jeudi 2 mars 2023

HINDEMITH – Konzertmusik pour cordes et cuivres op. 50 (1931) – L. BERNSTEIN (1989) - par Claude Toon


- Tiens M'sieur Hindemith, Claude. Ça me rappelle un billet dicté par M'sieur Diablotin il y a deux trois ans… Dommage qu'il n'ait pas pu continuer…

- Ben, c'est la vie Sonia, un chouette coup de main à l'époque, des œuvres sympas jamais commentées ou alors différemment, des papiers pédagogiques et drôles notamment sur Mathis der Maler (Mathis le peintre) dirigé de mains de maître par Herbert Blombstedt (96 ans en juillet et toujours baguette à la main) et, historiquement, le premier billet qu'une peinture cultissime portait…

- C'est curieux cette Konzertmusik un peu "strange" mais très facile à écouter qui limite l'orchestre aux cordes et à une fanfare…

- Oui, typique de la seconde manière d'Hindemith qui cherchait comme d'autres musiciens de son temps de nouvelles voies expressives mais sans exiger que le public vienne avec du Doliprane !

- Je crois que lui aussi a dû fuir le nazisme… question délicate : juif ? ou opposant à ce régime horrifique ?

- Hindemith n'était pas de confession juive mais sa femme oui, et de toute façon sa musique passait pour "dégénérée", comme d'autres il a dû partir en Suisse puis aux USA, je détaillerai cette période noire mal connue en fait ; que d'a priori de nos jours… 


Paul Hindemith
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Petit avant-propos : à 96 ans, le maestro Herbert Blombstedt a quand même pris un petit coup de vieux ; en janvier, il a dû prendre le bras du premier violon pour aller s'asseoir sur le podium ; une séquelle de sa blessure au genou l'an passé où il dirigeait encore debout… Il a donné une interview d'une rare pertinence et lucidité pendant laquelle il rappelle une évidence : "De toutes les formes d'art, la musique est la plus immatérielle, elle flotte dans la pièce, impossible de la voir, on peut juste l'écouter"… Il dirigeait en janvier, à Munich, la monumentale 4ème symphonie de Bruckner. Cet artiste me bluffe, et pas uniquement pour sa longévité surréaliste ! À écouter (Clic). La répétition (Clic).

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Une petite biographie de Hindemith est à lire en préambule du billet sur les Les Métamorphoses symphoniques (Clic). Cette œuvre date de 1943, période où comme expliqué dans la chronique de 2017, le compositeur marié à Johanna Gertrude Rottenberg, chanteuse et actrice de confession juive, et le style plutôt avant-gardiste d'Hindemith plus ou moins étiqueté "dégénéré" avaient donné deux bonnes raisons au couple de s'expatrier en Suisse puis aux USA.

L'année 1931 débute une décennie charnière dans la vie de Hindemith. Jusqu'à cette date le jeune virtuose du violon, de l'alto et même de la viole de gambe né en 1895, ose tout. Mettant à profit ses capacités de virtuose, il devient violoniste de l'orchestre de l'Opéra de Francfort et altiste du quatuor Amar fondé en complicité avec le violoniste hongrois Licco Amar (1891-1959). Cet ensemble de musique de chambre doit se résigner à une séparation en 1933, quand les nazis arrivant au pouvoir, Licco Amarétant juif, devra émigrer en Suisse puis en Turquie. 

En parallèle de son métier d'instrumentiste, depuis 1916, Hindemith compose beaucoup et se passionne pour les courants musicaux du temps ; le postromantisme de Richard Strauss et le dodécaphonisme* et le sérialisme inventés par Schoenberg en 1923. Il s'intéresse à la seconde École de Vienne sans y adhérer ni rejoindre le groupe qui comprend déjà Berg et Webern, élèves de Schoenberg.

(*) Terme inventé a posteriori après guerre par le pittoresque René Leibowitz, prophète du sérialisme intégral, une extension sans lendemain du concept. 

