jeudi 23 juin 2022

KARAJAN, Clara HASKIL & MOZART – Concerto N°20 (1956) – Requiem (1961) – par Claude Toon


- Mais Claude, cet article… c'est du réchauffé… tant le Requiem de Mozart que ce concerto de Mozart ont déjà été chroniqués…
- Ah Sonia, tu as une notion du "réchauffé" qui surprend. Déjà qu'une bonne daube c'est meilleur le lendemain, écouter dix ans après une première fois dans le blog deux œuvres de ce niveau dans des interprétations culte, le terme prend un ton… disons péjoratif…
- Mouais, je suis maladroite, je ne connais pas cette pianiste et monsieur Karajan a tellement enregistré que tu dois nous proposer des musts de son catalogue…
- Je préfère cette formulation… Et puis surtout : tant la pianiste roumaine que les chanteurs de cette première version stéréo du Requiem par Karajan sont des artistes de légende… On parlera plus d'eux que des œuvres en effet déjà commentées, quoique pour le concerto, j'avais été un peu radin… 



Herbert von Karajan vers 1964

C'est les vacances, on a le temps d'écouter de la musique. D'où ce concert construit autour de deux enregistrements mozartiens qui ont marqué leur époque : la fin des années 50 et le début des années 60, les premières gravures à répétition de Karajan chez DG, après un travail intense avec le Philharmonia chez EMI.

Sonia a raison. Le célébrissime Requiem de Mozart a déjà donné lieu à un article en 2012 tout comme le concerto N°20 la même année. À l'époque, pour le Requiem j'avais retenu deux enregistrements pour lesquels un consensus existait entre mélomanes à l'esprit ouvert quant au niveau d'inspiration superlatif des interprétations : Karl Böhm avec la Philharmonie de Vienne et ses tempos étirés à l'extrême, atteignant ainsi une spiritualité étonnante alors que bien des confrères n'auraient proposé à durée égale qu'une lenteur sulpicienne proche d'un mauvais trip brucknérien ; et puis la version sur instruments d'époque gravée par John Eliot Gardiner restituant le climat musicologique et sonore du XVIIIème siècle.  (Il faut croire que j'avais de bonnes raisons pour ce second choix puisque des extraits de mon billet une fois recopiés sur Amazon – il y a belle lurette que j'ai lâché la prose sur ce site mercantile – est la plus "appréciée" des 70 évaluations ; ça ne fait pas de mal une petite crise d'orgueil, hihi 😊)

 

Donc, pourquoi ne pas écouter de nouveau deux ouvrages phares de l'histoire de la musique dans des interprétations de références ? Et je pense en premier au Concerto N°20 de Mozart écrit en mineur, dont le ton tragique renvoie à l'itinéraire de souffrance personnelle et à la passion pour ce compositeur de Clara Haskil, pianiste légendaire jamais présentée dans le blog, disparue en 1960, à l'aube des enregistrements stéréo. Sa discographie officielle se limite aux compositeurs les plus classiques qui soient donc un peu perdue au milieu des centaines de gravures modernes concurrentes. Au fait, pourquoi encore Karajan ?

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La bronca aussi récente qu'imbécile menée par des esprits bien-pensants contre le maestro autrichien me casse les n**x. Je rejette ces courants réécrivant l'histoire qu'ils n'ont pas vécue pour relancer des polémiques faute d'avoir des idées intéressantes à développer. Le maestro avait pris sa carte au NSPAD après avoir, il faut le dire, essuyé des refus, uniquement pour accomplir son destin : diriger un orchestre jusqu'à la mort… Hitler le détestait, il dû fuir les purges de 1945… Comme collabo, on a vu plus zélé… non ? Vous savez quoi, ce type a vendu 200 millions de ses 600 albums classique et a bossé jusqu'à l'épuisement à réengistrer un répertoire inouï suivant les progrès du disque, pour que ceux qui n'ont pas le temps ou la fortune pour accéder à longueur de vie au concert découvrent cette musique classique. Sympathique ou pas, Herbert, avec son avion (excellent pilote) et son yacht (navigateur hors pair vainqueur de régates) ? On s'en tape, il était surdoué et alors ! J'y vois beaucoup de jalousie en arrière-plan. Je connais des pousses-ballon qui gagnent bien plus pour marquer deux buts par an au milieu d'une hystérie collective due à quelques meutes de beaufs, isolées mais efficaces, les canettes et injures racistes qui volent, la baston généralisée, etc. Oui Sonia, je me calme, mince j'ai 22 de tension… Et pourtant une partie de Foot avec suspens, ça peut être chouette…


