vendredi 21 avril 2023

LES TROIS MOUSQUETAIRES de Martin Bourboulon (2023) par Luc B.

 

Je n’en attendais pas grand-chose, raison pour laquelle je n’ai pas été déçu.

A l’issue de la projection, la première question qui vient à l’esprit est : comment a-t-on pu confier un budget de 72 millions à Martin Bourboulon (deux fois 36, puisque diptyque) qui jusque-là n’avait fait qu’une petite comédie et sa suite, au demeurant sympathique, PAPA ET MAMAN (2015) et le navet EIFFEL ? 

Parce qu’il est le fils de Frédéric Bourboulon, producteur de cinéma ? Celui qui était l’associé de Bertrand Tavernier, réalisateur entre autres du délicieux LA FILLE DE D’ARTAGNAN (1994), modèle d’humour, d’ironie, de charme et de panache… bref, tout ce qui manque justement à ces TROIS MOUSQUETAIRES version 2.0 ? Il a aussi été assistant pour Jean Paul Rappeneau, dont il aurait dû beaucoup apprendre...

Et pourquoi avoir confié l’écriture du scénario au duo Alexandre de La Patellière et Matthieu Delaporte, connus pour la pièce puis le film LE PRENOM ? On est dans le même cas qu’ASTERIX version Canet, dont le scénar venait des types qui ont écrit LES TUCHES… Leurs seuls faits de gloire sont d’avoir attiré plusieurs millions de spectateurs en salle, si c’était un gage de compétence, ça se saurait.  

J’ai lu quelque part que le réalisateur Richard Lester, qui en a tourné une version (parodique) en 1973, disait : « Avec Alexandre Dumas au scénario, faudrait vraiment le faire exprès pour rater son coup ». Comme on disait à la SNCF : si, c'est possible ! Sans doute parce que notre duo de scénaristes s'est cru plus malin en souhaitant sabrer dans l’original, dépoussiérer le mythe, le rendre plus contemporain, apte à capter l’attention des jeunes générations. Et des gamins, y’en avait dans la salle. Les pauvres… y ont-ils compris quelque chose ?

Un cavalier qui surgit hors de la nuit et qui court vers l'aventure au galop sous la pluie, s’arrête dans une auberge où il est témoin d’une agression contre une jeune femme. Son courage à deux mains et l’épée dans la troisième, il s’interpose, tranche dans le vif, et pour tout remerciement se prend par la belle une balle en plein cœur. Et là, on se dit : mais qu’est ce qui s’est passé, qui sont ces gens ?

Car on ne voit ni ne comprend rien. Ce n’est pas la faute à la nuit, à l’averse, mais à la photographie du film, d’un marronnasse boueux abyssal, complètement sous-exposée, et à des mouvements de caméra tellement brusques qu’on n’a pas le temps de voir qui est qui, qui fait quoi. Bref, le gars est mort, puis enterré, mais en fait non, il respirait encore et ressort de terre tel un zombie. Pardon d’être vulgaire, mais ce prologue est complètement con ! Le gars c’est le jeune D'Artagnan, le héros du film et du roman, et s’il cassait sa pipe à la première bobine, ça se saurait.    

On retrouve D’Artagnan qui monte à Paris avec une lettre de recommandation à l’attention du capitaine de Tréville, pour intégrer la compagnie des Mousquetaires de roi. Il y fait deux rencontres. Avec la charmante Constance de Bonacieux, sa logeuse, puis avec les mousquetaires Athos, Aramis et Porthos, que le jeune insolent a le toupet de provoquer en duel. On connait l’histoire, je ne reviens pas dessus, « Un pour tous et tous pour un ! », « Nous sommes trois / non quatre !! ». 

Le parti-pris de Martin Bourboulon était de tourner en décor naturel, en limitant l’usage du numérique, et avec des scènes de combat filmées en plan séquence. Donc sans montage frénétique. Sauf qu’à l’écran, le rendu est exactement le même, les habituels champs contre champs étant remplacés par des panoramiques ultra rapides d’un assaillant à l’autre. On ne comprend strictement rien à ce qui se passe à l’écran. La caméra cadre au plus près des visages, des poignets, une caméra immersive comme on dit, les scènes d’action sont totalement illisibles, on ne sait plus qui tape sur qui. Le réalisateur semble faire son maximum pour qu’on ne s’intéresse pas à ce qui se passe. Un comble !

D’autant que les costumes sont les mêmes pour tous les protagonistes, relookés en mode PIRATE DES CARAÏBES. Arnachés de cuir noir, les visages passés au charbon pour faire crasseux (réaliste ?) à moins qu'ils arrondissent leurs fins de mois comme ramoneurs et n'aient pas de quoi se payer une savonnette et un bain public avant de passer devant la caméra. 

Quand dans les versions précédentes on voyait les mousquetaires avec leurs casaques bleues à la fleur de lys et les hommes de Rochefort (qui d’ailleurs a disparu ici !) tout en noir, on comprenait qui étaient les gentils et les méchants. Chez Bourboulon tout se confond.