Gertrud  et Paul Hindemith
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Son premier parcours créatif s'oriente sur trois axes : des opéras, des œuvres symphoniques, majoritairement pour petits ensembles, et de la musique de chambre, notamment des quatuors. Son style échappe complètement au postromantisme au bénéfice d'une indéniable âpreté mélodique, de sonorités nouvelles et d'une inspiration aussi provocante que… fracassante. Hindemith est l'exemple même du compositeur mal-aimé qui sera sujet de polémique tant avant qu'après l'arrivée des dictats nazis pour qui toute musique non académique voire patriotique est dite "dégénérée". Ecrire "il ose tout" est un doux euphémisme en regard de ses sujets et livrets d'opéras et même, dans une moindre mesure, par la hardiesse de l'écriture de sa musique… Deux exemples : les trois premiers opéras et les Kammermusik.

Entre 1921 et 1922, Hindemith compose trois courts opéras en un acte qui recourt à des livrets d'auteur expressionnistes, intrigues mêlant : sexe et luxure, violence sanguinaire ; une thématique à la limite du malsain et aux antipodes de la pléthore de vaudevilles ou d'opéras-comiques tellement à la mode aux XIXème siècle, tant en Allemagne qu'en France. (J'exclus Wagner, Verdi, quelques autres comme Berlioz…). Les titres des trois opéras formant un triptyque de débutant sont évocateurs : Mörder, Hoffnung der Frauen (Tueur, espoir des femmes), Das Nusch-Nuschi (Le Nusch-Nuschi est un monstre), Sancta Susanna. Au programme : sexualité de groupe entre filles et soudard(s) dans les deux premiers, bourreau, tuerie au détail ou en gros, religieuse allongée nue contre un crucifix, amant de none emmuré vivant… Etc., que de l'espièglerie 😲 !! 

Créées à Francfort ou à Stuttgart, ces partitions lyriques modernistes recueillent le succès ou essuient le scandale par leur audace. On revit l'épisode Salomé, l'opéra vénéneux de Richard Strauss qui pourtant n'aimera pas les innovations musicales d'Hindemith, alors que le contraire n'est pas vrai. Strauss a la mémoire sélective car la ravissante princesse Salomé, caractérielle et nymphomane, faisant décapiter Jean-Baptiste qui se refuse à elle, n'est pas un modèle de délicatesse… Et que dire du livret "récréatif" traduit en allemand in extenso de la pièce de l'écrivain anglais Oscar Wilde, provocateur, gay et dépravé, et qui déchaina lui aussi succès et scandale en 1905


Ensemble des cuivres Athenaeum

Les Kammermusik au nombre de sept ne sont pas autre chose que des concertos grosso inspirés par la forme des Concertos Brandebourgeois de Bach ou ceux de Haendel. Une douzaine d'instruments (l'orchestration n'est jamais identique), des couleurs vivantes et fantasques. Comme les Brandebourgeois joués dans le café Zimmermann de Leipzig, on imagine les Kammermusik animant les soirées des brasseries allemandes. L'écriture fait appel au chromatisme, aux gammes modales d'un Debussy, à de la polyrythmie… Composées entre 1922 et 1927, elles préfigurent la Konzertmusik pour salle de concert à l'orchestration limitée aux cordes et à une fanfare de cuivres. Des œuvres à écouter prochainement et qu'ont dû apprécier Kurt Weil et d'autres compositeurs novateurs de cette période séparant l'armistice de 1918 et l'arrivé de la peste brune en 1934

Ces compositions hors des standards correspondent à une adhésion au courant Neue Sachlichkeit (Nouvelle Objectivité), une forme de rejet du postromantisme encore trop marqué d'intentions émotionnelles. Dans ce mouvement, contemporain de la république de Weimar, les artistes de toutes les disciplines cherchent des voies d'expression plus populaires et d'accès faciles. L'influence du Jazz en musique est nette. Hindemith s'inscrit en droite ligne de ce courant tout comme Kurt Weill associé au dramaturge Bertold Brecht (coauteurs de L'opéra de quat'sous dans lequel sont brocardées les valeurs bourgeoises traditionnelles) et le maestro et compositeur Otto Klemperer. Inutile de préciser que ces expériences devront prendre fin en 1933


Furtwängler et R. Strauss en 1933
("On fait quoi ici, au juste ?")