Herbert von Karajan a déjà participé comme interprète principal ou alternatif à 17 chroniques. De Bach à Webern le gars est bon en tout, c'est comme ça… Pas toujours génial, mais dans sa discographie pléthorique avec les Philharmonies de Berlin ou Vienne, forcément, il assure ! Je suis surpris par ce nombre et je pensais n'avoir jamais présenté une gravure Mozart. Erreur mon adjudant ! 4 divertimentos en 2017 dans une interprétation aussi guillerette que raffinée sur le plan sonore. Non le maître, bien que de la génération des chefs à l'ancienne n'était pas toujours bourrin comme on a pu le lire parfois. Et même dans Mozart qu'il dirigeait, certes avec des effectifs généreux d'instruments modernes, mais avec un rare souci du détail et de l'élégance, même dans les symphonies ultimes. (Petite biographie) Son enregistrement de la flûte enchantée avec Anton Dermota et Wilma Lipp (que l'on retrouve ici) en 1950 reste cultissime. 


Dans les années 45 à 59 Herbert von Karajan avait collaboré (dans le bon sens du terme ; de nos jours il faut tout préciser) avec Walter Legge, patron de EMI et fondateur d'un orchestre de studio, le Philharmonia. En 1946, malin, Legge se rend à Vienne auprès des artistes interdits de travailler pour cause de dénazification ; il revient avec Wilhelm Furtwängler et Herbert von Karajan qui prend la direction de ce nouvel ensemble. Dans cette période, le chef fougueux fait évoluer son style vers la direction souple et voluptueuse qui assurera son succès futur. Naissent ainsi des intégrales symphoniques : Beethoven, Brahms, et surtout des opéras de Mozart et de Richard Strauss dont l'insurpassable ou presque Chevalier à la rose avec Elisabeth Schwarzkopf… 

Ainsi débutent les séries d'enregistrements d'intégrales souvent aux nombres de quatre, une par décennie : 50, 60, 70, 80 en numérique. "Vingt fois sur le métier remettez votre ouvrage…" Pas toujours avec bonheur d'ailleurs. Le Requiem de Mozart échappe à cette règle. Herbert von Karajan ne l'enregistrera officiellement que trois fois et pour DG : 1961 que nous écoutons ce jour, puis en 1976 et enfin en 1987. Et j'ai un faible pour cette première expérience. Raisons subjectives ? Possible… Le tempo est retenu mais sans suggérer le parfum des encensoirs, comparable à celui de Böhm à Vienne ; autre atout : la sonorité tranchante typique des captations réalisées à la Jesus-Christus-Kirche avant la reconstruction de la salle de la Philharmonie. Le maître débute chez le label de Hambourg et a conservé cette battue au scalpel héritée des années Philharmonia qui évoluera vers un hédonisme qu'on lui reprochera parfois dans ses productions des années 70. Et puis surtout, un quatuor vocal fabuleux ! Celui d'une époque où les meilleur(e)s chanteurs et diva d'opéras démontraient leur talent autant sur les scènes lyriques que dans leurs participations aux grands ouvrages religieux classiques et romantiques. Un quatuor de légende qui donna lieu à cette série de photos (un peu Carte d'identité quand même 😊) disponible sur le web. Je ne commente pas leurs carrières. Quatre chroniques individuelles se justifieraient…. Wilma Lipp : Soprano (1925-2019), Hilde Rössel-Majdan : contralto (1921-2010), Anton Dermota : Ténor (1910-1989), Walter Berry : baryton (1929-2000 ; un chanteur très apprécié de Karajan)

Quant au Requiem, je ne reviens pas sur le contexte teinté de légende qui l'entoure : Mozart mourant, un mystérieux commanditaire nocturne, des parties hélas inachevées et complétées par son élève Süssmayer. (Clic) style="color: #7030a0;"


  1. Introitus: Requiem
  2. Kyrie
  3. Sequentia: Dies irae
  4. Sequentia: Tuba mirum
  5. Sequentia: Rex tremendae
  6. Sequentia: Recordare
  7. Sequentia: Confutatis
  8. Sequentia: Lacrimosa
  9. Offertorium: Domine Jesu
  10. Offertorium: Hostias
  11. Sanctus
  12. Agnus Dei
  13. Communio: Lux aeterna