Comme il n’y avait visiblement pas assez d’action ni de complots dans le bouquin, les scénaristes ont cru bon d’en inventer d’autres. V’là t’y pas que Athos est accusé de féminicide (on ne saura pas qui a trucidé la dulcinée) mais cela permet de mettre le personnage au cachot et de ne pas revoir Vincent Cassel pendant une demi-heure ! Autre complot, contre le roi Louis XIII, qui marie son frère quand des protestants qui protestent cassent l’ambiance à coup de mousquets. On sent parfois des velléités de tendre vers l'esthétique de LA REINE MARGOT de Patrice Chéreau, mais parfois seulement...

Ah oui, parce qu’on ne se contente pas de ferrailler à l’épée, on sort les flingues et les fusils, ça tire dans tous les sens, on se croirait chez John Woo !

Pour la fougue et le panache, on repassera. Dans une scène, D’Artagnan échappe aux balles de Milady (car elle aussi manie le pistolet) en passant par les toits. Je me voyais déjà trembler pour notre héros, poursuivi par une horde de méchants, bondissant de tuiles en tuiles, glissant des gouttières… mais non, le mec fait trois pas, trébuche et se barre tranquille. Pareil pour la scène du bal masqué en Angleterre, aucune surprise, aucun suspense, 300 invités masqués mais le gars trace direct vers sa cible. La poursuite à cheval qui suit, filmée au drone au ras d'une falaise, est tellement sombre à l'écran qu’on ne distingue pas l'à-pic, donc aucun sentiment de vertige, aucun frisson. 

[SPOILER] Quant au saut de l'ange de Milady... A moins que la jupe bouffante fasse office de parachute... (y'a une scène en plus après le générique de fin, mais tout le monde s'était déjà barré !)

Pourquoi les acteurs parlent-ils comme à l’époque certaines fois (diction théâtrale du plus mauvais effet) et de manière contemporaine à d’autres ? Pourquoi Porthos est-il devenu bisexuel, une info dont on se contrefout royalement ! Où est passé le méchant comte de Rochefort, pourquoi Richelieu, le Dark Vador de l'époque, ne fait-il peur à personne… Pourquoi ce film ?!!

Bourboulon filme souvent François Civil d’assez près, faisant le point sur lui, donc les arrière-plans restent flous. Et comme il fait sombre ou nuit tout le temps, on ne profite même pas des décors, des paysages, de l’effervescence des rues. Donc à quoi a servi ce colossal budget, à part le cachet des stars qui se bousculent à l’écran. Sauf qu'à part Louis Garrel en Louis XIII et Lyna khoudri en Bonacieux, pas grand-chose à se mettre sous la dent, on ne peut pas dire que Civil crève l'écran, Pio Marmaï semble s'amuser un peu plus, Eva Green en Milady était une bonne idée, mais sans nuance et sous exploitée (attendons le deuxième volet qui lui est consacré, ou pas).

Le résultat est très décevant, malgré tous les moyens mis en œuvre, ce film n'est tout simplement pas intéressant, et pénible à regarder. Quand on voit des extraits à la télé on ne s'en rend pas compte car ce type d'écran génère de la lumière. Mais en salle, où l'écran n'est qu'une surface de projection, on a l’impression de descendre bosser à la mine pendant deux heures, j'ai cru à un remake de GERMINAL

On verra en décembre si je suis d’humeur à aller voir la suite. En attendant, on va se revisionner la version flamboyante de George Sidney (1949) avec Gene Kelly et Lana Turner, ou même le FANFAN LA TULIPE de Christian Jacques.


couleur  -  2h00  -  format scope 1:2.39


6 commentaires:

  1. Diptyque ! Le dytique est un insecte... :-)
    Tiens, il y aurait un phénomène de "fils ou fille de" dans le cinéma français (ou la chanson) ?

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  2. Merci, corrigé ! Alexandre de La Patellière aussi avait un papa dans le métier, un hasard sans doute.

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  3. Samedi, discussion avec une amie, retraitée de L'EN, qui avait vu le film dans la semaine. J'avais survolé ton com, je lui dit que j'avais des échos comme quoi c'était pas terrible. Elle avait été enchantée du film, vachement immersif (je la cite) ... comme je suis quelqu'un de courtois, j'ai lâchement acquiescé ... mais je n'en pense pas moins, c'est le genre de truc que même sans le voir, tu sais que c'est pas bon ... En tout cas, il remplit pas les salles, elle était la seule et unique spectatrice de la séance ...

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  4. Pour être immersif, c'est immersif ! Elle dit quoi de la qualité de la lumière ? c'est un truc que tout le monde à noté, y compris chez les critiques professionnels. Avec le numérique, il était facile de rectifier le tir (il reste bien un peu de sou dans la caisse ?).

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  5. Etonnant. A en croire certains commentaires élogieux de la presse, ce serait le retour du grand cinéma français...

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  6. L'enjeu était d'importance, le but était de savoir si le cinéma français était encore capable de produire de très gros films populaires pouvant drainer les spectateurs en salle. Après Astérix qui n'a pas fait les entrées suffisantes pour équilibrer son budget (mais y'a aussi les ventes à l'étranger) le second test était Les trois Mousquetaires. Promo énorme et articles élogieux de circonstances, à mon sens surévalués, on y parle rarement réellement du film en soi ou du scénario, mais de la production, des stars, de Dumas... Le film peut effectivement plaire si on n'est pas trop regardant (un peu plus de 2 millions à ce jour, c'est financièrement un échec), mais ici et là, on s'accorde à dire que l'image est extrêmement sombre, et les scènes d'action illisibles.

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