Coffret original de 1961 |
- Mais Claude, c'est la semaine sainte certes, mais tu nous avais déjà
présenté en détail cette passion en 2020 dans une version moderne de
1967 et en complément celle de Nikolaus Harnoncourt de 1985 de l'époque
numérique. 1961, une version culte ?
- Oui en quelque sorte Sonia. On n'a jamais fait le tour de cet
oratorio sacré de plus de deux heures quand on aime Bach. Ce disque doté
d'un son très honorable pour l'époque présente un casting d'exception et
le mot est faible. Dans la liste des gravures suggérées par l'article
Wikipédia, il est en tête d'une liste chronologique de sept
références…
- Il y a des noms qui me renvoient à des billets du blog en effet,
Fischer-Dieskau le baryton ou Christa Ludwig, Wunderlich dans Mahler,
etc. Mais Karl Forster, là je ne vois pas…
- Ce ne pas surprenant, Karl Forster était un prélat et musicien qui
dirigea les chœurs de la cathédrale Sainte-Edwige de Berlin et composait
également… Réunir chez un musicien une foi sincère et des talents de
maestro sont rares…
- Ton papier comporte une recopie d'un commentaire sur les disques…
Heu, une petite flemme ou le souci de ne pas rabâcher ?
- Plutôt la seconde hypothèse Sonia. Le billet de 2020 est déjà détaillé… le commentaire
"Amazon" se suffit à lui-même… Je vais juste apporter quelques
précisions…
Karl Forster (1904-1963) |
Début des années 70, j'avais découvert la
Passion selon Saint-Jean
avec ce disque publié sous le label Da Capo de EMI ELECTROLA,
l'équivalent allemand de Arkiv Production de la firme hambourgeoise
DG. Voici ce que j'écrivais en 2011 sur le site Amazon
abandonné au bénéfice du Deblocnot cette année-là à propos de la réédition
sur CD de cet enregistrement de 1961
(Clic)
:
"Je possède la version vinyle de cette enregistrement historique. Je
l'avais "archivée" comme datée et mal enregistrée… bref, en un mot, oubliée.
D'où une double surprise : la voir rééditer d'une part, et lire un
commentaire aussi élogieux de Pèire Cotó en pleine époque "tout
baroqueux" d'autre part. Ni une ni deux, j'ai exhumé mon coffret à tout
hasard. Où avais-je la tête le jour de sa mise à l'écart ?
Tout d'abord, ces vinyles de 1961 (Da Capo, pressage allemand)
sont excellents, la prise de son relativement bien équilibrée et la
gravure ne présente aucun des défauts habituels : saturation et
distorsion, même quand les chanteurs poussent la voix !
Par-delà ces considérations techniques, j'ai redécouvert un trésor de
l'époque où l'émotion privilégiait la musicologie. La distribution est
en effet impossible à réunir de nos jours : Grümmer,
Ludwig à ses débuts, Wunderlich,
Fischer-Dieskau…
C'est une interprétation "classique à cette époque", mais
Karl Forster, dès les premières notes, donne le ton du climat
angoissé et dramatique de l'œuvre, cette respiration quasi haletante qui
annonce le sacrifice à venir.
Dürer |
L'orchestre, contrairement à ce que l'on entendait souvent à l'époque,
semble allégé, les cordes n'écrasent pas le chœur très articulé (sans
doute un effectif judicieusement réduit). On entend bien distinctement
bois et orgue dans l'espace sonore. Les solistes sont évidemment à leur
apogée dans ce répertoire qui est le leur. L'Aria "Ich Folge dir Gleichfalls..."
(N° 13) chanté par Elisabeth Grümmer est bouleversant.
L'évangéliste de Wunderlich reste complètement habité par son
rôle, voire exalté, dans le récitatif N° 61 "Et voici que le voile du temple se déchira... (Und Siehe Da, Vorhang Im
Tempel Zerriß)". Chanté par la soprano Elisabeth Grümmer, l'air de deuil pour
flûte, bois et continuo N° 58 "Es Ist Vollbracht !", reste un modèle d'émotion spirituelle et de chant concertant
entre la voix et l'orchestre. Le Chœur final pourra sembler lent,
sans doute l'est-il, mais il achève magiquement ce chef d'œuvre par
sa retenue, son manque total d'affectation et de
grandiloquence.
Ces disques vont reprendre leur place à côté des CDs de
Jochum de 1967 à Amsterdam (Philips, introuvables
hélas, d'éventuels exemplaires d'occasion existent). La distribution :
Haefliger, Berry, Giebel, Höffgen,
Crass est d'un niveau presque égal et la conception de
Jochum est demeurée pertinente.
On pourra ne plus aimer cette approche théâtrale, même si musicalement
parfaite, de ces années-là. J'avoue un intérêt certain, pour
l'enregistrement de Sigiswald Kuijken avec la petite bande, dans
le style baroqueux, également voisin de ses deux aînés dans mes
étagères.
Merci à EMI pour cette nouvelle réédition."
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Dürer : crucifixion |
Merci au courageux Youtubeur qui a extrait les 68 plages remastérisées des CD. Cela dit elles sont disséminées dans le site… Pour assurer l'écoute dans la continuité, j'ai créé une playlist, travail fastidieux mais qui m'a permis de corriger la numérotation des vidéos, à savoir que la première partie de la Passion comporte les N° 1 à 32 et la seconde partie les N°33 à 68 et non First Part 1-20 et Second Part 21-68 comme les sous titres l'indiquent. Il lui saura beaucoup pardonner 😊. Le début de texte de chaque morceau est indiqué en allemand. Il existe de nombreux sites donnant la traduction. Le découpage par épisode prévu par Bach est disponible dans l'article de 2011.
