mercredi 28 décembre 2022

" CALVAIRE " de Fabrice Du Welz (2004)



- Hein ? Quoi ? Qu'ois-je ? Ce sont les vacances de Noël ? Crénom ! Déjà ?? Et il faudrait en conséquence sortir des p'tites bafouilles en adéquation avec cette période de "paix et d'amour" ? Plutôt une période de haut rendement commercial, de lavage de cerveau et d'orgies alimentaires, non ? Bon, okay. On renoue donc avec la tradition annuelle des bons petits films de fin d'année, à voir en famille. Cette fois-ci, on reste à l'écart des grosses productions d'outre-Atlantique pour se pencher sur un petit film à budget relativement modeste. Un film européen ; un film belge, mais co-produit par la France et le Luxembourg.


   Il s'agit du premier long métrage de Fabrice Du Welz (ci-contre) qui s'est déjà fait remarquer dans le milieu du cinéma fantastique avec un court métrage, "Quand on est amoureux, c'est merveilleux", qui remporte dans sa catégorie le premier prix du festival de Gérardmer. Et on peut dire que pour une première aventure dans les salles obscures, De Welz n'y va pas avec le dos de la cuillère. Il fait fi de toute tendance mainstream et d'accroches marketing, au point de taquiner le suicide commercial. Au risque d'être marqué au fer rouge d'un signe répulsif repoussant financiers de tous poils. C'est le genre de film réalisé généralement par d'illustres inconnus, passionnés ou fêlés du bocal - ou les deux (style Robert Barleth Cummings) -, ou alors, comme présentement, le fruit d'un premier essai. Rappelons que Peter Jackson a fait ses premiers pas au cinéma avec le déroutant "Bad Taste".

     Dans "Calvaire", tout est fait pour mettre le spectateur dans l'inconfort. Le faire s'enfoncer profondément dans son fauteuil, se tortiller de malaise ou carrément se figer de stupeur. Après le visionnage, un besoin pressant d'air frais s'impose. Voire enchaîner avec un truc plus frais et léger, même sans aucune saveur. Un film malsain ? Oui. Absolument ! Cependant, il convient de saluer un jeu d'acteur irréprochable, et une photographie et un cadrage qui ne le sont pas moins. Seul le rythme est susceptible de susciter la critique. Tout cela participe de concert pour vous harponner et ne plus vous lâcher jusqu'à la fin.

     D'autant que le film ne s'embarrasse pas des poncifs rabâchés du film d'horreur. On en est fort loin. Ce qui n'empêche pas le réalisateur de s'amuser sans retenue avec quelques clichés, références évidentes à "Délivrance" et à quelques histoires de dégénérés telles que "Massacre à la Tronçonneuse" et "La Colline a des yeux". Mais absolument rien de gore, pas de sang, ou bien très peu, juste à la fin, pour une petite touche de couleur... - Point de musique forte non plus, pour faire sursauter le spectateur, ou subliminale pour encourager son angoisse. Que du bio (made in CEE), au point que ça a parfois pratiquement le ton du documentaire; un instant pris sur le vif. Et rien à voir avec les daubes que sont les "Blairwitch" et "Paranormal Activity".


   Les premières scènes semblent de prime abord anodines, décalées. Un chanteur, plus vraiment dans sa première jeunesse, se prépare pour un tour de chant vieillot dans un EPHAD où les pensionnaires paraissent particulièrement avachis. Ce chanteur, Marc Stevens (ci-contre), fait de son mieux, dans son costume et sa large cape portant son nom en lettre pailletées, pour redonner un peu de chaleur aux cœurs amers des "rassasiés de jours".  De la variété francophone low-cost, digne des mièvreries franchouillardes des années 60.  En dépit du vide abyssal des paroles et de la musique - on croit à un pastiche -, la chanson n'est pas une pure invention. Elle est l'œuvre du Franco-Belge, Marc Aryan (né André Markarian), fondateur du studio Katy (proche de Waterloo) (1) qui date seulement de 1985 - on jurerait que c'est bien plus vieux que ça. Déjà là, ça met mal à l'aise. Plus ringard tu meurs. Toutefois le public, essentiellement constitué de femmes très âgées, applaudit à tout rompre. Après le show
une pensionnaire, persuadée que le chanteur est épris d'elle, s'invite dans la loge spartiate pour s'offrir au chanteur-charmeur. La malheureuse, devant le refus polis de ce dernier, honteuse, s'invective et se gratifie des pires épithètes tout en se giflant. 

     Avant de reprendre la route, c'est l' infirmière en chef, en mal de mâle, qui s'empresse de l'étreindre avant de lui offrir de torrides instantanés de sa personne. Tandis que la pensionnaire éconduite, dans un masque de marbre scrute la scène. On devine que Marc Stevens, joué parfaitement par Laurent Lucas, est d'un caractère naturellement aimable et prévenant. Il s'évertue à ne blesser personne.


     En quelques minutes, dans un décorum aux couleurs froides et humides, le réalisateur plombe l'ambiance d'un profond inconfort. Evidemment, tout va empirer dans une succession des plus classiques. A savoir, perdre sa route en pensant prendre un raccourci tranquille, le brouillard et le mauvais temps qui s'en mêlent, une rencontre insolite, une panne de voiture en plein nuit, sous une pluie battante et glaciale, et un refuge au mauvais endroit. Dans une auberge isolée, à une dizaine de kilomètres du village le plus proche, cerné d'une forêt austère. Evidemment. Un vrai calvaire ? Ho, ho, ce n'est que le début. Ses déboires ne font que commencer, et vont aller crescendo. 

