Steven Spielberg a souvent mis en scène des familles déboussolées, dès RENCONTRE DU TROISIÈME TYPE, E.T. EMPIRE DU SOLEIL, jusque LA GUERRE DES MONDES ou A.I., des enfants tiraillés entre parents divorcés ou absents de la maison. Et pour la première fois, à 76 ans, c’est sa vraie famille qu’il met en scène, son enfance ballottée au gré des déménagements, dans un récit totalement autobiographique, même si le réalisateur explique qu’il a parfois déplacé certains faits ou évènements sur d’autres personnages.
S’il nous parle de lui, de ses parents, s’il recrée (superbement) une époque, il nous parle aussi et surtout de son amour immodéré du cinéma. Et du cinéma, du vrai, on va en avoir plein les mirettes, à commencer par un premier plan simple et somptueux, qui englobe en un seul mouvement les trois éléments du film : enfant + parents + cinéma. On y découvre Sammy Fabelman, que ses parents rassurent avant d'entrer dans une salle obscure, y découvrir le classique de Cécil B. de Mille « Sous le plus grand chapiteau du monde ». A l'écran, la scène de l’accident de train subjugue les spectateurs, mais traumatise le gamin !
Sammy a eu peur, mais il a aussi éprouvé du plaisir. Une équation qu'on retrouvera dans les films de Spielberg, avec des requins, des aliens, des nazis ou des dinosaures. Le gamin ne rêve plus que d'accidents de train (il en aura un, électrique, à Noël) mais le déclic vient de ce que lui dit son père : « si tu filmes l'accident, tu pourras le revoir, le revivre indéfiniment ». Il faut voir ce plan de Sammy, accroupi les yeux pile au ras de la table, regarder son train foncer vers lui. Le gamin a trouvé l'angle de vue plus expressif pour profiter de l'action, ce qui deviendra la marque de fabrique du futur cinéaste.
Spielberg recrée à l’écran ses propres courts-métrages maison, c’est drôle et inventif (tout le papier toilettes de la maison réquisitionné pour déguiser ses sœurs en momie !), le gamin expérimente les angles de vue, le montage, le suspens. Ses films sont de plus en plus sophistiqués, caméra 8mm, plus tard la fameuse Arriflex 16mm. Spielberg filme tout ça, les coulisses, la fabrication d'un film, la découpe de la pellicule image par image, les travellings avec la caméra montée sur une poussette déglinguée roulant sur des planches. La famille, les voisins, les scouts locaux, tout le monde participe, Sammy Fabelman devient la vedette du quartier.
On suit en parallèle la famille Fabelman dans ses déménagements, le père Burt est souvent muté, il est ingénieur informatique, et visiblement pour l’époque il touchait vraiment sa bille ! La mère, Mitzi, est une concertiste contrariée, qui ne joue plus du piano que dans sa maison, difficile de concilier art et famille nous dit Spielberg (séquence avec l'oncle Boris). Pour ne pas que Mitzi s’abîme les mains en faisant la vaisselle, on utilise nappe en papier et assiettes en carton qu'il suffit de rouler en boule et jeter à la fin du repas. Le couple vit avec Bennie Loewy, ami et collègue du père, "oncle Bennie" pour les enfants.
Spielberg va nous (dé)montrer
le pouvoir du cinéma et des images, à travers deux séquences. La famille part
en pique-nique, Matzi boit un coup de trop et se met à danser devant le feu.
Sammy n’a pas assez de lumière pour filmer, Bennie allume les phares de la
voiture. La scène est merveilleuse, les hommes subjugués, les enfants atrocement
gênés par ce moment, car la chemise de nuit de leur mère dans la lumière des phares
devient transparente.
Cette scène filmée
par Sammy est à la fois sa plus belle car elle représente cette mère à la fois aimante et fantasque, mais aussi celle qui va déclencher les drames à
venir. Le cinéma comme source de joies ou de tragédies. En regardant
attentivement ses plans, Sammy se rend compte qu’il a capté sans s’en rendre
compte une autre action à l’arrière-plan. Un peu comme dans le film BLOW UP d’Antonioni.