La Konzertmusik opus 50 fait partie d'un groupe de quatre ouvrages similaires écrits entre 1926 et 1931. Diablotin nous avait parlé de la symphonie Matis der Maler (Mathias le peintre) de 1934 composée à la demande de Wilhelm Furtwängler et compilant des extraits symphoniques d'un opéra éponyme en cours d'écriture dont le sujet est la liberté des artistes face à toute contingence politique. Le public apprécie, mais les critiques des caciques nazis sont virulentes, tant envers le chef que pour Hindemith dont la vie va devenir très… très compliquée !

En 1933, le ministre de la propagande nazie Joseph Goebbels veut donner à l'Europe l'illusion que la culture est au centre des préoccupations de la dictature la plus noire. (On y croit tous.) Il crée la Chambre de musique du Reich (Inscription obligatoire pour tout musicien pour pouvoir exercer). Il nomme un président illustre : Richard Strauss, qui accepte en espérant protéger le patrimoine musical de son pays. Furtwängler en est le vice-président. Strauss n'aime guère parait-il Furtwängler, qui pourtant sert bien sa musique, et n'a pas d'atome crochu non plus avec l'iconoclaste Hindemith, membre de fait, et dont Furtwängler soutient le non-conformisme avec fougue…

Ces conflits d'égo à fleuret moucheté seront très provisoires. En 1935, la Gestapo fait congédier Strauss pas suffisamment servile et antisémite à son goût, puis Furtwängler (qui l'est encore moins)… Peter Raabe prend la tête du "machin". Raabe, un vieillard incompétent et raté, nazi tendance dure et donc antisémite qui déclarait "Le déclin de l'opérette… a favorisé la tendance à l'impudeur […] au goût pourri de l'époque […]. L'influence décisive reposait sur les Juifs.". Goebbels avait trouvé le type idéal, hélas pour la musique germanique 😕 ! Dans un discours fleuve de 1934, l'hystérique Goebbels vociférait à propos de Hindemith, de Schoenberg ou d'autres : "Bolchevisme culturel ! Arrogante impudence juive !" "faiseur de bruit atonal", résumant ainsi le fameux concept de "musique dégénérée". (Hindemith n'ayant jamais utilisé l'atonalité, on constate le niveau de culture du personnage).

Hindemith partira un temps pour la Turquie… puis vers 1938, le couple trop en danger part pour la Suisse puis les États-Unis dès 1940.

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Leonard Bernstein en 1990

En 1931, l'Orchestre symphonique de Boston s'apprête à fêter son cinquantenaire. L'orchestre a atteint un sommet qualitatif grâce à des chefs avisés et de talent tels Arthur Nikisch (entre 1889 et 1893 ; le prédécesseur pendant un quart de siècle de Furtwängler à la tête de la Philharmonie de Berlin) ou le Français Pierre Monteux (entre 1919 et 1924). Au départ de Monteux, Serge Koussevitzky, d'origine russe, maestro et compositeur prend les rênes de la formation. Plus qu'un chef de talent, c'est aussi un mécène qui restera célèbre par le nombre important de commandes effectuées auprès de compositeurs modernistes de son temps. Il dirigera à Boston pendant 25 ans.

Attention les yeux, pour ce jubilé de 1931, quatre grands maîtres sont sollicités : Ravel (Concerto en sol majeur), Stravinsky (Symphonie de Psaumes), Paul Hindemith (Konzertmusik) et Albert Roussel (Troisième symphonie), quatre chefs-d'œuvre. On remarque en premier lieu deux compositeurs qui, comme je m'en étais offusqué dans un article récent consacré à Albert Roussel ont moins facilement traversé l'épreuve du temps. En effet comme le français Roussel, Paul Hindemith ne fait plus la une depuis la Guerre des programmes des concerts ou des labels discographiques, lui qui bouscula tant la musique allemande du début du XXème siècle. Chacune des quatre œuvres dure une vingtaine de minutes, présente une écriture moderniste mais non hermétique. Doit-on alors en déduire que l'École de Vienne, qui ne semble pas avoir été contactée, proposait une technique sérielle restant encore trop expérimentale pour le public yankee ?

