mercredi 19 octobre 2022

BUDGIE "Never Turn Your Back On A Friend" (1973), by Bruno



     Le parcours de ce petit trio gallois est relativement atypique. Généralement vilipendé par la presse, voire unanimement par la presse française – celle des gros tirages -, il est tout de même parvenu à se produire pendant plus de vingt ans. Mieux, à la fin du siècle dernier, en 1999, après quelques années erratiques, il peut remettre le couvert, se produire sur les scènes européennes. Ainsi que dans quelques états aux USA où, bien qu'il n'ait jamais réussi à y percer, il a réussi, là-bas aussi, à gagner quelques hordes de fans fidèles. Parfois par l'intermédiaire de groupes ricains qui reprenaient certaines de ses chansons, dont certains parmi ces derniers étaient – sont – de gros vendeurs. Tel Metallica qui reprend « Crash Course in Brain Surgery » sur leur Ep « The 5,98 $ E.P. - Garage Days Re-Revisited », et « Breadfan » l'année suivante en face B d'un single. Van Halen himself, avait inclus quelques pièces à son répertoire scénique du temps où il manquait de pièces personnelles.


   Mieux, des musiciens reconnus – dans la large sphère « Métôl » - ont vanté le travail du petit combo gallois, jusqu'à parfois revendiquer de s'être inspirés de leur travail pour édifier le leur. James Hetfield et Lars Ulrich donc, mais aussi Dave Mustaine, plus tard Soundgarden et Queens of the Sone Age. Ce qui n'est guère étonnant à l'écoute de la musique des groupes susmentionnés (à l'exception de Van Halen).

     Mais plus important encore, l'influence qu'a pu avoir Budgie sur l'émergence de la conquête du heavy-metal sur le Royaume-Uni, baptisée pompeusement New Wave Of British Heavy Metal, est évidente. Vague qui inonda rapidement l'Europe, avant de se diffuser en Amérique du Nord. Il semblerait d'ailleurs que ces gallois aient même impacté l'un des chefs de file de ce mouvement. En l'occurrence Iron Maiden. Honnête, Steve Harris ne s'en cache pas.

     Étonnant pour un groupe parfois tant décrié par les critiques français. Même Hervé Picart, l'un des plus âpres défenseurs du Hard-rock et du Rock-progressif, probablement la meilleure plume du milieu, n'y alla pas de main morte lorsqu'il écrivit dans le premier bouquin français dédié au Hard-rock : - "Budgie : le hard rock se droit d'être lourd, mais pas pachydermique. C'est ce que n'a jamais compris cet indigeste groupe gallois aujourd'hui exilé au Canada faute de succès. Braillard mais peu convaincant, il est le triste exemple des limites négatives du hard ». Avec un papier comme ça, de plus de la part d'un journaliste généralement considéré comme une sommité en la matière, perdre son temps pour dénicher un disque de Budgie, pouvait relever d'une forme de masochisme.

     Il est vrai que les premières écoutes peuvent rebuter. A commencer par la voix singulière, haut perchée, de Burke Shelley - au même titre que Geddy Lee, auquel il a été souvent comparé. Même s'il serait plus convenable de faire l'inverse – le premier essai de Budgie date de 1971 tandis que celui de Rush de 1974. Sur les deux premiers albums, la guitare de Tony Bourge pêche aussi par quelques approximations, notamment en solo, lorsqu'il essaye laborieusement de jouer vite. Toutefois, renier totalement ce groupe reviendrait à mépriser la majorité des groupes constituant cette NWOBHM.


   Le comparatif avec Black Sabbath est aussi un raccourci des plus simplistes et réducteurs, souvent attribué sans trop réfléchir, juste parce que Budgie se plaît aussi à développer certains morceaux en s'appuyant sur divers riffs basiques - et parfois relativement lourds, bien que le son de Bourge soit loin d'être aussi massif que celui de Iommi -, et que le producteur, Rodger Bain, n'est autre que celui des trois premières galettes de Sabbath. S'il y a effectivement des liens, et qu'il est probable que le sulfureux quatuor brummie ait marqué ces gallois, on ne peut décemment réduire Budgie à ça. D'ailleurs si Black Sabbath creuse un profond et sombre sillon dans la terre du Heavy-metal (voire du Doom et du Stoner), Budgie, lui, n'aura de cesse d'arroser ces terres de Rock-progressif ; osant même un peu plus tard agrémenter quelques morceaux de funk râblé. Par ailleurs, Budgie, chose plutôt rare à l'époque dans le milieu, n'a aucune honte à saupoudrer d'humour ses chansons. Alors qu'une large majorité de groupes de Hard-rock et affiliés se perdent dans un sérieux pouvant friser le ridicule, Budgie, lui, n'a aucun a priori pour tartiner d'un peu d'humour quelques chansons. C'est vrai qu'un titre comme "Vous êtes la plus grande chose depuis le lait en poudre" peut s'avérer rédhibitoire pour le plus tolérant des métalleux. Qui d'ailleurs, paradoxalement, a généralement tendance à s'enfermer dans un excès de sérieux.