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Clara Haskil vers 1925

Évoquer la personnalité et la carrière de Clara Haskil revient à rédiger le récit d'une passion au sens christique, chemin de croix compris. Clara Haskil voit le jour en 1895 à Bucarest dans une famille juive. Sa mère, pianiste amateur, discerne très vite le surdon de sa fille qui à trois ans pianote des mélodies qu'elle a entendue. Clara Haskil bénéficiera d'une mémoire eidétique qui lui permettra plus tard de travailler le 2ème concerto de Brahms en une semaine ! À cela s'ajoute une oreille infaillible. Pour ses cinq ans, elle rejoue sans hésitation ni faute une sonatine de Mozart qu'elle vient d'entendre. Anecdote qui rappelle un certain… Mozart enfant.

La famille Haskil vit chichement après la mort du père en 1899. Sa mère additionne les petits boulots et permet à sa fille d'enter au conservatoire. En 1902, la fillette de sept ans arrive à Vienne pour suivre les cours de piano de Anton Door, ami de Tchaïkovski. Pour le brillant pédagogue confronté à la mémoire musicale de Clara , il y voit un mystère : "On se trouve là devant une énigme : cette maturité d'un cerveau d'enfant est véritablement angoissante."

À dix ans, départ pour Paris et Clara entre dans la classe d'Alfred Cortot. Le célèbre pianiste déteste Clara et lui balancera "Nous vous entendrons la prochaine fois !" et ajoutera "Vous jouez comme une femme de ménage !". Antisémite ? Misogyne ? Sans doute les deux comme son rôle de collabo actif et de fayot de Pétain le montrera pendant l'occupation. Fauré choqué, bien qu'âgé et directeur du conservatoire, prendra la jeune fille sous son aile, étonné d'entendre sa propre musique jouée avec tant de poésie… Dans les années qui précèdent la grande guerre, elle donne ses premiers concerts.


En 1914, comme pour la planète, le monde de Clara bascule. Elle souffre d'une importante scoliose évolutive. Même de nos jours le traitement est décevant surtout en cas de diagnostic tardif. Pendant tout le conflit, elle séjourne à Berck enfermée dans un corset en plâtre. Elle doit abandonner le violon du fait des douleurs qui font de la vie de la jeune virtuose un calvaire. 


Clara, le martyre mais… Mozart…

Après l'Armistice, sa carrière ne prend son essor qu'avec lenteur du fait de son handicap et d'une timidité maladive, et ne sachant pas profiter des rencontres avec les grands de l'époque comme Rubinstein ou Horowitz, une exception : Dinu Lipatti roumain lui aussi. Elle annule des concerts par manque de confiance en elle et malgré des critiques toujours élogieuses de son jeu délicat et inspiré.

Evidemment, les lois antisémites du régime de Vichy l'oblige à fuir en zone libre. À Marseille, elle subit l'excision d'une tumeur de l'hypophyse. (Neuf heures sans anesthésie générale, elle pianote le concerto "jeunehomme" de Mozart sur la table d'opération pour tester si son cerveau subit des lésions pendant l'intervention). Elle survit et se remet rapidement.

Après avoir échappé de peu à une rafle vichyste en 1942, elle hésite malgré l'incitation du groupe d'amis qui avaient financé son opération de tous les risques à se refugier en Suisse ; ce qu'elle finira par accepter, partant seule sur un quai de gare… Elle vivotera jusqu'à la Libération.

1945. Clara fuyant le nazisme et ses douleurs physiques et morales a-t-elle encore une patrie ? Elle en doute… Elle obtiendra la nationalité helvétique en 1949. À cinquante ans, son génie du clavier va enfin être reconnu d'autant qu'elle peut voyager sur la planète qui a retrouvé la paix. Elle jouera beaucoup en Suisse puis dès 1950, ayant enfin un passeport, dans toute l'Europe : notamment en Angleterre et en Allemagne. Charles Munch et Paul Paray l'invitent à Boston et New-York. En 1956, Herbert von Karajan qui préside à la destinée du Philharmonia l'invite à une tournée Mozart sur le vieux continent. Le concert donné à Salzbourg et écouté ce jour est anthologique.

