'ai découvert), ou faire une recherche plus approfondie sur Internet pour voir s'il a été édité un jour en VF.
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