     Par ailleurs, la production des deux premiers disques est douteuse. Bien que donc produit donc par Rodger Bain, l'homme des premiers Black Sabbath, le son est pour le moins déchiré, "garage". Seuls les ballades et les passages acoustiques profitent d'une certaine limpidité, tandis que les morceaux trempant dans le rock lourd se rapprochent parfois de la démo de luxe. En particulier la guitare de Bourge. Mais peut-être que ce n'était que la retranscription sans fard de la musique de Budgie. Néanmoins, ces deux premiers essais ont la préférence d'une bonne frange des fans. Avec généralement une nette préférence pour "Squawk" qui frappe par le profond contraste qu'il y a entre les chansons "heavy", brutes, sales, lacérées par la voix aigue et fragile de Burke Shelley, véritable soubresaut maladif d'entité chtonienne, et les passages calmes, apaisés, boisés, aux parfums d'été indien, tel un dernier sursaut d'un optimiste flower power. 


   Le troisième album, "Never Turn Your Back on a Friend", poursuit la même trajectoire. Cependant, les Gallois s'y révèlent affutés, mûris, grandis, mais aussi plus libres. En effet, pour la première fois, ils se produisent eux-mêmes et si le résultat est un album plus propre, plus net et moins lourd que précédemment, il développe aussi son penchant pour un rock-progressif bousculé sans ménagement par des guitares aux cordes trempées dans les fonderies d'Héphaïstos. Parallèlement, l'album paraît plus accessible pour le néophyte (ce qui sera un nouveau reproche de la presse... ). Tony Bourge a digéré le fait qu'il n'est pas - et ne sera peut-être jamais - un virtuose de la trempe d'un Blackmore ou d'un Alvin Lee. Ainsi, il abandonne ses velléités de soliste flashy et véloce, faisant de ses limites une nouvelle force. Pour le coup, soutenu par un son plus dense, il s'affirme comme un très bon rythmicien, pierre de soutien à l'imposant édifice du heavy-metal naissant, également un bon artisan de guitare acoustique nourrie de musique folk, et un soliste désormais plus centré sur l'intensité de la note que sur le débit.

     Moins lourd, ce troisième disque ne s'ouvre pas moins sur une pièce de pur heavy-metal. Le désormais classique "Breadfan", avec son riff nerveux et entêtant, régurgité par une guitare agissant comme une Stein Mk II arrosant la foule environnante. Rapide, alerte, cette pièce va servir de ferment au heavy-metal de la prochaine décennie, d'Europe jusqu'en Californie où quatre gamins impétueux clameront fièrement l'influence des précurseurs européens, dont Budgie. Toutefois, au contraire de la prochaine génération d'apprentis métallurgistes, plutôt que de garder le pied sur l'accélérateur, le groupe préfère effectuer une saisissante cassure par un break acoustique. 

   Après cet élan métallique laissant présager un voyage dans les forges de Vulcain, friande de surprise, la petite bande s'offre, pour la première fois, un voyage dans le British blues avec une reprise de "Baby, Please Don't Go", façon Animals vs Amboys Dukes. Presque saugrenue - isolée au milieu de toute la discographie du trio -, mais pas moins savoureuse. Et comme à son habitude, Budgie ne peut résister au plaisir d'alterner entre chaud et froid, métal et bois, mandale et caresse. Ainsi, "You Know I'll Always Love You" est un pur instant de sobriété boisée dénuée de percussions, une love-song folk bucolique, brouillant définitivement les pistes. Pourtant, cette alternance entre morceaux qui cognent et morceaux épurés, plus ou moins acoustiques, fait alors partie intégrante de la personnalité du trio. Budgie, groupe de rock lourd ? "Au dessus de moi, le Soleil et la Lune sont les deux choses que je chéris le plus. Les choses simples ne seront pas perdues... Sous moi, mer d'herbe et de terre, deux choses que je chéris le plus. Les hommes sachant lire les signes continuent, encore et encore. Les meilleures choses disparaîtront bientôt


