jeudi 25 août 2022

TY SEGALL "Harmonizer" (2021) par Benjamin

Nous vivons une triste époque de décadence. Une récente étude montrait en effet que les français passaient la majeure partie de leur temps sur leurs écrans. Après la seconde guerre mondiale, Georges Bernanos parlait déjà d’un monde où « les hommes fabriquaient des machines pour en acheter d’autres ». Il ne pouvait toutefois prévoir que ces monstres mécaniques deviendraient de funestes prisons lumineuses enfermant monsieur moyen dans un univers vide et paranoïaque. Si l’on cherche une idéologie unissant toutes les séries niaises, les jeux vidéo stupides et autres façons de griller du temps de cerveau disponible, on la trouvera dans leurs relativismes destructeurs.

Le moderniste correctement formé par l’idéologie médiatique et culturelle pense que Guillaume Musso vaut autant que Victor Hugo, que Fast and Furious est un film aussi réussi que Le parrain, et que Sergent Peppers est du même niveau que les aboiements de rappeurs se prenant pour Baudelaire. Dans ce contexte, beaucoup jugent le rock’n’roll dépassé, rance, mort, incapable de célébrer la bêtise d’une jeunesse vénérée par notre époque gérontophobe.   

Que les modernistes évitent de se réjouir trop vite, ce qu’il considère comme un macchabée n’est en réalité qu’une culture en exil. Tel un grand empereur, la musique rock a subi une double trahison qui faillit en effet avoir sa peau. La première fut bien sûr l’avènement du heavy metal, funeste cancer rongeant son corps autrefois vigoureux. En se séparant de l’influence du blues, les enfants de Black Sabbath s’enfermèrent dans une ridicule surenchère sonore. La violence n’était plus un moyen mais un but, ce qui autrefois put apporter une nouvelle force à un héritage incontournable servait désormais à le faire disparaître. Les magazines complétèrent cette entreprise de destruction, leurs articles n’hésitant pas à briser la frontière entre les rockers et les hordes de barbares chevelus. En cherchant à récupérer une partie de la popularité des compatriotes de Metallica, les rock critiques contribuèrent au déclin d’une musique qu’ils pensaient défendre.

Ils oublièrent que le génie du rock est dans ses nuances, ce qui le rend incompatible avec la folie assourdissante des fils du Noir Sabbath. Le heavy metal dut également sa popularité à la niaiserie d’une pop de plus en plus sirupeuse et geignarde. En se convertissant au chaos sonore des métalleux, une bonne partie d’ex-rockfans pensèrent envoyer un message à une musique convertie aux canons de la pop commerciale. Ils ne comprirent pas que le métal et la pop qu’ils haïssaient n’étaient que les deux faces d’une même pièce, leur manie de tout exagérer ou atténuer ne laissant aucune place aux silences et aux changements de rythmes. Le silence est au rock ce que la ponctuation est à la littérature, une respiration vitale. Le symbole de la décadence moderne fut bien sur le synthétiseur, dangereux serpent à sonnettes autant vénéré par les popstars que par certains métalleux.

Autant dire que la volonté de Ty Segall de centrer son nouvel album sur le synthétiseur a de quoi inquiéter. L’œuvre s’ouvre d’ailleurs sur un gargouillement informe, que notre blondinet aurait inventé en s’inspirant de l’étron « Pour some sugar on me » de Def Leppard. Passée cette douche glacée, la sauce prend rapidement, une guimauve grandiloquente digne de Van Halen laissant vite place au boogie spatial de « Learning whisper ». La guitare rugit alors furieusement, impressionnant fauve envoyant un riff stoogien hystérique. Soumis à la puissance d’un tel maitre, le synthé suit les envolées du guitariste, souligne sa force et son énergie. Segall soumet ce clavier trop longtemps dominant, le pousse suffisamment dans ses retranchements pour que ses cris angoissés servent de rampes de lancement à l’ogive proto grunge « Facelift ». Sans tuer le feeling unique de Segall, l’arrivé de l’électronique donne une nouvelle dimension à sa musique. Cette nouvelle dimension est particulièrement efficace sur le morceau titre, prodigieux groove spatial où la guitare destructrice semble créer de véritables trous noirs.

Le space rock n’a d’ailleurs plus atteint une puissance digne du morceau « Pictures » depuis que le vaisseau Hawkwind a quitté la comète « Do re mi fa sol latido ». Les titres composant ce « Harmonizer » s’ajoutent à la longue liste d’uppercuts cherchant à réveiller une musique amorphe. A chaque riff, lorsque la batterie martyrise le gloussement aqueux d’une électro enfin soumise par la force ancestrale du rock, « Harmonizer » secoue une époque d’une mollesse affligeante.

Si ce disque souffre encore des approximations qui empêchèrent souvent son auteur de réussir un sans-faute, il n’en fait pas moins partie de ces albums montrant que la musique n’a pas encore été totalement émasculée par la niaiserie ou la barbarie moderne.

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