vendredi 26 août 2022

40 TUEURS (FORTY GUNS) de Samuel Fuller (1957) par Luc B.

 

Samuel Fuller, c’est ce monsieur à la crinière blanche et au gros cigare que l’on voit dans PIERROT LE FOU de Godard, le personnage joué par Belmondo lui demande qui il est, il répond « je suis un américain, je fais des films » puis Belmondo de questionner : « C’est quoi exactement le cinéma ? ». Fuller répond : « Les films sont comme une bataille, amour,  haine, action, violence et mort, en un mot : émotion ».

40 TUEURS en est l’illustration parfaite. Le moteur du film est la haine et l’amour que chacun se porte, et l’action. Pas seulement au sens bagarres, poursuites et fusillades, mais au sens où chaque action dans une scène en amène une autre dans la suivante. Un film ne doit pas faire du surplace (« c’est un train dans la nuit » disait Truffaut…). 40 TUEURS est un western atypique, car filmé en scope mais en noir et blanc, avec non pas un, mais une cheffe de gang, et plié en 1h15 chrono.

Godard, encore lui, disait que ce film était le meilleur de son réalisateur, dont « chaque plan est d’une très grande richesse d’invention et foisonne d’idées de mise en scène ». C’est tout à fait vrai, on reste médusé par l’invention constante de Samuel Fuller, qui semble vouloir repousser toutes les limites techniques. Dès le générique, on est happé par un paysage somptueux, un ciel immense aux nuages lourds (la jurisprudence John Ford conseille pour filmer un paysage de cadrer 1/3 de terre 2/3 de ciel), avec un charriot qui arrive pépère, soudain doublé par une horde de 40 cavaliers. Fuller ose la caméra placée sous le charriot, le sol en tremble encore.

Tout est dit des antagonismes dans ce générique. Dans le charriot se trouvent les frères Bonnell, dont l’ainé Griff a raccroché les flingues pour vivre paisiblement. Ils se rendent à Tomstone. Les cavaliers de l’apocalypse sont les hommes de mains de Jessica Drummond, propriétaire terrienne qui fait la pluie et le beau temps dans le comté. Ils débarquent généralement en ville pour y mettre le bazar, tirer, saccager, effrayer le bourgeois, on pense à L'ÉQUIPÉE SAUVAGE avec Brando en blouson noir. Brockie Drummond, jeune frère de Jessica, abat le shérif qui s’oppose à la bande. Meurtre lâche, filmé brutalement. Griff Bonnell intervient avec son ami Ned Logan, et foutent le gamin en taule. Logan devient le nouveau shérif, en c'temps-là le turn-over était assez rapide. La toute puissante Jessica Drummond fait libérer son frère malgré les preuves accablantes. Brockie, humilié, jure de se venger de Bonnell

La scène de la prison résume bien le savoir-faire de Fuller. Il ne la tourne qu’en un seul plan, partant de la rue pour accompagner Jessica Drummond jusqu’à la cellule, avec cette idée de lier extérieur et intérieur. Elle est cadrée au centre, en maîtresse des lieux, les bonhommes étant relégués à la périphérie de l'image. Puis la caméra repart dans l’autre sens lorsque le personnage ressort. Fuller avait traité de la même manière la première scène dans le bar. Et en termes de plan séquence, il fait très fort plus tard, avec un travelling de plus de 200 mètres, et à l’époque mes louloutes pas de steadycam, mais des rails à poser et des caméras lourdes comme un bœuf. Fuller cadre d’abord les Bonnell au premier étage d’une maison, la caméra suit la descente, leur sortie, leur longue marche dialoguée dans la rue centrale jusqu’à un boutique (où trône en vitrine un cercueil ouvert sur un cadavre). Quand on pense que le plan est fini, un panoramique rapide change le point de vue sur Drummond qui arrive avec ses 40 gars dans un ouragan de poussière. Un plan d’anthologie.

Fuller se permet des angles incroyables, comme cette contre-plongée presque verticale sur Bonnell avec au-dessus de lui, à la fenêtre de l’étage, un tireur embusqué. Pour montrer la myopie du shérif, Fuller filme tous ces contre-champs flous ! Il utilise aussi des très gros plans sur les regards, aussi serrés que ceux de Sergio Leone 10 ans plus tard sur Charles Bronson. Ou encore ce plan à travers le canon d’un fusil, comme les génériques des James Bond, lorsque Wes Bonnell reluque la plastique de sa future épouse Louvenia Spanger, armurière de profession !  

La scène est toute en sous-entendus, le canon des fusils que l’on caresse, dont on admire la finition, « Combien de temps pour faire un bon fusil » demande Wes, « Un essayage par jour » répond Louvenia Spanger, dont on se demande si elle ne parle pas d’un amant… Le mariage sera un des plus courts à l’ouest du Pécos, puisque que Brockie Drummond,  voulant tuer Griff Bonnell, se plante de cible et abat son frère Wes qui s’écroule dans les bras de sa femme, en robe blanche. Enchaînement fameux : le plan suivant, Louvenia Spanger est en robe de deuil noire et suit le corbillard. Un gars chante au passage du convoi.

