lundi 27 février 2023

HÉROINE (dans l'art) de Alix PARÉ - De Cléopâtre à Wonder Woman (2002) - par Claude Toon


- Dis donc Claude, tu peux m'expliquer pourquoi après des portraits et paysages des impressionnistes, fauves, nabis etc., Tu bascules mine de rien dans la peinture érotique ? Hein petit coquin ? Que va dire Maggy Toon ?

- Rien Sonia, car elle sait que ce superbe ouvrage est dédié à une quarantaine de personnages féminins, légendaires, mythologiques, politiques et autres, vus par des artistes géniaux, et ce depuis l'antiquité… Cette jeune personne ne chevauche sa monture que pour une bonne cause : soulager les impôts de ses sujets et non se trouver un beau prince !!!!

- Ah ! Si c'est pour une œuvre comme disait Lino Ventura… Au milieu des tableaux, il y a une photographie, une femme célèbre, une héroïne ?

- Oui dans un certain sens ! Célèbre, elle devrait le devenir par la collection "C'est de l'art" à laquelle Alix Paré, tel est son nom, historienne de l'art et dont tu vois la photo, participe par plusieurs ouvrages, je vais y revenir…

- J'aurais pu y penser toute seule… Mais je suis tourneboulée car Nema a encore des soucis avec Charles-Henri et blablabla…

- Oui, oui Sonia, ok, on verra ça plus tard, place à l'art et à ses héroïnes… Dis donc, c'est ta référence culturelle absolue les tontons-flingueurs ? hihi…



Alix Paré

Rares sont les messieurs qui n'auraient pas repéré la couverture de cet ouvrage sur le présentoir des nouveautés proposées par la médiathèque de la rue de Tolbiac, Paris 13. J'avoue avoir eu le regard attiré par cette cavalière naturiste et… négligeant les autres livres vedettes, avoir saisi cet obscur objet du désir comme Buñuel titra son dernier film, pour le feuilleter et en saisir la portée… Chouette, un livre d'art, mon dada ces derniers temps, vous l'aurez remarqué. Enfin peinture ? Pas que…

Le livre est conçu sur un concept thématique habile : présenter des portraits ou des scènes concernant quarante héroïnes ayant marqué la mythologie, l'histoire, le militantisme. Quarante fiches en double page, la présentation du personnage féminin page de gauche et une reproduction d'une œuvre d'art page de droite. Quelques fantaisies dans la maquette évitent un visuel trop scolaire…

Mais avant de parcourir le passionnant travail d'histoire de l'art de Héroïne, il sera justice d'évoquer une quarante et unième "héroïne" : l'auteure herself (je n'aime pas la consonnance du mot autrice), comprendre Alix Paré, qui ne bénéficie pas d'une petite photo, ne serait-ce qu'en quatrième de couverture en regard d'une courte biographie. À noter à ce sujet que si les héroïnes mythiques, celles de l'ancien régime ou de la spiritualité sont source d'inspiration infinie pour les artistes classiques et modernes, pour d'autres, de notre temps, Alix Paré recourt à diverses formes graphiques : Photo pour Sarah Bernard, Street art pour Simone Weill, B.D-comics pour Wonder Woman, etc. un éclectisme de bon aloi.

Ne cherchant évidement pas à réécrire dans ce billet le livre de Alix Paré in extenso, j'ai sélectionné neuf femmes sujettes de tableaux ; je les ai surnommées : Les belles nobles qui n'ont pas froid aux yeux, les Décapitatrices (même si un vieux et désuet mot du XVIème siècle, bourelle est le féminin de bourreau 😊) et Les mythologiques… Sans oublier une militante des droits des femmes…

Nota important : à mon humble avis, toutes les toiles sélectionnées par Alix Paré sont des chefs-d'œuvre !


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La suffragiste Frances Balfour

Découvrant Alix Paré pour la première fois, contrairement à un résumé biographique contextuel lié à une partition de Beethoven cité 38 fois dans le blog, je copie mot pour mot la présentation rédigée par les éditions du Chêne qui ont publié le livre et d'autres dans la même collection…

Alix Paré, diplômée de l’École du Louvre, est conférencière spécialisée en peinture occidentale des XVIIe, XVIIIe et XXe siècles. Elle a travaillé pendant huit ans au musée du Louvre et au château de Versailles. Elle donne des cours d’histoire de l’art et intervient dans les grandes expositions parisiennes. (Ajoutons le XIXe siècle aussi puisque j'ai sélectionné trois peintures de cette époque, notamment celle de couverture, il est vrai d'un académisme tardif mais de tellement belle facture…)

