Noémie Lvovsky que l’on voit de plus en plus comme comédienne, est au départ scénariste et réalisatrice, déjà huit films en presque trente ans dont LES SENTIMENTS (2003) ou CAMILLE REDOUBLE (2012). Et pour la première fois elle adapte le texte d’un autre auteur, une pièce de théâtre de Eduardo De Filippo.
Et c’est une très bonne idée, car l’histoire est vraiment savoureuse. Imaginez, messieurs, qu’on vous présente une petite boite dans laquelle votre femme serait enfermée, impossible diriez-vous, mais si vous aimez vraiment votre femme, alors vous y croirait…
C’est ce qui arrive à Charles, bourgeois autoritaire et
méchamment cartésien, en vacances avec sa femme Marta sur un bord de mer, dans
un hôtel très bien comme il faut peuplé de vieilles rombières, où débarque une
troupe de magiciens, engagée par le directeur pour animer les soirées. Le
prestidigitateur Albert présente le fameux tour de la femme qui disparaît. Une
volontaire dans le public ? Marta lève la main, et la voilà enfermée dans
un cercueil, on vérifie, rien n’est truqué, et hop, abracadabra, Marta n’est
plus là ! Ooooohhh de sidération et applaudissements nourris. Et maintenant on fait réapparaître Marta : ah bah zut, elle a vraiment disparu ! (un plan nous montre l'épouse s'enfuir derrière la scène, dans les bois)
Colère et menace du mari : « voudriez-vous avoir l'amabilité de faire réapparaître mon épouse ». Un peu gêné aux entournures, devant improviser avant que le scandale n’éclate, Albert présente à Charles un petit coffre : « Votre femme est là, mais n’ouvrez la boite que si vous avez foi en elle ! ». Peut-on sérieusement y croire ?
L’action se passe dans les années 20, bain de mer en caleçon long et canotier en paille sur la tête, un p’tit côté rétro très agréable. Deux films qui me viennent à l’esprit, MA LOUTE de Bruno Dumont et MAGIC IN THE MOONLIGHT de Woody Allen. Des films où le merveilleux surgit du cadre, comme la scène très belle de Marta qui se baigne, cadrée au travers le cercueil sans fond posé sur la plage. Elle disparaît lentement à l’image, un truc tout bête : on filme le plan avec l’actrice, puis sans elle, on raccorde les deux plans en fondu enchaîné, l'illusion est parfaite. Un trucage à la Méliès, auquel Noémie Lvovsky fait un clin d’œil à un moment.
Pourtant, pas de magie dans la troupe de bras cassés d’Albert, dont les assistants Gabriel et Arthur écument les chambres des clients pour y piquer des papiers et objets personnels qu’Albert mémorise en quelques seconde pour son numéro de mentaliste du soir ! Magicien ou escroc, c’est un peu pareil. La scène est drôle mais y’a un hic. Lorsque les deux loustics pillent les chambres ils sont filmés en accéléré, à la manière des films muets, bonne idée sauf que. Lorsqu’ils parlent, le dialogue est aussi accéléré, et lorsque qu’un autre personnage entre dans le champ (un client qui sort de sa chambre), lui aussi est accéléré. Et là ça ne colle pas ! Ca tue l’idée, ca tue le gag, et c’est le bémol du film, dont la réalisation semble parfois bâclée, j’ai vu des erreurs de montage, des raccords lumières (temps nuageux / ensoleillé le plan suivant), des cadres approximatifs avec amorces gênantes, comme si Noémie Lvovsky n’avait pas eu le temps de peaufiner le travail.
C’est d’autant plus regrettable que d’autres moments sont très réussis. Le plan de Marta qui disparaît dans la mer, la chorégraphie d’Amélie posée sur une branche d’arbre le chapeau auréolé de lumière, la dispute entre Charles et sa femme entre deux chambres d'hôtel chantée et chorégraphiée, ce magnifique travelling latéral sur la terrasse de Charles, qui le filme à l’intérieur de sa maison vide, triste comme une pierre, désespérément seul, ou le long plan final, choral, qui sert de générique.
Fallait-il montrer dès le début comment Marta disparaît ? Pourquoi ne pas laisser planer le mystère, le doute ? Sur le motif de la disparition par contre, aucun doute, Marta était malheureuse, son Charles de mari la prenait pour une conne à longueur de journée. Je ne suis pas certain que l’arrivée au milieu du film de la famille de Charles (des histoires d’héritage), qui aurait pu faire bifurquer l’intrigue, soit une bonne idée, puisque que rapidement expédiée.
Mais LA GRANDE MAGIE réserve suffisamment de surprises pour y prendre plaisir, comme celle de découvrir qu’il s’agit d’une comédie musicale, les acteurs chantent eux mêmes de jolies paroles sur une musique joviale de Feu ! Chatterton, dans un registre pop-rock en décalage avec l’époque du film, anachronisme bienvenu. Et puis il y a la gouaille des acteurs, tous excellents, des seconds rôles qui marquent, comme cet inspecteur de police joué par Laurent Stocker qui prononce toutes les deux répliques « au nom de la loi, que personne ne bouge ! », ou Robin, le domestique affable de Charles, qui ne cuisine pas des pâtes mais une « illusion de pâtes », fait les courses avec des « images de billets de banque », c’est surréaliste, dadaïste, irréel, totalement raccord avec l’ambiance générale.
Il s’agit d’une comédie, parfois burlesque, mais qui vire très noir sur la fin (Charles en ermite dans sa demeure), Noémie Lvovsky ose le mélange des genres, avec plus ou moins de bonheur, mais c’est audacieux à l’heure des comédies calibrées par algorithmes. C’est un film de troupe, les acteurs nous enchantent, il faut voir leurs accoutrements de clochards célestes, et leurs coiffures hors du temps, Damien Bonnard en iroquois, Sergi Lopez hirsute, François Morel cheveux bien plaqués d’un côté et mèches rebelles de l’autre, Philippe Duclos la tignasse perpétuellement dans un courant air, Denis Podalydès en mari trahi et accablé de doutes, sa femme lunaire Judith Chemla, ou la grande Catherine Hiegel en belle-sœur (une partition trop courte hélas).
https://www.youtube.com/watch?v=gexguoo_a3E
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