Désolé pour les petites coupures sonores entre les numéros dus aux
changements de vidéo.
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Un oratorio signé par un grand maître baroque n’est rien d’autre qu’un
grand film sans image dans lequel se succède des dizaines de plans appelés
ici : Chœurs, Chorals, récitatifs et arias… La métaphore avec le cinéma
suggère un casting, des figurants et un scénario.
Pour le scénario d’une passion luthérienne, le librettiste compile des
versets de l’Évangile, ici celui selon Saint-Jean et des textes rédigés par
des lettrés et destinés à soutenir l’action. Ainsi, le chœur (saint-Edwige
de Berlin pour cette gravure) alterne plus ou moins brièvement des chœurs
qui sont des Hymnes au divin et au Christ ou des Chorals qui figurent la
réaction de la foule suivant les diverses séquences du chemin de croix.
Jésus intervient comme le récitant, mais la voix est réservée à un
baryton ou une basse.
Les récitatifs sont des interventions chantées-parlées du récitant qui tient le rôle du narrateur, à savoir de l’Évangéliste Jean dans le texte biblique. Un ténor assure cette fonction. Un second ténor est sollicité pour chanter des arias.
Dürer : descente de croix |
Les arias ont un rôle similaire aux chœurs, la mélodie est riche, la durée
imposante, et la ligne de chant est accompagnée par l’orchestre souvent
réduit à quelques instruments. Les arias sont interprétés par une ou deux
sopranos, parfois une alto, un ou deux ténors voire la basse.
En 1961,
Karl Forster
fait appel grâce à EMI à un groupe de chanteurs que d’aucun pense
impossible à rassembler de nos jours. La qualité technique et la
compréhension spirituelle du sujet influenceront totalement sur l’intérêt
majeur de cette exécution jamais exclue du catalogue.
Elisabeth Grümmer (1911-1986) s’illustra surtout dans un registre germanique avec un nombre réduit de rôles préparés avec un perfectionnisme stupéfiant, notamment dans l’art sacré. On dira d’elle "elle représente une forme de bel canto allemand absolu". Sa large tessiture de mezzo-soprano lui permettait de chanter avec une rare émotion les arias.
Fritz Wunderlich, ténor léger (1930-1966), a déjà été entendu deux fois dans le blog. La
première fois dans l'enregistrement historique (en haut du palmarès) du
Chant de la Terre
de
Mahler en duo avec
Christa Ludwig
débutante qui chante ici les arias prévus pour altos.
Fritz Wunderlich, l'Évangéliste, est au sommet de son art et nous offre chagrin ou colère
avec une émotion que je n'ai jamais entendue ailleurs…
(Clic)
Dietrich Fischer-Dieskau (1925-2012 - RIP) tient le rôle du Christ. Le baryton à la voix veloutée a sans doute été le Christ idéal dans ce répertoire par l'absence total d'hédonisme dans ses interprétations des Passions qu'il enregistrera plusieurs fois (La Saint-Mathieu en 1970 avec Klemperer). Le chanteur avait débuté dans la Saint-Mathieu dirigé par Fritz Lehmann en 1949 puis avec Furtwängler en 1954 et Karl Richter en 1959 ! Il chantait déjà les paroles du Christ et Elisabeth Grümmer lui donnait la réplique… (Furtwängler, pas une version qui ne me séduit guère, j'avoue, mais un document indispensable d'une époque aimant le grandiose ; Anton Dermota, autre ténor de légende, chantant l'Évangéliste.)
Giuseppe Antonio Bernabei |
Karl Forster
est une personnalité en marge du Showbiz classique du XXème
siècle. Né en 1904, il suit des études de philosophie et de théologie
pour accéder à la prêtrise en 1928. Entre 1929 et 1933,
il se forme à la composition et publie un doctorat ayant pour sujet la
musique spirituelle de Giuseppe Antonio Bernabei, compositeur baroque tardif très peu connu (1649-1732).
Dès 1934 il devient maître de chapelle de la
cathédrale Sainte-Edwige de Berlin
dont, très logiquement il dirigera le chœur jusqu'à sa mort prématuré en
1963. En 1948, il sera nommé camérier secret du
pape Pie XII et reçoit le titre d'évêque. (Un camérier est un chargé
de mission, trésorier en ce qui concerne Karl Forster.)
Situé en secteur soviétique et l'église très endommagée n'empêchèrent en
rien
Forster
de faire accéder le chœur à un niveau d'exception rare pour les chœurs
liturgiques et surtout d'une transparence rendant très lisible l'élocution.
Par ailleurs, le chef étendit le répertoire vers des domaines très larges et
vers des œuvres de compositeurs modernes interdits à l'époque nazie car
juifs ou opposés à l'idéologie du mal, un monde fou à cette époque,
citons :
Igor Stravinsky,
Arnold Schoenberg,
Paul Hindemith,
Luigi Dallapiccola,
Blacher
et
Benjamin Britten.
Difficile pour un chef de chœur d'une telle envergure de ne pas devenir un
chef d'orchestre de talent et un serviteur de concerts radiodiffusés… Il a
légué une discographie de 81 albums et coffrets vinyles mal réédités en
numérique hélas sauf quelques anthologies…
Pour cette passion,
Karl Forster
dirige
l'orchestre symphonique de Berlin. Cette belle phalange concurrente de la
Philharmonie
du camarade
von Karajan
à l'ouest fut fondée en 1946. Son chef officiel à l'époque était le
grand
Ferenc Fricsay.
N° dans la playlist - numéro du passage dans les parties 1 & 2 - début du verset en allemand.
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