Quentin Dupieux est un petit phénomène à lui tout seul, un multi-tâches. Musicien, compositeur, DJ, mais aussi cinéaste. Avec un univers très personnel qui lorgne vers le fantastique rigolard fabriqué avec trois bouts de ficelles. Il y a la veine fantastico-surréaliste comme RUBBER (le pneu tueur !), RÉALITÉ avec déjà Alain Chabat en producteur à Los Angeles, LE DAIM avec Jean Dujardin et son blouson en… daim. Et des comédies loufoques comme AU POSTE ! avec Benoit Poelvoorde et sa formidable mise en abîme, ou le récent MANDIBULES, avec deux couillons qui tentent de dresser une mouche géante…
Dupieux tourne vite, un film par an, alors que sort INCROYABLE MAIS VRAI, un autre est déjà en attente d’écran… De plus en plus d’acteurs bankable sont au générique de ses films, Dupieux s'est constitué une troupe, il y a une filiation avec Jean Pierre Mocky, autre stakhanoviste de la caméra qui réunissait des casting premier choix. Et leurs films sont courts, Dupieux donne généralement dans les 1h15 et au lit.
Nous avons ici deux couples, Alain Chabat et Léa Drucker, Benoit Magimel et Anaïs Demoustier, qui est affublée d’une choucroute blonde du meilleur effet. Et on apercevra Michel Hazanavicius dans une figuration de quelques secondes.
INCROYABLE MAIS VRAI, le titre porte bien son nom, serait à ranger dans la
catégorie fantastique loufoque, mais quand on gratte un peu, le fond est très sombre. Alain et Marie achètent une maison en banlieue.
Le gars de l’agence immobilière fait la visite et termine par le clou de la maison. « Ah bon, y’a un clou ? » s’étonne Marie.
Le clou se situe à la cave.
Où il y a une trappe. En dessous de laquelle il y a un trou, un passage. Le vendeur multiplie les « vous allez voir c’est fabuleux » « extraordinaire » « stupéfiant »… Nous sommes en début de soirée, détail qui a son importance, la lumière du film est volontaire sombre, pour accentuer l’effet qui va suivre. Le gars de l’agence finit par descendre dans le trou, suivi par Alain et Marie. Plan suivant : ils arrivent en bas de l’échelle. Nous sommes au premier étage et il fait grand jour.
Ca rappelle ces illusions d'optiques en dessin, plus on monte l'escalier plus on descend. Mais ce n’est pas tout, le vendeur leur explique le truc le plus dingue... que je ne vous raconterai pas, évidemment.
La
première partie du film est une succession de plans hors chronologie. Le réalisateur
joue avec le temps, et c’est justement un des thèmes de son film. Et puis
surprise. Alain, qui bosse dans une boite d’assurance, découvre que son patron
et ami Gérard, habite à proximité. Invitation à dîner. Gérard et sa femme Jeanne ont un
truc fabuleux à leur raconter « quand on en sera au café et si l’ambiance
est bonne ». La scène est géniale, traîne en longueur, je dis, je ne dis
pas, allez Gérard se lance : « J’ai une bite...». STOP ! J'en dis pas plus...
Et on va en parler de sa bite à Gérard, sa vie tourne autour, mais rien de graveleux, pas une once de vulgarité, c’est juste hilarant. Notamment grâce à Benoit Magimel, très
gentil mais un peu con, le mâle dans toute sa splendeur, mais très touchant, l’acteur imprime l’écran
avec un tour de bide digne de Depardieu.
Léa Drucker est elle aussi impeccable, la voix est posée, c'est pourtant elle qui partira en sérieusement en vrille. Le personnage de petite vicelarde écervelée joué par la délicieuse Anaïs Demoustier n'est sans doute pas assez exploitée. Chabat est un quinqua qui aspire à une vie calme et rangée, contrarié par un client odieux qui le harcèle.
Dans chaque couple, un élément va disjoncter. Ces gens à priori sains, équilibrés, installés, sont en réalité de profonds angoissés face à l'usure du temps. Marie et sa recherche
de la jeunesse éternelle, Gérard obstiné par sa virilité qui pourrait flétrir.
Ces deux personnages sont en recherche d’un idéal fantasmé, une quête absurde qui les mènera à la folie, ou à la mort. Quentin Dupieux nous invite dans un conte moral, philosophique, surréaliste et parfois burlesque, finalement plus sombre et profond qu’il n’y parait. Il y a des éléments visuels forts et référencés, le mystérieux chat et son regard démoniaque qui semble en savoir beaucoup plus qu'il ne le miaule (allusion à LE MAÎTRE ET MARGUERITE de Boulgakov ?), la pomme que croque Marie, qui renvoie à la tentation biblique. Autre référence surréaliste, la dernière scène à la clinique, saisissante, la main, les fourmis, allusion au CHIEN ANDALOU de Bunuel. Mais David Cronenberg aurait apprécié.
Dupieux est scénariste, réalisateur, il cadre et fait la photographie (volontairement floutée aux contours, l'effet surprend au départ) comme son montage. Et puis idée géniale, la dernière partie du film n'est racontée qu'en images et musique, sans dialogues (on s’en passe très bien), autre manière de déstabiliser le spectateur.
Voilà un drôle de film, totalement en marge, qui jongle avec des concepts intellos sans jamais se prendre la tête, il faut juste rentrer dedans, comme Marie était entrée dans son tunnel…
Couleur - 1h15 - scope 1:2.35
"quand on n’en sera au café"
RépondreSupprimerLe " n' " marquant une négation, il ne s'impose pas, ici...
Effectivement, faute impardonnable ! Merci, je corrige...
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