   Nouvelle inconvenance
avec "You're the Biggest Thing Since Powdered Milk" qui est introduit par un long solo de batterie, plus bourrin que véloce - totalement inutile et qui aurait dû être abrégé au moins des deux tiers - voire de la totalité. Sans réel intérêt donc si ce n'est qu'il anticipe le blast beat avec deux grosse caisse. Etonnant ce solo de batteur principalement en déploiement de force alors que tout au long de l'album Ray Phillips n'a de cesse d'apporter des nuances. Mais bon, visiblement, les Gallois ont les mains libres et se laissent entraîner par leur inspiration. Et en plus, ça remplit l'espace... Dommage, il aurait été préférable de rentrer directement dans le vif du sujet. Soit un puissant Heavy-rock-progressif, quasiment visionnaire, variant d'intensité. Un long morceau vaguement épique, un peu comme si Wishbone Ash avait recruté le furieux Nugent. Amusant : la basse intronisant l'avant-dernier mouvement sera reprise par Steve Harris pour le break de son "Phantom of The Opera" (hommage ?). Avec "In the Grip of a Tyrefitter's Hand" ("Dans la main d'un monteur de pneus"), les Gallois s'enfoncent dans une tonalité d'acier  - "maintenant laissez moi vous expliquer que ce sentiment de douleur vient de l'homme au sommet. Sa poigne est si serrée, sa puissance politique" - mais font de suite volte-face avec un "Riding my Nightmare" ; une chanson folk irradiant de sobres tonalités "hippies"  - "Tiens compte des mots de ma prière et donne-moi la sensation d'être chez moi, de ne pas me sentir seul. Quand je regarde en arrière, je broie du noir... Chevauchant mes cauchemars, pendant trop longtemps, tu m'y trouveras"

   Le final épouse totalement le Rock-progressif avec "Parents", morceau à tiroirs s'étalant sur dix bonnes minutes. Chanson portant sur le thème difficile de l'incompréhension et l'incrédulité des enfants affrontant la vie, et des parents essayant de les encadrer, de les diriger, sans jamais avoir les codes. Là, par contre, sur son dernier solo, Bourge paraît trahir l'influence de Tony Iommi.
 

     L'album débute en crachant le feu, par quasiment un manifeste du heavy-metal - devenu un classique repris par des groupes d'apprentis forgerons et parfois aussi de confirmés - et se termine en douceur - ou presque - sur du Rock progressif ; sur une longue pièce qui prend le temps de se développer, transcrivant des atmosphères embrumées de mélancolies. Malgré le "Baby, Please Don't Go" qui semble s'être trompé de chemin, tout paraît si bien agencé que c'est à croire que tout a été composé dans le but d'un cheminement précis et réfléchi. Comme une lente et douce progression menant du Metal au Progressif. 
     En se basant sur ses premières réalisations, Budgie pourrait être le reflet d'une fusion improbable entre Black Sabbath et Rush. Sachant que les paroles et la guitare ne peuvent rivaliser avec une certaine sophistication et la dextérité des Canadiens, et qu'il y a pas le même degré de souffre que chez les Brummies. Loin de là.

     La pochette, tout comme celles des deux précédentes, est signée Roger Dean. Généralement plutôt réservées au Rock progressif, les œuvres de Roger Dean pour des groupes dits de Hard-rock sont occasionnelles. Les groupes concernés sont d'ailleurs considérés comme pratiquant aussi bien l'un des genres que l'autre. En l'occurrence, les autres heureux élus sont Gun en 1968 (certainement le premier travail de Dean pour l'illustration d'un disque), Atomic Rooster, Patto, Babe Ruth, Billy Cox, SNAFU et Uriah Heap. Et tout récemment, le dernier disque solo d'Ann Wilson, la chanteuse de Heart.

  1. Breadfan                                                                  -  6:04
  2. Baby, Please Don't Go (Big Joe Williams)               -  5,25
  3. You Know I'll Always Love You                                -  2:12
  4. You're the Biggest Thing Since Powdered Milk       -  8:45
  5. In the Grip of a Tyrefitter's Hand                              -  6:18
  6. Riding My Nightmare                                               -  2:35
  7. Parents                                                                    - 10:10


     Burke Shelley, fondateur et tête pensante du groupe, l'âme de Budgie, le réanimant à plusieurs reprise, doit faire ses adieux définitifs à la scène en 2010 à la suite de graves problèmes de santé. Le 10 janvier 2022, à l'âge de 71 ans, il décède dans son sommeil.



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