HONEYMOON SUITE " The Big Prize " (1985), By "Honey" Bruno

   Nouvelle étape dans ce parcours, somme tout pas si rectiligne que ça (du moins plus ou moins sur les dix premières années), dédié au Hard FM/AOR. Cette fois-ci, on passe par le Canada. Vaste pays assez riche en groupes du genre, alors que l'on avait tendance à croire que le phénomène était surtout un pur produit américain, avec un épicentre en Californie, le pays à la feuille d'érable ne reste pas à la traîne. Pas vraiment précurseur, mais certaines gloires nationales des années 70 ont commencé à tâter du sujet déjà dès l'an 1978. Et même avant si l'on tient compte du cas Goddo. Et puis il y a le monstre protéiforme Rush, qui ne peut résister à en faire l'essai et plus tard à y exceller, mais sans vraiment s'y consacrer à part entière. Ce qui sera par contre le cas de Triumph, qui y perdra des plumes. La musique du groupe Heart, fierté de Vancouver (1), est rapidement taxée de Rock FM, - les efforts franchement Rock'n'Roll de « Bebe Le Strange » n'y changent rien -, et la formation des sœurs Wilson deviendra plus tard un fer de lance.

   Et puis à l'aube des années 80, dans une folie expansionniste, l'hydre étend ses tentacules sur toute la surface du pays, d'un océan à l'autre, aidée par de solides et fiers lieutenants dont Prism, Harlequin, April Wine, Balance et Loverboy. Des formations qui n'ont aucun mal à faire plier les (généralement) chauvines ondes américaines.  

     En 1985, un nouveau client arrive, avec sous le bras, une galette qui n'est pas loin de faire l'unanimité. Plus précisément, le quintet canadien se fait déjà remarquer l'année précédente, avec un très bon premier album, mais c'est bien avec celui-ci, "The Big Prize", qu'il marque les esprits. Même les esgourdes se nourrissant habituellement de sévères salves métalliques et autres déflagrations volcaniques, avouent (parfois, sous le couvert de l'anonymat) que cette bande sait y faire et qu'elle a de sérieux arguments. Pourtant ce n'était pas gagné avec une pochette de disque en dehors des sentiers battus – à une époque où bien trop souvent elles rivalisaient de ridicule  - des combos de Rock dur ; cependant cette pochette a le mérite de présenter autre chose, et surtout de se faire immédiatement remarquer au milieu des autres, versant dans le déballage de violence, de sexisme imbécile et de tenues aux codes vestimentaires carnavalesques. Certains croyaient à une malencontreuse erreur de classement, ou craignaient de s'exposer à la moquerie en osant poser une main dessus. Celle de la première fournée, avec la femme de chambre sexy bordant un lit en forme de cœur hérissé de piques est plus explicite.

     Quant au nom du groupe, Honeymoon Suite, il aurait plutôt tendance à refléter une musique plus encline à faire gigoter les postérieurs dans des établissement dédiés, où une partie de la population espérait briller furtivement les samedis soir, avec l'espoir de conclure une brève aventure (à l'époque, il y avait des slows pour cela) ; éventuellement pour boire des coups et mettre le bazar. Un patronyme pouvant également être synonyme de musique mielleuse, propice à roucouler ou au sport en chambre.

     Or, rien de tout cela, ce quintet originaire de Niagara Falls (à l'origine Drummondville), haut lieu des nuits de noces – et de leurs anniversaires - de l'Amérique du Nord - d'où le patronyme - fait bien partie de la famille des harderoqueurs. Évidemment, de la branche dite mélodique et/ou « FM ».

