vendredi 28 octobre 2022

BLONDE de Andrew Dominik (2022) par Luc B.

On était pourtant prévenu : non, BLONDE n’est pas un biopic sur Marilyn Monroe, mais l’adaptation d’un roman de Joyce Carol Oates*, qui utilisait quelques repères biographiques de l’actrice pour façonner le portrait subjectif, voire fantasmé, de la jeune femme broyée par Hollywood, objet de désir déshumanisé. Le titre lui-même ne renvoie qu'à sa couleur de cheveux. 

Il n’empêche, sans doute pour appâter le chaland, à l’écran, c’est bien la vie et la carrière de Marilyn que semble passer au crible Andrew Dominik. Sinon, pourquoi avoir reproduit jusqu'à un soin maniaque coiffure, vêtements, poses, et iconographie de la plus célèbre blonde d'Hollywood ? Paradoxal, non ? 

La partie sur l’enfance de Norma Jeane Baker (Jeane avec un "e" sur l’acte de naissance que l’actrice fera retirer plus tard) s’approche de la réalité, c’est-à-dire du cauchemar. Une mère, Gladys Monroe, instable psychologiquement, un père d’autant plus absent qu’il est inconnu (une récente analyse ADN a confirmé l’identité du père : le patron de Gladys). Une fois la mère internée, la gamine passe de familles d’accueil en orphelinats. Elle doit son salut à un physique avantageux. Photos, pubs, calendrier dénudé pour payer le loyer, cours de théâtre, premières apparitions au cinéma… on connaît la suite.

A l’écran cela se traduit par une suite de scènes éprouvantes et volontiers mélodramatiques (la peluche oubliée), à la limite du film fantastique lorsque Gladys embarque sa fille en voiture pour fuir un incendie, le reflet des flammes semblant embraser le pare-brise, highway to hell. La voiture file droit vers l'incendie, le danger, la mère hystérique cogne la gamine apeurée. Gladys expliquera à la police routière qui la stoppe dans son élan, qu’elle voulait rejoindre la propriété sécurisée de son riche mari, sur les collines d’Hollywood. Dominik explique le personnage de son héroïne par ses traumatismes d'enfance, classique, disons que la démonstration est sans doute un brin appuyée... 

A la suite de quoi, pour une raison qui m’échappe, outre la schizophrénie, Gladys tente de noyer sa fille dans son bain. Qui en réchappe. Et hop, plus rien jusqu’en 1951 (alors que ces années d'apprentissage auraient été riches d'enseignement), où on retrouve Marilyn à l’Actor Studio, puis décrocher un premier rôle. Le producteur scelle le contrat en prenant la blonde au dépourvu et en levrette sur un coin de table. Une scène qui fait écho, à n’en pas douter, au producteur Harvey Weinstein, assez glaçante lorsque l’actrice ressort de l'antre, pétrifiée, hagarde, sous le regard blasé d’une secrétaire hautaine qui en a vu passer d’autres.

Ce sont les deux angles du film développés par Andrew Dominik, sur une durée de presque trois heures, autrement dit, ça rabâche pas mal. Je n’ai pas eu de parents / je désire un enfant ; je souhaite être actrice / je ne suis qu’un objet sexuel. Fallait-il autant de temps et de scènes tape à l’œil pour nous raconter ce que l’on savait déjà ? Mention spéciale pour la scène avec Kennedy qui la reçoit à poil sur son lit, et pendant qu’il règle les problèmes du monde au téléphone lui demande de le sucer. Comment l’actrice du film, la délicieuse Ana de Armas, a-t-elle pu accepter de tourner ce gros plan de face, s’activant sur le membre présidentiel ??? C’est exactement ce que semble dénoncer le film…

[reconstitution d'une photo, à droite l'original]  Ana de Armas, à l’origine de la meilleure séquence de l’affligeant dernier JAMES BOND (la cubaine en robe fourreau noire) est certainement l’atout principal de BLONDE. Elle y fait un fabuleux travail d’actrice, c’est parfois troublant. Lorsque Andrew Dominik reconstitue photos, tournages ou scènes de films, le résultat est bluffant. Je n’arrive toujours à savoir si les extraits de CERTAINS L’AIMENT CHAUD (1959) sont réels, reproduits, ou si la fée numérique est passée par là ! C’est génial sur NIAGARA (1953) mais extrêmement redondant sur la scène de la bouche de métro dans SEPT ANS DE RÉFLEXION (1955), démonstration interminable. Rappelons que la scène a réellement été tournée à New York, dans la rue, devant des milliers de badauds à qui Marilyn montrait sa culotte à longueur de prises. Billy Wilder passe pour un salaud instrumentalisant la détresse psychologique de son actrice.  