Point commun, les ouvrages laissent une large place au rythme et aux pupitres de cuivres dont la qualité faisait la réputation des orchestres américains de haut rang. Autre impression, le style "mécanique" qui n'aurait pas déplu au Honegger de pacific 231, semble s'insinuer dans la plupart des œuvres, Serge Koussevitzky avait créé cette pièce du compositeur suisse en 1923 à l'Opéra Garnier… À Paris il avait tissé des liens d'amitiés entre 1921 et 1928 avec les quatre compositeurs invités à participer à cet anniversaire.

Hindemith par son adhésion au courant Neue Sachlichkeit tourne le dos à tout sentimentalisme postromantique. Dans sa pièce vont s'affronter un groupe de cordes et une puissante harmonie de cuivres (4 cors, 4 trompettes, 3 trombones et un tuba basse).

On ne trouvera donc pas l'analyse habituelle exprimant mes sentiments subjectifs : bucolique, poétique, onirique, festif… Konzertmusik apparaît comme une pièce de musique pure et concertante, un retour à un mode de composition innovant appliqué à un néoclassicisme inspiré du baroque et du classicisme. 

Serge Koussevitzky

Hindemith a scindé sa partition en deux parties, les tempos et nuances principaux indiqués en allemand et traduits servent à eux seuls de guide sur le signifiant de chacune des 2 + 3 sections. Hindemith sollicite une palette structurelle fantasque : polyphonie contrastée, rupture rythmique, grande richesse concertante entre les différents blocs instrumentaux. Chaque cuivre sur la partition possède sa propre portée, l'unisson n'est pas à l'ordre du jour. Dès l'introduction, l'alacrité un peu délirante s'annonce : staccato des cordes opposé à une mélodie virile aux cuivres, puis inversion des rôles, une belle excentricité du discours suivi de myriades d'idées amusantes, rutilantes ou plus ténébreuses… 

I. Mässig schnell, mit Kraft – [5:30] Sehr breit, aber stets fließend (Modérément rapide, avec puissanceTrès large, mais toujours fluide)

II. [9:41] Lebhaft – [11:48] Langsam – [14:58] Im ersten Zeitmaß (RapideLent (sublime thrène des cordes et chant tristounet des quatre cors) – ​​Tempo primo)

Le chef américain Leonard Bernstein a souvent joué et enregistré cette œuvre colorée. L'interprétation retenue est la dernière gravée, avant sa disparition en 1990 victime d'un cancer, ici avec l'Orchestre Philharmonique d'Israël qu'il affectionnait. La prise de son équilibrée met bien en valeur l'imaginaire d'Hindemith. Le disque comprenant aussi Matis der Maler (la suite orchestrale) et Metamorphosen est un incontournable.

À suivre une émission TV d'avril 1963 (quelques mois avant la disparition du chef et compositeur) retransmettant un concert avec l'orchestre de Chicago dirigé par Hindemith et proposant la Konzertmusik puis le 1er mouvement de la 7ème symphonie de Bruckner, une œuvre du plus pur romantisme. Beau témoignage…

Écoute au casque ou avec des enceintes additionnelles plus que conseillée.

Le son des PC, sauf exception, est vraiment une injure à la musique…


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Tant en Allemagne que dans les pays Anglo-saxons, Hindemith bénéficie pour sa musique symphonique d'une discographie variée y compris chez les labels, disons…. Les moins aventureux.

Les anthologies de Herbert Blombstedt et une autre par un aéropage de grand chefs, Eugene Ormandy pour la Konzertmusik dans un double album EMI présentées en fin de chronique de       métamorphosen par Eugen Jochum (Clic) restent d'actualité…

Sinon, trois gravures en album isolé complète le choix de la version ultime de Leonard Bernstein : Hindemith lui-même avec le Philharmonia (EMI - 1956 – stéréo), William Steinberg survolté et précis comme toujours avec l'Orchestre dédicataire, le symphonique de Boston (DG1972 - superbe prise de son), et enfin très récemment Yan Pascal Tortelier avec l'Orchestre de la BBC (Chandos - 2001 - Superbe stéréo).





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