Très agréable à compulser, chaque fiche comporte : trois cartouches précisant le contexte de la réalisation du tableau ou du dessin, voire de la photo, les références (date, dimensions, technique graphique ou picturale), etc. Le texte, lui, se concentre sur la vie et le rôle épique du personnage historique ou mythologique sujet de la fiche, une narration d'environ 1000 mots soit un billet littéraire de Nema M. à titre de comparaison… donc court, aisé à lire par épisode, parfois cocasse, merci à Alix Paré de favoriser la pédagogie en lien avec le divertissement, sans aucune démarche académique ou professorale qui nuit parfois à l'intérêt d'ouvrages sur l'art plus volumineux… Tous les exemples retenus dans ma chronique proviennent du livre… À moi de jouer… Volontairement, mes commentaires sont très différents de ceux de l'auteure, je déteste le plagiat synonyme de paresse intellectuelle… 


La militante : rares sont les ladies de l'aristocratie britannique à s'être engagées contre l'esclavagisme ou pour les droits des femmes qui… n'en ont guère dans l'Angleterre victorienne. En 1880, Edward Burnes-Jones (1833-1898) réalise le portrait (1) de la duchesse Frances Balfour qui n'a que 22 ans. Elle ne militera activement que vers 1885, mais on discerne déjà le regard et le minois volontaires de la future abolitionniste et suffragiste. Sa tenue est élégante mais en rien ostentatoire, pas de bijoux ; méprise-elle les fanfreluches des coquettes des classes privilégiées de son temps ? Le choix des couleurs claires et mordorées accentue le rayonnement intérieur de cette héroïne charismatique à la chevelure flamboyante ! 


Les belles nobles qui n'ont pas froid aux yeux : quand histoire et légendes se rencontrent. Xème siècle à Conventry : le comte Léofric de Mercie écrase d'impôts ses sujets au grand damne de sa douce épouse Godiva (2) qui le presse de faire cesser ce racket moyenâgeux. Excédé, son mari met Dame Godiva au défi de chevaucher nue dans Conventry, ce qu'elle fera… Léofric cédera (odieux mais réglo) ! La légende a traversé les siècles et inspiré nombre de peintres dont John Collier (1850-1934), préraphaélite british – ne pas confondre avec académisme tardif. Dieu qu'elle est belle Dame Godiva ! Cela dit, elle agit vraiment pour une bonne cause : une cavalière n'ayant que sa superbe chevelure pour cacher ses seins, visage baissé et honteux d'en arriver là. Longiligne, peau ivoirine, un top model. Des fâcheux trouveront ce tableau pompier, la position de la cavalière inappropriée, etc. John Collier privilégie le sexappeal pudique de l'héroïne. PC éteint, qui peut préciser la couleur de la monture ? 😊

Cléopâtre (3) a moins d'empathie. Lascive, rafraîchie par l'éventail de sa servante, la reine d'Égypte évalue le résultat morbide des essais de poisons sur ses condamnés ; une procession de cadavres. Expériences cruelles en vue de sa mithridatisation ou d'un assassinat. Alexandre Cabanel, peintre académique français (1823-1889), transpose la scène dans un péplum pictural d'une grande finesse, un orientalisme très prisé en cette fin du XIXème siècle. Comme quoi, le style est secondaire. Même en plein essor de l'impressionnisme et des nabis, cet anti Manet du déjeuner sur l'herbe possède un indéniable talent… Cachez ces seins que je ne saurais voir… 



Johann Heinrich Füssli 
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Kees Van Dongen

Les décapitatrices : [Oui Sonia, j'ai inventé ce néologisme approprié]. Ah la douce Salomé. (4) Je rappelle : l'adolescente fait la une du gore dans les récits bibliques. Caractérielle et nymphomane, l'adolescente obtiendra de son beau-père Hérode tout ce qu'elle veut après avoir accepté d'exécuter la danse des sept voiles, finissant nue. Hérode devra se résoudre à livrer la tête de Saint-Jean Baptiste qui, embastillé, s'égosillait d'imprécations sur les mœurs dissolus de ces braves gens. Oscar Wilde a vu sa pièce traduite et mise en musique par Richard Strauss dans un opéra hystérique et vomitif (Clic). Lucas Cranach l'ancien (1472-1553) artiste germanique nous dépeint une Salomé à visage de première communiante dans ce Hit de la Renaissance, surprenant. La gamine est quand même prête à embrasser goulument le chef du Saint !!! Attention : petite bouche pincée vaguement souriante, menton pointue, yeux au regard torve et pervers… la beauté de son vêtement cache une vipère… Lucas Cranach a produit nombre de tableaux de construction similaire, plutôt avec une Vierge intimidée tenant son petit Jésus…

La guerrière juive Judith (5) était en conflit avec le général assyrien Holopherne qui n'aurait jamais dû s'enivrer après avoir cédé à la séduction de Judith… À l'élégance de Lucas Cranach, Artemisia Gentileschi (rare artiste féminine à l'époque1593-1656) préfère la boucherie entre amateures. L'inexpressivité de Judith et de sa servante complice glace le sang ! On gagne une guerre de diverse manière, la fourberie en est une. Judith : un sujet récurent au XVIème siècle, notamment par le Caravage.