[Ana de Armas et Adrien Brody]  Quel dommage qu’Ana de Armas doive enchaîner les scènes hystériques et fantasmagoriques qui se bousculent en mode Andrzej Zulawski ou Polanski (le réalisateur dit s'être inspiré de l'esprit du film LE LOCATAIRE). Le ménage à trois qu’elle noue avec deux apprentis comédiens, Charles Chaplin Jr et Edward G. Robinson Jr nous vaut une scène de triolisme quasi psychédélique qui laisse pantois ! 

Rappelons à nos jeunes lecteurs que jamais Marilyn Monroe n’a croisé la route de ces deux fils-à-papa célèbres. Mais soit, c’est de la fiction. Plus tard, et pour le coup c’est vrai, enceinte de l’écrivain Arthur Miller (joué par l’impeccable Adrien Brody), Marilyn fait une fausse couche. Sauf que dans la fiction, elle avait déjà dû subir un avortement, enceinte du fils Chaplin.

On connaît malheureusement les diktats d’Hollywood envers les comédiennes qui tombaient enceintes et ce que cela impliquait pour leurs carrières, et accessoirement (euphémisme...) pour le manque à gagner des studios. Jouant donc la carte de la maternité contrariée, Andrew Dominik se complet à montrer à l’image un fœtus pleurnicher en mode « est-ce que moi aussi tu vas me tuer ? ». En pleine remise en cause des lois sur l’avortement aux Etats Unis, waouh, ça se pose là…

Le film est d’autant plus déconcertant, qu’il multiplie les formats. Les plans passent du noir et blanc (au demeurant superbe, rien à redire sur l'aspect technique du film) à la couleur, passent du cinémascope au format 1:1.85, 1:1.37 ou 1:1. J'ai beau chercher, je n'ai pas trouvé de justification : réel/fiction, champ privé/public, Norma Jean/Marilyn ? Un artifice arty qui laisse perplexe. Si au moins le réalisateur avait pris le temps de fouiller la psyché de l’actrice, mais tout est résumé en une scène de dîner avec Joe DiMaggio (le premier mari). Ah si : elle appelle tous ses maris « Daddy », z’avez pigé le message, rapport au père absent ?

[plan final de 2OO1 L’Odyssée de l'espace... ah non, le foetus qui réclame le droit à la vie]  La vie de Marilyn Monroe est un film en soit. Peu d’acteurs ou d’actrices ont atteint ce niveau de notoriété, jusqu’aux confins reculés de l’univers on connaît Mickey, Charlot, la bouteille de Coca, le logo Apple ou Marilyn Monroe (le Deblocnot arrive en sixième position). Il y avait là un matériau sensationnel qui pouvait transcender le showbiz, le cinéma, la politique, la représentation et l’exploitation de la femme, la sexualité. Avec en bonus l'épilogue dramatique : overdose accidentelle de tranquillisants, suicide, assassinat… La tragique Marilyn Monroe ne méritait pas de subir ça, le cinéma vient de la faire mourir une seconde fois.

A moins que le seul intérêt de ce BLONDE soit de nous faire courir illico revoir QUAND LA VILLE DORT, EVE, CHÉRIE JE ME SENS RAJEUNIR, NIAGARA, LA RIVIÈRE SANS RETOUR, SEPT ANS DE RÉFLEXION, BUS STOP, CERTAINS L’AIMENT CHAUD, THE MISFITS… parce que tout de même, elle en aura tourné de sacrés films. 

Poupoupidou.

* pas moins de trois romans de la grande Joyce Carol Oates chroniqués ici même :

Ma vie de cafard  

Nous étions les Mulvanay et Délicieuses pourritures

Couleur et noir et blanc  -  2h47  - multi-formats  

 

3 commentaires:

  1. Je ne trouve rien de positif à dire sur ce film d'un interminable ennui, même l'actrice est bidon, elle trimbale la même expression trois plombes durant. Le comble du ridicule parmi la ribambelles d'effets à deux balles utilisée par le réalisateur (de Chopper, pourtant) est de faire démarrer la majorité des scènes par la reconstitution d'une photo célèbre. Le meilleur service que l'on peut rendre à cette daube (et à nous-même) est de l'oublier très vite.

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  2. Nous sommes raccords. Sauf pour la craquante Ana de Armas, que je ne trouve pas si bidon. Elle fait ce qu'elle peut, elle est comme une réplique en cire du musée Grévin, mais elle bouge !

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  3. Impeccable ... je comptais pas le voir ...
    Par contre revoir Certains l'aiment chaud et Les désaxés, je m'en lasse pas ...

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