mercredi 9 novembre 2022

THREE MAN ARMY " A Third of a Lifetime " (1971), by Bruno



   L'histoire se répète. On ne le dira jamais assez, mais, hélas, le succès dans le monde du spectacle est parfois plus le résultat d'une combinaison d'opportunités, de timing, de charisme et de marketing, que de simple talent. Les exemples montrant tant d'excellents musiciens et compositeurs qui sont restés dans l'ombre de confrères pas nécessairement plus méritants, sont trop nombreux. Les frères Gurvitz sont de ceux-là. Deux beaux spécimens de beautiful losers à qui le succès a plusieurs fois souri, sans s'éterniser.


     Pourtant, dès l'année 1968, on aurait probablement parié le contraire quand les deux frangins, avec leur power trio Gun, obtiennent un premier hit,  avec "Race with the Devil" qui gagne une partie de l'Europe. (peut-être aussi les USA puisque les Sudistes de Black Oak Arkansas la reprennent sur l'album du même nom, en 1977). Cependant, juste après un second album inégal, "Gun sight", au goût amer  inachevé, le groupe abdique dans le courant de l'année 1969. Par la suite, les frères Gurvitz vont se perdre dans des projets successifs ne dépassant pas les trois albums. Alors que tant de musiciens n'affichent aucune réticence à poursuivre une aventure sous le nom d'un groupe où ils ne sont qu'un ou deux de la formation d'origine - quand il y en a encore un -, les frères Gurvitz, eux, bien qu'opérant en trio et représentant donc les deux-tiers du groupe, changent d'appellation pratiquement à chaque changement de batteur. Un excès de probité contribuant à effacer les traces pour qui voudrait connaître l'intégralité de leur parcours.

     L'aîné, Paul, finit par jeter l'éponge ; du moins, il disparait un temps des radars - avant d'être récupéré par Adrian, afin qu'il l'accompagne de temps à autre en solo. Tandis qu'Adrian Gurvitz, le cadet, probablement un peu dépité par des projets qu'il ne parvient pas à pérenniser, finit par se replier et enfiler le costume d'homme de main. Mais, parallèlement, après deux albums en featuring avec The Graeme Edge Band, (le groupe de l'ancien batteur des Moody Blues), il se lance en solo. Le premier album, "Sweet Vendetta", est le reflet d'une capitulation face à une industrie musicale de plus en plus autoritaire - voire, dans une certaine mesure, liberticide. Ainsi, cet homme qui a fait partie du mouvement proto-hard des années 60, qui a joué avec Buddy Myles, Tony Newman, Ginger Baker, Graeme Edge, qui a sué sang et eau pour élaboré une musique peu ou prou originale et élaborée, ternit son image, son parcours, avec une fadasse et nauséeuse soupe de Pop-disco. 


   Les albums suivants sont très commerciaux mais tout de même de bien meilleure facture. En 1982, il gagne le jackpot avec un hit : "Classic". Une guimauve sans aucune originalité, qui est reprise de nombreuse fois par le cinéma et la télévision. On la retrouve même sur la B.O. de "La femme de mon pote" de Bertrand Blier. Par la suite, il se la coule douce, s'accommodant du rôle de musicien de studio et de compositeur. A ce titre, il obtient encore quelques petits succès par l'intermédiaire d'Eddie Money, REO Speedwagon et CeCe Williams - (il participe aussi à la B.O. de "Bodyguard" - la chanson interprétée par Aaron Neville). Malgré tout, évoquer le nom des frères Gurvitz ou du cadet Adrian Gurvitz équivaut à se parler à soi-même, seul, perdu en plein blizzard, au milieu de la banquise de l'océan Arctique.

     Restent les disques des années 60 et 70. Le premier "Gun", album éponyme, un classique. De même que ce premier disque, "A Third of a Lifetime" de leur nouveau groupe : Three Man Army. Initialement, les Gurvitz espéraient Buddy Miles pour siéger à la batterie, mais, ce dernier n'étant pas vraiment disponible, c'est finalement Mike Kellie de Spooky Tooth (et futur Only Ones) qui prend la place. Buddy participe néanmoins à deux chansons. Sur "Butter Queen", en ouverture de l'album, où il fait un tintamarre de tous les diables - dommage que la batterie soit ici sous mixée, obligeant à tendre l'oreille pour profiter d'un jeu alors apte à faire blêmir de jalousie Keith Moon. Heureusement, la double couche de guitares épileptiques et la basse de bourrin sont muselées quelques secondes pour profiter de ce travail d'habile bûcheron. Puis, sur l'excellent et prenant instrumental "Midnight ", où il dépose un tapis d'orgue sur lequel s'étire une guitare expressive et langoureuse. Une six-cordes qui chantent et parlent.