Elisabeth Ière d'Angleterre (61533-1603) a toujours été portraitisée dans des habits extravagants et somptueux. La reine Vierge l'était-elle, on a évoqué : un sosie, un travesti, une femme stérile ? La théorie du complot ne date pas de la zone 51. Moins cruelle qu'Henri VIII alias barbe bleue qui collectionna six femmes : deux seront décapitées (pauvre Natalie Portman dans le rôle d'Ann Boleyn), trois répudiées, une survivra… et toujours pas de fils, mais des filles. Elisabeth évincera la reine Mary du trônesa cruelle aînée, pour régner 44 ans. Moins sanguinaire que papa mais ayant néanmoins à son actif, entre autres abus de pouvoir : 700 pendaisons pour rébellion religieuse et la décapitation de Mary Stuart reine d'Écosse. D'où son classement. Le bourreau incompétent devra s'acharner trois fois de suite, ce qui nous ramène à la sauvagerie de Judith. Une force de pouvoir qui préfigure l'autoritarisme de Victoria

Les mythologiques : Les fans de Gustave Flaubert ont lu ce roman complexe et érudit dans lequel la princesse Salammbô (7) est l'un des rares personnages imaginaires dans le casting de ce récit des guerres puniques. Ce portrait du peintre symboliste Gaston Bussière (1862-1928) m'envoûte… Il est fait pour : des yeux perle séducteurs voire hypnotiques, une bouche sensuelle, le rose des joues de la femme gagnée par le désir, tunique légère qui glisse de l'épaule, une chevelure luxuriante, waouh !

Titania : Les songes d'une nuit d'été ont inspiré bien des illustrateurs par la fantaisie débridée du propos. Et voici la fée Tatiana (8) envoutée par son époux Obéron et cajolant Bottom qui a reçu du nain Puck une tête d'âne, etc… Johann Heinrich Füssli (1741-1825) peint cette scène fantasque au début du romantisme. Ce tableau célèbre sert de jaquette à la musique de scène éponyme de Mendelssohn dans la chronique dédiée     au disque de Otto Klemperer (Clic).

Shéhérazade : Qui ne connaît la jeune vierge conteuse qui, chaque soir, pendant mille et une nuit sauve sa tête en remettant au lendemain la fin d'un conte qui enchante le terrible sultan Shahryar qui, déçu par une ex-femme adultère, fait exécuter une jeune maîtresse chaque soir… Le peintre Kees Van Dongen (1877-1968) en fauviste absolu explose les couleurs et les mouvements : le rouge sang et le calme démoniaque du sultan opposés à l'ivoire orientalisant de la peau de la fille du vizir dont les longs bras voltigent pour souligner sa volubilité qui passionne tant Shahryar, longiligne, barbu et nu. On s'interroge à la vue du dernier autoportrait de l'artiste, lui aussi grand et maigre et dans le plus simple appareil. Se mettait-il déjà en scène en 1907 ?

31 autres femmes mythiques vous attendent dans ce livre passionnant !

Index  

Nom du tableau & du peintre

Date

xxx

1.

Portrait de Lady Frances Balfour - Edward Burnes-Jones

1880

2.

Lady Godiva - John Collier

1898

3.

Cléopâtre essayant des poisons sur des condamnés à mort - Alexandre Cabanel

1887

4.

Salomé avec la tête de Jean-Baptiste - Lucas Cranach l'ancien

1526-
1530

5.

Judith et Holopherne - Artemisia Gentileschi (une femme !!)

1613

6.

Elisabeth I - Anonyme

1600

7.

Salammbô - Gaston Bussière

1907

8.

Titania adorant Bottom - Johann Heinrich Füssli

1793-
1794

9.

Shéhérazade - Kees Van Dongen

1918

Dans le tableau des peintures affichées dans la petite expo ci-dessus ou dans la page web, la petite loupe indique les œuvres qui peuvent être vues agrandies par un simple Clic SUR l'image ! utiliser X pour revenir dans la chronique et non la flèche du navigateur. (Je me suis fait avoir, donc… 😉) 


Pour accompagner ce billet, un choix musical logique ; Shéhérazade de Rimski-Korsakov. Toute la moiteur et la sensualité de l'Orient dans la 3ème partie "Le jeune prince et la jeune princesse". Et quels émois, tendresse, sensualité et malice de la facétieuse conteuse dans cette interprétation culte du jeune Leonard Bernstein en 1959 dirigeant la Philharmonie de New York


Écoute au casque ou avec des enceintes additionnelles plus que conseillée.

Le son des PC, sauf exception, est vraiment une injure à la musique …





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Alix Paré a publié dans la même collection : De Circé aux sorcières de Salem: Un mythe à (re)découvrir en 40 noticesDiable - Ça, c'est de l'art: De l'Apocalypse à l'enfer de Dante.

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