     L'auberge est tenue par Bartel (photo ci-dessus). Un vieux ronchon bourru, apparemment serviable qui ne semble plus avoir toute sa tête - mais est-ce bien le seul ? - depuis que sa "Gloria" est partie. Marcel, est campé par Jacky Berroyer qui se fond dans la psyché d'un homme perdu dans sa solitude, tombé dans la folie. 

     De prime abord grincheux et peu aimable, Bartel se montre prévenant, partant même à la première heure remorquer le fourgon de Stevens à l'aide de son tracteur. Et appelant aussitôt le garage du village le plus proche, pressant l'épouse du garagiste à encourager son mari à venir au plus vite ; dès qu'il sera de retour de son dépannage ... Bartel, serviable, se propose d'essayer lui-même de faire une recherche de panne, au mieux, effectuer la réparation. Stevens pouvant prendre ses aises, et vaquer à d'autres occupations. Lesquelles ? Prendre un bol d'air frais en allant se dégourdir les gambettes dans la campagne. Ha, oui, d'accord, mais il ne faut pas aller au village, et surtout, surtout, éviter les villageois. "C'est qu'ils ne sont pas comme nous, ces gens-là. S'il-vous-plait, faites-moi plaisir, promettez-moi de ne pas aller au village". 


   On verra que tous ceux passant devant la caméra ont un sérieux pète au casque. A ce titre, il y a une scène décalée, incongrue, la seule dans le village, où, dans probablement l'unique troquet du coin, baigné d'une lumière verdâtre et au sol crasseux, les habitués se lancent dans une danse d'apparence anodine mais complètement démente. Plus en rapport avec une parade nuptiale de manchots qu'avec le du moindre ersatz de ballet. Avec le tour de chant de la première scène, c'est le seul autre élément musical, alors donné par une ritournelle maladive au piano. Avec sobriété, Du Weltz donne corps à la folie. Celle qui fout les j'tons.

     Alors que dans la première partie, hormis Marc Stevens et un pensionnaire, il n'y a que des femmes, dans les suivantes, elles sont absentes. Et c'est bien là le nœud du problème. Le pauvre chanteur itinérant qui espérait boucler sa tournée par une dernière date le jour - ou la veille - de Noël, puis passer les vacances de fin d'année en famille, va être le fruit de convoitise. Un palliatif à l'absence féminine. Loin de paraître efféminé, il n'empêche qu'à côté des rustres et des attardés mentaux, avec ses bonnes manières, son ton doux et posé, il pourrait faire l'affaire. Et toujours mieux que Bella, le veau prisé par les villageois... Non ! Si...


  Ainsi, Bartel séquestre le malheureux, d'abord parce que trop heureux de trouver un gars plus éduqué que la moyenne locale - euphémisme -, et de plus un homme de scène. Car autrefois, il fut un comique. Ensuite, tombant plus profondément dans sa folie, parce qu'il fait un transfert de sa Gloria sur sa victime. Et cette fois-ci, ils vont vivre ensemble, tous les deux, heureux. Même si pour cela, il doit l'enlaidir en lui tondant une partie du crâne ; pire, lui faire physiquement du mal. "Surtout ne crois pas que cela me fasse plaisir ; ça me fait mal à moi aussi, mais je t'avais prévenu(e)". Mais Bartel est un romantique : "On va tout reprendre comme avant, tu veux bien". "On est tous réunis pour Noël. Je vous aime, vous êtes ma famille". Séquence émotion, Bartel a la larme à l'œil. Trop de bonheur d'un coup. Bartel, de crainte de perdre à nouveau un bonheur "qui lui tend la main", part armé de son fusil à canons juxtaposés, menacer les villageois. On ne s'approche pas de sa femme, pas touche à sa Gloria … 

     Ainsi, le pauvre Marc Stevens, se retrouve bloqué, au milieu de nulle part - quelque part dans une sombre forêt belge, suintante d'humidité, percée de marécages -, habillé d'une robe, meurtri, sujet de convoitise entre des villageois totalement maboules et dégénérés et un Bartel en proie à la folie. 

La fin se terminera comme le calvaire a commencé, dans le brouillard … Jamais un rayon de soleil ne viendra réchauffer une seconde cette ambiance frigorifiante, percluse d'humidité. Dès le départ de la pension, dernier lieu renfermant un peu de chaleur, il y a des cols roulés à foison. On sent les corps transis, même dans les bâtis, les bouches exhalent de brouillard. Et quand la neige arrive, c'est le signe d'un nouveau palier du calvaire de Marc Stevens. Le point de non retour.


- Comment ça, ce n'est pas du tout un film pour Noël ??? Mais ça se passe justement pendant la période de Noël ! C'est un choix idéal ! 


(1) Studio connu grâce aux "Born to Be Alive", le méga tube de Patrick Hernandez, "Baltimore" de Ninna Simone, "World of Mouth" de Jaco Pastorius et "Midnight Love" de Marvin Gaye. Plus quelques albums de Machiavel et de ... Roger Milla (remember Roger Milla ? Camerounais star du ballon rond Africain ; Champion de coupe de France de football avec l'A.S. Moncaco, le S.C.Bastia et le H.S.C. Montpellier)


⛄⛆

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