”La Charge Héroïque“, un classique des classiques, on ne se lasse jamais
de le revoir.
LE RÔLE DE SA VIE
”La Charge Héroïque“ est le second film de la trilogie que
John Ford consacrera à la cavalerie
américaine après ”Le Massacre de Fort Apache“ en 1948 et avant ”Rio Grande“ en 1950. Tout l’éventail de personnages que l’on peut trouver
dans un western y est présent : des indiens (bons ou méchants),
des trafiquants d’armes et l’armée américaine yankee avec son vieux
capitaine (John Wayne), le sergent courageux (Ben Jonhson), la jolie demoiselle nièce du major (Joanne Dru) convoitée par deux jeunes lieutenants (John Agar et
Harry Carey Jr.), le vieux sergent alcoolique (Victor McLaglen) et toutes les autres figures que peut accueillir un fort militaire
isolé. Le titre original ”She Wore a Yellow Ribbon“ (Elle portait un ruban jaune) est un peu fleur bleue par
rapport au titre en français, il y a moins de fougue, moins de panache.
Le ruban jaune est celui qu’arbore la nièce du major et cela
signifie,
dans la tradition de la cavalerie américaine, que son cœur est pris (entre nous, c’est une petite garce qui joue avec les sentiments de
deux jeunes paons qui n’arrêtent pas de faire la roue devant elle).
Le fond de l’histoire : le vieux capitaine Nathan Brittles, à la veille de
prendre sa retraite (John Wayne maquillé à la farine alors
qu’il n’avait que 42 ans !), doit faire face à un soulèvement des tribus indiennes. Entre Les scènes
de charge de cavalerie, les moments plein d’humour avec le vieux sergent
Quincannon amoureux de la dive bouteille. Même si le titre de cette
chronique parle d’un classique du western je ne parlerai pas du film je vais
vous raconter une histoire. L’histoire véridique d’un des acteurs qui n’a
qu’un rôle de quelques seconde et qui a en tout et pour tout que trente mots
de dialogue mais qui connu une histoire hors du commun. L’acteur en question
s’appelait Rudy Bowman.
Rudy Bowman |
Sa vie dans le monde du spectacle commencera en 1910 dans une ville
proche de Philadelphie, il s’est déjà fait une réputation, il possède une
voix merveilleuse aussi bien quand il chante que quand il parle et cette
année-là, à l’âge de vingt ans, il décide de suivre sa vocation, il sera
acteur. Il parcourt les théâtres de la région et il acquiert rapidement une
notoriété locale. Sa carrière s’annonce bien sauf qu’en 1917 c’est la
guerre et il part pour la France comme beaucoup de ses compatriotes. Mais
alors que la victoire est proche, le 3 novembre 1918 avec une dizaine
de ses camarades, il est chargé d’attaquer une batterie allemande. Un obus
éclate sur eux, tous meurent sauf
Rudy Bowman, il essaie de crier pour
appeler de l’aide, mais aucun son ne sort de sa bouche, quand on le trouve
il est immédiatement dirigé vers un hôpital et opéré d’urgence. Après
l’opération le médecin vient le trouver : ”Je dois vous dire la vérité, vos cordes vocales ont été sectionnées par
un éclat d’obus“ Pour Rudy le monde s’effondre mais il
refuse d’admettre la réalité. Sur son lit d’hôpital il va faire des efforts
pour sortir un son de sa bouche mais il ne se passe rien ! Ce n’est
qu’au bout de trois jours après des efforts insensés qu’en chassant l’air de
son diaphragme il parvient à sortir un son qui n’a rien d’harmonieux et a
force d’entrainement en envoyant l’air avec plus ou moins de force, il
arrive à moduler des sons et arrive à se faire comprendre. Une fois revenu
aux États-Unis il entrera dans un centre assurant le traitement des sourds
et muets. Il fait de rapides progrès et au bout d’une année il réussit à
parler grâce a son diaphragme et aux muscles de sa gorge. En 1920 il
enregistre même un disque ou il chante et déclame une poésie, ce n’est pas
agréable à entendre, mais c’est une voix. Le disque sera distribué à tous
les centres pour sourds-muets.
J.Wayne - J.Ford - B.Jonhson |
Contrairement à toute attente, sa carrière d’acteur se poursuit, ne
pouvant plus jouer au théâtre, il se tourne vers le cinéma et à cette
époque le cinéma est encore muet. C’est un bon acteur et il est souvent
sollicité. Malheureusement pour lui le cinéma devient parlant, mais il
ne veut pas abandonner l’ambiance des plateaux, le bruit de la caméra,
c’est toute sa vie. Alors il devient figurant. Pour des cachets
minables, il sera serveur de restaurant, un passant en costume de toutes
les époques, une sentinelle et tout cela sans prononcer un seul mot.
Pourtant il fait tout pour obtenir un petit rôle, mais tous les metteurs
en scènes refusent car ils trouvent sa voix si affreuse qu’elle
gâcherait à elle seule toute la scène. Au début de 1948 sa route va croiser celle de John Ford, Rudy
va reformuler sa requête, le metteur en scène réfléchit et lui
déclare :”Je crois que j’ai ce qu’il faut pour vous“.
Rudy Bowman |
Fin Octobre 1948, il fait chaud dans le désert de Monumental
Valley, un désert où il y a beaucoup de monde (c'est rare). John Ford
est assis sur un fauteuil entouré de ses assistants, il prend son porte
voix : ”Scène 137, tout le monde en place, Rudy Bowman, c’est à
vous !“ Un homme grand les cheveux gris en uniforme de la cavalerie sort des
rangs, il va s’allonger la tête sur une poteau juste en face de la
caméra. Autour de lui, trois hommes également en uniforme, ce sont les
vedettes du film. L’un d’eux se penche sur lui : ”Ça va aller, Rudy, ne t’en fais pas…“ Cet homme c’est John Wayne. Rudy Bowman
répond par un petit sourire. Intérieurement il répète une dernière fois
son rôle, c’est le jour le plus important de sa vie et tous ceux qui
sont présents sur le plateau le savent car ils connaissent tous la vie
de Rudy Bowman.
R.Bowman-J.Wayne-B.Jonhson |
Presque trente ans jour pour jour après sa blessure, Rudy Bowman
va jouer le rôle de sa vie du cinéma parlant, les dernières paroles
d’un soldat de la cavalerie américaine blessé mortellement. ”Moteur !“ Dans le silence du désert monte un son rauque : ”Ne vous en faites pas pour moi…Capitaine J’espère…que vous me
pardonnerez mon audace… Mais j’estime… j’estime que j’ai
accompli ma mission…“ Après ces vingt trois mots, Rudy
fond en larmes, ce qui n’était pas prévu dans le scénario. Les trois
autres acteurs autour de lui ne peuvent pas cacher leur émotion. Et
dans un dernier effort en contractant son diaphragme, Rudy articule les sept derniers mots de son rôle : ”…dans la grande tradition de la cavalerie…“
Voila, Rudy Bowman se tait, John Wayne
et les deux autres se découvrent comme le scénario le prévoit. Mais
tous les autres, acteurs, figurants, techniciens ont le sentiment de
lui avoir rendu un grand coup de chapeau.
Il est évident qu’ il vaut mieux voir le film dans sa version original
pour pouvoir saisir l’instant dramatique de la scène.
Rudy Bowman
fera encore trois autres films, il décèdera en 1972.
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