     Sans trop de surprises, cet album se révèle n'être qu'une évolution de Gun. Les frères, ou plus particulièrement Adrian, qui est quasiment l'unique compositeur depuis le début, sont toujours tiraillés entre leur amour pour les attaques de guitares furibondes et des instants semblables à des excursions à travers différents univers fantastiques aux humeurs et couleurs fantasques et capricieuses. Où les guitares commandent au climat, selon leurs natures acoustiques, électriques, parées de wah-wah, de Leslie déjantée ou de fuzz agressive. Ainsi, après un "Butter Queen" agressif, proche d'une charge de Scythes concourant pour gagner le premier prix de décapitations au m², (pour l'époque, ça devait rivaliser avec les Pink Fairies), "Daze" s'impose comme une pièce majeure de Hard 70's, alternant avec désinvolture mouvements posés et autres en mode blitzkrieg, tandis que le reste demeure ici laconique. "Another Day" se présente plus enjoué, quasiment power-pop, mais là encore, les loustics ne peuvent retenir leur fougue et envoient ponctuellement quelques bastos explosives. Au contraire du morceau-titre, qui est un instrumental ; songe d'une (guitare) sèche en terre ibérique - que l'on verrait bien illustrer la quête éperdue d'un Don Quichotte. Cependant, un tantinet affadi par des violons type "Saint-Preux de seconde zone".

   Ne doutant de rien, le groupe enchaîne avec un second instrumental, "Nice One", l'entraînant alors vers des prédispositions progressives. Toutefois, les soli d'Adrian sont alors résolument attachés au Hard-blues, celui d'un Blues irradié de psychédélisme et de Rock lourd. D'un genre assez proche des expérimentations que fera un certain Billy Gibbons à la fin de la décennie. Tandis que la dernière phase, poussée par la basse qui incite à accélérer le pas, évoque (ou anticipe) le Hard-rock des Gallois de Budgie


   La chanson portant le nom du trio, "Three Man Army", est également peu ou prou un savant amalgame de progressif, de heavy-rock et de pop. Une formidable pièce voguant entre Wishbone Ash et un Boston (musclé ?) avant l'heure.  Le fringant "Another Man", probablement rescapé de la période Gun, a de quoi laisser perplexe plus d'un radical, son orientation étant difficilement classable. Son ornementation de guitare acoustique greffée à une rythmique chaloupée le lie à une approche "hippie", cependant, Adrian ventile tout ça par des coups de guitares inondées de vrillant effet Leslie. Et le dernier mouvement, entre ses chœurs et cette échappée de wah-wah lyrique, lorgne vers Uriah Heep. "See What I Took" joue aussi avec les nerfs avec les orchestrations des parties chantées s'ouvrant sur la Pop, et celles instrumentales libérant une petite bande de diables de Tasmanie - échappés des Looney Tunes 😲😁. Là, on touche carrément au heavy-metal.

   L'affaire est conclue par un "Together" aux couleurs de crépuscule d'été indien. Une ballade sentimentale un peu faible. Toutefois, après trois minutes passées à se pavaner dans un champs fleuri, les lascars font chauffer les amplis et se laissent emporter dans une cavalcade préfigurant "Free Bird". Adrian y décoche des soli en tous genres, tel un Hawkeye/Œil-de-Faucon piochant dans son carcan des flèches aux divers effets offensifs. On regrette le retour des "petites fleurs des champs" pour le coda. "... le monde a la tête dans le sable...".  

     Ce qui peut desservir ce disque, c'est qu'il n'y a rien de particulièrement catchy, aucun hameçon qui accroche immédiatement l'oreille - et inciter ainsi à l'achat de la galette. Aucune approche qu'on pourrait qualifier de commerciale, soit pouvant faire l'objet d'un single et susciter l'intérêt des radios. Rien de vraiment flashy non plus, que cela soit musicalement ou au niveau de la production qui est relativement roots. Pourtant, il y a pas mal de trouvailles, des plans et des sons plutôt modernes pour l'époque. Visiblement, avec ce Three Man Army, Adrian Gurvitz poursuit le travail et la recherche de Cream, de Jimi Hendrix et du Jeff Beck Group ; ceux d'une expansion du Blues et du Rock, créant un nouvel univers d'inédites et originales matières et couleurs. 

"A Third of a Lifetime" fait partie de ces disques qu'il convient d'écouter à tête reposée pour en saisir toute la substance et les nuances. 


  1. "Butter Queen"      -      (Adrian Gurvitz, Keith Ellis)    -    5:23
  2. "Daze"                 -      (Adrian Curtis, Lou Reizner)    -    4:02
  3. "Another Way"                        -      (Adrian Gurvitz)    -    6:49
  4. "A Third Of A Lifetime"            -      (Adrian Gurvitz)    -    4:29
  5. "Nice One"                              -      (Adrian Gurvitz)    -    4:10
  6. "Three Man Army"                   -      (Adrian Gurvitz)    -    5:05
  7. "Agent Man"                            -      (Adrian Gurvitz)    -    5:36
  8. "See What I Took"                   -      (Adrian Gurvitz)    -    3:31
  9. "Midnight"                               -      (Adrian Gurvitz)    -    5:23
  10. "Together"                                    -       (Adrian Gurvitz) - 6:34


🎶🔫
Article lié (lien) : GUN " Gun " (1968)

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