lundi 21 novembre 2022

Paul SERUSIER – La quête artistique (1864-1927) – Virginie FOUTEL (2022) – par Claude Toon


Le talisman (1888)
Paul Serusier par Georges C. Michelet

On peut s'interroger sur la position mythique dans l'histoire de la peinture française du petit tableau ci-contre ! Il se nomme Le Talisman, mesure 27 x 22 cm (une feuille A4), est visible au musée d'Orsay sous forme d'une peinture à l'huile sur une planchette de bois et… a longtemps été considéré comme un couvercle de boîte à cigare 😊. Il représente une rivière proche de Pont-Aven en Bretagne et j'entends déjà nombre de petits malins balancer "Franchement, je crois que je pourrais en faire autant" ou pire – du vécu -, "mon gamin en fait autant !"*. Ce que ces présomptueux ne savent pas c'est que ce petit tableau un peu gauche et très coloré de 1888 a eu le privilège d'ouvrir une nouvelle voie en art après l'impressionnisme… Ô, j'oublie de préciser qu'il est l'œuvre de Paul Sérusier qui l'a peint avec Paul Gauguin qui, par-dessus son épaule, lui criait quelque chose comme "Bon sang lâche-toi !!!!!"

On pourrait parler de croûte aussi. Cela dit, Van Gogh n'a jamais pu intégrer une école d'art car on jugeait qu'il ne savait pas dessiner… On connaît la suite : un seul tableau vendu pendant sa carrière et un suicide !

(*) - T'as raison mon gars, ton môme prendra les tubes d'huile au pif et quelques temps plus tard, tu auras l'image d'une bouse de vache rectangulaire à cause des conflits chimiques…

- Ok, Ok Sonia je me calme !


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Il existe deux catégories d'ouvrages consacrés aux arts plastiques : les petits livrets concis de découverte, et les gros volumes, œuvres d'art en eux-mêmes, très complets, pesant parfois si lourds que les feuilleter sur une table sera plus agréable que les disloquer en tentant en vain de les stabiliser sur les genoux… Bien entendu, le prix est à l'avenant. Le joli livre de Virginie Foutel offre une première approche dans un petit format certes, "Paul Sérusier - Une quête artistique", mais comporte une biographie du peintre, des informations essentielles sur le mouvement Nabis et l'école de Pont-Aven et une sélection de bon aloi d'œuvres marquantes de l'artiste sans analyses didactiques que l'on ne lit pas toujours, sauf les spécialistes et étudiants (12 €). Pour les amateurs plus passionnés, la bibliographie propose entre autres : "Le talisman de Paul Sérusier : Une prophétie de la couleur"… qui étend la présentation des œuvres de Paul Sérusier à celles de ses comparses Nabis : Pierre Bonnard, Jan Verkade, Maurice Denis, Félix Vallotton, etc. une dizaine de peintres… (35 €).

Nota : les illustrations de ce billet ne sont pas toutes présentes dans le livre de Virginie Foutel.

Le XIXème siècle et le début du XXème siècle se révèlent une période charnière de novation intense dans le domaine des arts. Mes lecteurs connaissent bien l'enchaînement : romantisme-postromantisme-moderne en musique (Beethoven-Mahler-Schoenberg par exemple). Je vois une épopée similaire en peinture : impressionnisme-postimpressionnisme-contemporaine (Turner/Corot-Sysley/Gauguin-Picasso, autre exemple). Depuis 1820-1830, l'impressionnisme a remis en cause le classicisme (réalisme dans la construction, application par touche de pinceau à plat, techniques chères à l'académisme d'un Delacroix). Et cela au bénéfice d'une inspiration plus onirique, de petites touches de peintures épaisses apposées de manière plus ou moins diligentes, de jeux de teintes féériques, de l'effet de perspective obtenue par les variations de couleurs plus que par la géométrie. En 1880 l'impressionnisme atteint ses limites. De nouveaux styles s'imposeront via une floppée d'écoles qui vont se développer en parallèle : le surréalisme, l'abstraction totale, etc., mais l'impressionnisme va survivre en se transformant radicalement. Nous l'avons vu avec les billets consacrés à Dunoyer de Segonzac ou René Genis… et plein d'autres seraient à citer… Paul Sérusier, avec son humble Talisman, lance un courant concurrent de l'expressionisme qui prend sa place à travers la subjectivité émotionnelle qui la caractérise.


Né à Paris en 1864 dans une famille bourgeoise, Paul Sérusier suit des études générales au Lycée Condorcet de Paris. Il est doué dans toutes les matières : maths, science, philosophie et langues mortes : grec et latin. Il apprendra aussi des langues orientales qui lui permettront de se passionner pour les doctrines mystiques de l'Orient… En 1885, il intègre l'Académie Julian, école de création récente, mixte, enseignant peinture et sculpture. Elle acquerra une solide réputation. Paul Sérusier, d'une nature affable, se lie facilement d'amitié avec les élèves dynamiques dont Maurice Denis (1870-1943) qui sera un de ses complices lors de l'ouverture du groupe des Nabis. (Nabi de l'hébreu נביאים ou de l'arabe nevi'im, soit : prophétique, illuminé). Illuminé, le mot convient bien à ce groupe qui fonctionne en mini secte loufoque, donne des surnoms pour chaque membre. (Pour Paul Sérusier : "nabi boutou coat" soit "le nabi aux sabots de bois" en breton 😊.)