Ce chanteur, on l’avait déjà vu, lors d’une scène plus légère, où les protagonistes prennent un bain. On entendait une chanson dans la bande-son (« A woman with a whip » puisque Jessica Drummond ne se sépare jamais de son fouet) mais on se rend compte que cet air est en réalité chanté par un personnage qui arrive vers premier plan, c’est presque un gag à la Mel Brooks !

Un deuxième niveau vient se greffer à l’intrigue lorsque les deux amis Ned Logan et Griff Bonnell, se retrouvent en concurrence pour les beaux yeux de Jessica. Doit-on agir par loyauté, par respect de la loi, ou par amour ? Autre scène superbe, lorsque Griff Bonnell apporte un mandat d’arrêt chez Jessica Drummond. Elle est attablée avec ses hommes, ses 40 tueurs, j'vous dis pas les rallonges pour asseoir tout le monde. Fuller suit en travelling le mandat qui passe de mains en mains jusqu’à la maîtresse des lieux, qui s’en saisit, hautaine, parcourt le texte et congédie d’un regard toute la tablée. Dans le rôle de Jessica, la grande actrice Barbara Stanwyck, réellement impériale, qui règne sur ce monde d’hommes frustres, la comédienne avait exigé, pour imprimer toute son autorité, de réaliser ses propres cascades (chevauchées titanesques, scène de l’ouragan).

Samuel Fuller filme ce western comme un Film Noir, la photographie noir et blanc est très contrastée, les images baroques, striées d’ombres, comme dans ce plan où Jessica retrouve un pendu chez elle.

La dernière séquence est aussi fameuse. Brockie est de nouveau derrière les barreaux, il s’échappe en prenant sa soeur en otage. Griff Bonnell, droit dans ses bottes, avance implacablement vers Brockie bien décidé à le neutraliser pour de bon. « Tu n’oseras pas tirer » lance l'autre, prenant sa sœur comme bouclier. Ben si, il a osé... La scène stupéfie les responsables du Studio qui exigent son retrait, au motif qu'une star comme Barbara Stanwyck ne pouvait pas mourir ainsi à l'écran. Samuel Fuller conserve le plan, mais le complète d'une suite pour en atténuer l'impact. C’est la réaction de Bonnell qui importait. L’actrice était d’accord avec lui.

« Emotion » résumait Samuel Fuller. Avec 40 TUEURS on est servi, et copieusement. C'est un film complètement dingue, tout y est habilement lié, rythmé, brut, avec quinze trouvailles visuelles par scène. 

Un pur joyau.

***************

Griff Bonnell est joué par Barry Sullivan, dont on connaît le visage, il a beaucoup joué au cinéma ou à la télévision, mais sans jamais avoir été une tête d’affiche. Même chose pour Wes, interprété par Gene Barry, qu’on a surtout vu dans des séries TV (il était l’assassin dans l’épisode pilote de "Columbo", ou "L'homme à la Rolls" pour ceux qui ont connu Samedi est à vous...). Au contraire de Barbara Stanwick, très grande star avant-guerre, qui trônait sur le même podium qu'Hepburn ou Crawford, admirable garce de Film Noir (ASSURANCE SUR LA MORT, Billy Wilder) elle se tourne vers la télévision au début des années 60, où elle produit son propre show à succès. Stanwyck est aussi connue pour sa sexualité bridée par les diktats hollywoodiens, elle était lesbienne, mariée par pure convenance à des hommes (dont Robert Taylor) elle en aura souffert toute sa vie.   

Samuel Fuller était scénariste, réalisateur et producteur de ses films, un franc-tireur, un poil à gratter dans l’industrie hollywoodienne, qui aimait outrepasser les convenances, comme un Robert Aldrich. On lui doit LE PORT DE LA DROGUE, LE JUGEMENT DES FLÈCHES, LES MARAUDEURS ATTAQUENT, SCHOCK CORRIDOR, THE NAKED KISS, THE BIG RED ONE, du nom de la première division de soldats américains ayant débarqués en 44, dont Fuller faisait partie. Il a vécu plusieurs années à Paris, s’y trouvant mieux accueilli qu’à Hollywood. 


Noir et blanc  -  1h15  - scope 1:2.39

2 commentaires:

  1. J'avoue piteusement que je savais même pas que ce film existait ...
    Donc manière de dire quelque chose, parmi les films de Fuller que tu cites, une pensée particulière pour Shock Corridor qui se pose un peu là en matière de coup de poing dans la tronche façon reportage dans le milieu psychiatrique .... l'équivalent de Vol au-dessus d'un nid de coucou ...
    Barbara Stanwick, grande actrice, plein de grands films, avec pour moi mention spéciale à Stella Dallas où elle est extraordinaire ...

    RépondreSupprimer
  2. Shock Corridor est effectivement un "choc" ! The Naked Kiss vaut aussi le détour, avec une Constance Towers fascinante, et le coup du crane rasé, là encore, fallait oser !

    RépondreSupprimer