     Avec ce second opus, impeccablement produit (2) par un Bruce Fairbain qui ne va pas tarder à être un temps plus célèbre que nombre de groupes qu'il produira, Honeymoon Suite parvient à allier la puissance d'un Hard-rock hérité de la fin des seventies, robuste mais un rien guindé (Moxy, Bad Company) à un raffinement inspiré du meilleur de la New-wave. Le tout avec une habile construction mélodique qui a eu pour modèle les compatriotes de Goddo, de Balance, de Saga même, ainsi que de Bryan Adams (Mickey Curry, batteur du blondinet de Vancouver, est passé donner un "coup de baguettes"). Ce qui est flagrant pour ce dernier sur les chœurs du refrain de « Bad Attitude » ouvrant l'album (titre qui apparaîtra sur les sélections musicales très rock'n'roll de la série "Miami Vice"). Le premier jet, disque éponyme sorti l'année précédente, est déjà de bonne facture. Cependant, il manque un peu de gnaque et de consistance, en particulier au niveau de la guitare. "The Big Prize" rectifie le tir en conséquence. Sous les conseils de Fairbain ou juste évolution et prise de conscience du groupe ? Qu'importe, le résultat est là et c'est une réussite.

     Il y a une belle alchimie entre la guitare franchement « hard » de Derry Grehan – par ailleurs principal compositeur -, et les touches de Ray Coburn qui bien que jouant sur synthé, s'évertue à ne pas tomber dans des tonalités aseptisées et glaciales. Toutefois, si Grehan n'hésite à jouer du volume pour ne pas écraser son collègue claviériste, soit de tempérer les ardeurs de ses six-cordes, à l'inverse, lorsque cela menace de faire chuter la température, il fait son possible pour faire remonter le mercure. Ce qui n'empêche pas quelques petites chutes, notamment au niveau des ballades - ou slows - qui manquent cruellement d'originalité. En particulier l'insipide « Words in the Wind », mais rien qui pourrait occulter la pertinence de ce bel et rafraîchissant ouvrage.

   Après l'excellent « Bad Attitude », morceau franchement hard-rock avec un clavier qui semble user de tous les stratagèmes pour le temporiser, un vivifiant « Feel It Again » déploie quasiment tous les codes du Rock FM sans tomber dans l'ampoulé et le boursouflé (qui va sérieusement grever le genre vers la fin de la décennie). Une pièce qui va s'infiltrer dans un Billboard US, alors bien pourvu en diverses matières de Hard-rock. « Lost And Found » continue sur cette lancée avec un clavier omniprésent, ici assez proche de Saga. La ballade de rigueur arrive un peu tôt et, bien que de bonne tenue, n'a rien de renversant. « One by One » marche sans vergogne sur les plates-bandes de Bon Jovi, espérant peut-être ravir la couronne du jeune prince, acquise seulement l'année précédente. En termes de conquête, « Wounded » s'attaque cette fois-ci aux terres défrichées par Balance - et laissées en l'état depuis 82 en dépit de quelques incursions des Loverboy.

   « All Along You Knew », aux entournures quelque peu progressives, retrouve l'excellent niveau du triptyque d'ouverture, en partie grâce à la flûte traversière magique du troubadour Ian Anderson (qui a tissé quelques liens avec le groupe suite à une tournée en 1984). « Once the Feeling » pêche un peu par son classicisme 

     Si le rôle de leader du groupe semble être tenu par le guitariste Derry Grehan, le départ du claviériste Ray Corbun fera subir un préjudice irréversible au groupe. En effet, l'album suivant, « Racing After Midnight », sorti seulement trois ans plus tard, en 1988, peine à retrouver la pertinence et l'alchimie de ce second essai. Et l'inclusion de la chanson "Lethal Weapon" dans le film à grand succès du même nom n'y fait rien. Les ventes, tout comme le groupe, entament alors un déclin irréversible, jusqu'à la dissolution de ce dernier. Reste ce « The Big Prize », souvent considéré comme un classique du genre, parfois couplé avec le suivant.

(1)   En fait, groupe d'adoption Canadien.

(2)   Avec une masterisation de George Marino. Un nom qui était à l'époque un gage de qualité. Et un certain Bob Rock, ici seulement en qualité d'ingénieur. Si ce dernier à débuté sa carrière de producteur en 1979, c'est en 1988 qu'il se fait notablement remarquer avec la production du premier disque de Kingdom Come, suivi par "Sonic Temple" de The Cult et du "Dr Feelgood" de Mötley Crüe.

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