Pendant l'été 1888 il séjourne à Pont-Aven dans le Finistère sud où travaille un groupe de peintres novateurs animé par Paul Gauguin qui a la quarantaine et le jeune Émile Bernard qui n'a que vingt ans. Gauguin incite Sérusier à s'affranchir des règles à la mode, à disloquer les formes, à faire jaillir des couleurs contrastées, en un mot à peindre le plus instinctivement possible. Naît ainsi cette planchette colorée et provocatrice qui prend le nom de Talisman. Cet essai provoque à Paris un choc même s'il végètera un temps sur son bureau…

Le groupe Nabi voit le jour. Sérusier a fasciné avec cette approche avant-gardiste. Avec Pierre BonnardMaurice DenisHenri-Gabriel IbelsPaul-Élie Ranson, les Nabis retournent à Pont-Aven où ils seront rejoints par d'autres artistes comme Armand Seguin, Édouard Vuillard et Ker-Xavier Roussel… Au programme : l'art évidement, mais aussi l'occultisme, et un intérêt pour les sujets symbolistes. L'air du temps à la fin du XIXème siècle ; chacun reprendra sa route vers 1896.

Hormis l'hiver, Sérusier vit en Bretagne ayant acheté une maison à Châteauneuf-du-Faou, en plein centre du Finistère. Il ne quittera plus ce lieu au pied des Montagnes noires. Tel un Bela Bartok allant de village en village enregistrer des chants populaires hongrois et roumains à la même époque, Sérusier parcourt la lande. Les tableaux de Sérusier sont habités de personnages de la Bretagne traditionnelle, on peut parler d'ethnologie picturale, l'approche est quasi photographique, les œuvres sont de tailles modestes. Sérusier capte les expressions des rudes paysannes bretonnes. Les hommes l'intéressent moins semble-t-il.

Son style est reconnaissable : un dessin strict et précis, des zones de couleurs quasi monochrome à la manière d'un puzzle (théorie du cloisonnisme), peu de couleurs différentes mais éclatantes de lumière ; Sérusier écrira des ouvrages théoriques à propos de ces choix.

Plus tardivement Sérusier s'intéresse à l'ésotérisme et voyagera. En 1927, dans une rue de Morlaix, une crise cardiaque le terrasse. Il n'a que 62 ans.

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Ce billet présente une sélection de 12 peintures dont une de Gauguin datant du premier séjour à Pont-Aven et témoignant de l'influence de ce dernier sur Sérusier débutant.

Hormis les tableaux de la première rangée (3, 4 & 5), aucun commentaire particulier ne s'impose… On visite la mini expo en écoutant le jeu cristallin de la harpe celtique de Alan Stivell


 

1.   Le Talisman de 1888 : huile sur bois, 27 x 21 cm, Musée d'Orsay. Un tableau que l'on peut qualifier de prophétique, à l'origine du mouvement Nabi.

2.    Foire à Châteauneuf-du-Faou, huile (1903)

3.    Louise ou la servante bretonne (1890) huile : Sérusier peint une servante de la pension Gloanec à Pont-Aven où il réside en 1888. Il maîtrise déjà ses options artistiques : le portrait, l'observation du quotidien, l'expression un peu sévère d'une bretonne vivant dans un climat rigoureux, une femme humble sans doute intimidée et qui se "savonne les mains" sur son tablier de travail, une vie intériorisée en songeant à la lande visible dans le petit tableau, les vêtements sombres typiques des lieux. La peinture retrouve le "à plat" en opposition avec les touches furtives de l'expressionisme originel et enfin une composition minimaliste pour représenter objets et tentures…

4.   La solitude (1891) huile : L'expression de tristesse de la jeune femme est saisie avec génie. Solitude, recherche d'un compagnon, séquelle d'une dispute ?  Sérusier s'intéresse à l'âme et nous laisse à nos spéculations sur l'œuvre peinte deux ans après la Servante. L'usage des plages de couleurs mordorées à droite s'oppose à celles plus intimes (dominante de verts) qui entourent le personnage.

5.   Deux fillettes bretonnes (1888) de Paul Gauguin : Pour mettre en évidence l'influence de Gauguin, j'ai placé à droite Les deux fillettes de Gauguin choisi initialement, je l'avoue, par erreur comme attribué par moi à Sérusier. Deux gamines pauvres, le regard fuyant de timidité, la déstructuration du paysage en espaces délimités…

6.     L'Averse (1893) huile

7.     Deux Bretonnes sous le pommier en fleurs. (1892) Huile

8.     La lutte bretonne (1891) Huile

9.    L'Incantation ou Le Bois sacré (1891) Huile. Le symbolisme et la mythologie des légendes intègrent les œuvres…

10.   La vision près du torrent, ou Le rendez-vous des fées (1892). Huile

11.   Femme devant la mer, (1909), Huile

12.   Nature morte – l'atelier du peintre (1891). Huile.


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Édition Locus Solus
52 pages


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