Il a percé le secret de sa mère. Le montage qu’il offre à sa famille est
une version édulcorée. Mais il garde les chutes, et longtemps plus tard les montrera à sa mère, sans un mot, projection privée, clandestine, dans l'obscurité d'une penderie. Toute cette partie des FABELMANS est absolument fabuleuse, on pouvait craindre avec Speilberg de sombrer dans le mélo excessif** (son pêché mignon souvent...), alors que tout y est lumineux et très pudique, bref, intelligent.
1964.
Sammy est à l’université, en Californie. Un déraciné, objet de moqueries
de la part des « hommes séquoia », ces grands et beaux surfeurs
blonds, victime d’un antisémitisme violent. Il y a une scène fameuse quand sa
petite copine, chrétienne pas farouche limite mystique, tente de le convertir
avant de l’embrasser car sinon c’est pécher, louant le Seigneur pour « être
pénétrée par Jésus ». Spielberg filme les premiers ébats en forte contre
plongée cadrant ainsi l’immense crucifix qui trône au-dessus du lit.
Sammy est chargé de filmer une journée à la plage avec toute sa classe, il y a des épreuves, des jeux, et ce grand blond baraqué de Logan Hall, son pire ennemi qui le harcèle quotidiennement. Pourtant, le film projeté à la fête de fin d’année, montre un Logan en dieu du stade, applaudi par l’assistance et admiré par les filles qui fondent pour ce bel aryen. Ce qui met Logan mal à l'aise, qui découvre ce que le montage, le choix d'une image ou d'un cadrage contient de subjectif. Logan lui dit « la vie, c’est pas comme le cinéma », à quoi Sammy répond : « mais le cinéma t’a fait gagner une copine ».
Spielberg conclut sur une scène drôle et magnifique. Sammy passe un entretien d’embauche pour la télé CBS. Puisqu’il a envie de faire des films, son interlocuteur lui propose de rencontrer un grand cinéaste dont les bureaux sont dans l’immeuble : John Ford. Malicieusement joué par David Lynch, borgne et cigare aux lèvres (géniale idée de casting !). Ford donne cette leçon au gamin, à propos de tableaux accrochés au mur : « quand la ligne d’horizon est en bas du cadre c’est intéressant, quand elle est en haut, c’est intéressant, mais quand elle est au milieu c’est chiant quand la pluie ». La leçon sera appliquée par Spielberg sur le plan final.
Si THE FABLEMANS fait tout de même son petit 2h30 au compteur, ce qui aurait pu permettre de développer un peu plus les relations avec les soeurs, épaissir le rôle du père, on ne s’y ennuie pas, l’intérêt gagne même au fur et à mesure que le personnage de Sammy gagne en maturité. On aurait pu penser que Spielberg truffe son récit de références sur sa propre filmographie, mais non. De même, il n'évoque pas les changements survenus dans le cinéma dans les 60's (le Nouvel Hollywood) ni les évènements politiques, comme la guerre au Vietnam, pour la simple (et bonne) raison que ce n'est pas le sujet du film.
Il y a dans THE FABELMANS une patine différente de ses autres films, dû au fait que le matériau de départ soit sa propre vie, sa jeunesse, son apprentissage. Pas de morceaux de bravoure, Spielberg ne cherche pas à épater, juste à raconter, se raconter. Après James Gray, Alfonso Cuaron, Paul Thomas Anderson, encore un cinéaste de premier plan qui revient sur sa propre histoire (tous obnubilés par LES 400 COUPS de Truffaut !) mais doublé ici d’une belle réflexion sur le cinéma, dans ce qu’il a d’aventureux, spectaculaire ou intime.
couleur - 2h31 - format 1:1.85
**l'illustration musicale de la bande annonce donne juste envie de fuir, mais ne reflète heureusement pas l'ambiance du film...
Tout le monde en parle de celui-là. Souvent dans le dithyrambique, chef-d'oeuvre crépusculaire, testamentaire, son meilleur ...
RépondreSupprimerJe vois que tu as su raison garder ...
Ca devient une mode les films autobiographiques sur le cinéma ... mais tout n'a pas été dit et montré avec Cinema Paradiso ?