Parler d'une santé fragile est un euphémisme. Clara trottine voutée à petit pas vers le clavier. La magie musicale opère malgré les douleurs qui lui déchire le dos lors des forte. En fin de vie Chopin avait le même problème. Dans les années 1950, Philips l'invite à graver des grands classiques : les sonates de Mozart et celles de Beethoven, et puis il y aura cette rencontre avec Arthur Grumiaux et la gravure quasiment jamais égalée des sonates pour violon et piano de Beethoven… Un travail harassant qui mettrait à genoux des jeunots en pleine forme. Les ingénieurs du son sont subjugués : une seule prise par mouvement, la perfection immédiate…

Une chute à la gare de Bruxelles pour retrouver Arthur Grumiaux lui sera fatale en 1960. À 65 ans, elle en paraissait vingt de plus…

Charlie Chaplin, réfugié depuis le maccarthysme à Vevey, également résidence de Clara, l'invitait souvent et notamment à chaque Noël où elle se mettait au piano après le dîner. Il déclara à son sujet : "J'ai connu trois génies dans ma vie : Einstein, Churchill et Clara Haskil."

DECCA a regroupé une grande partie de ses enregistrements dans un coffret de 17 CD. Certes la qualité sonore est parfois d'un autre âge mais en termes d'émotion, nous avons là un patrimoine de l'humanité.

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Geza Anda, Clara Haskil et Herbert von Karajan en 1956

En 1785, Mozart vit depuis quatre ans à Vienne, a épousé Constance, attirant ainsi les foudres de son père non consulté. Il redécouvre Bach et Haendel comme lui grand compositeur d'opéras. Comment le temps a-t-il déjà pu oublier ces deux génies ? Dans son opéra l'enlèvement au sérail, il triomphe. Certes, c'est encore un opéra-comique mais chanté en allemand et non en Italien. Mozart entre en Franc-Maçonnerie. Il se sent enfin libre et apprécié, mais pour combien de temps.

Janvier 1785, Mozart écrit en parallèle deux concertos pour piano, les N°20 et 21 K466 et K467. Le second écrit dans le jovial Ut majeur est l'un des plus connus et appréciés avec son introduction martiale et son andante à la fois rythmé et bucolique (Clic) style="color: #7030a0;". Étrangement le N°20, s'avère d'entrée plus mélancolique, car noté en ré mineur. Mozart écrit très rarement en mode mineur et des 27 concertos, le N° 20 est bien L'exception.

On s'interroge sur la dualité entre les tonalités des deux concertos jumeaux créés en février et mars 1785 par le compositeur. La tonalité de ré mineur est, par essence même, associée aux climats tourmentés et spirituels. Une tonalité qu'affectionnait le taciturne et monastique Bruckner. Mozart exprime-t-il ses affres les plus intimes ? Il ne traverse pourtant pas encore l'ultime et douloureuse période de sa fin de vie. Ou alors, autre hypothèse, dépeint-il sa morosité face à une une Vienne frivole, peu sensible à son art, ce qui se traduit par une absence de commande de partitions lyriques plus dramatiques, autres que des opéras-bouffes. Mozart reste lié à l'éternel goût du public pour les opéras-comiques ? en 1787, Don Giovanni mêlant drame et comédie ne rencontrera le succès qu'à Prague ! En plein siècle des lumières, il lui semble que le style classique stagne dans l'académisme. Le concerto K 466 n'est-il pas alors, plutôt qu'une confidence intime, le premier concerto posant les fondements d'une évolution des œuvres musicales vers un langage passionné et idéaliste, moins divertissant et insouciant, en un mot la préfiguration du romantisme de Beethoven ?

L'orchestration des deux concertos est plus riche qu'à l'accoutumée : violons I & II, altos, violoncelles, contrebasses, flûte, 2 hautbois, 2 bassons, 2 cors en ré (passant en si dans la Romance) 2 trompettes en ré, timbales en ré et la (uniquement dans K 466).


1 – Allegro : (Partition) voici l'introduction la plus inattendue qui soit. Pas une mise en bouche mais une courte ouverture d'opéra telle qu'en rêve d'écrire Mozart : le drame et la mélancolie. On ne peut s'empêcher le rapprochement avec l'ouverture de Don Giovanni et ses premiers accords sauvages.

Un rythme incertain guide une pulsation fiévreuse et angoissée dans le thème 1 joué par les cordes seules lors des 7 premières mesures. Le rythme est marqué par des arpèges syncopés aux contrebasses, des arpèges tous différents dans leur notation, la signature de l'incertitude quant au destin. Des mesures 8 à 15 vont se succéder des accords ascendants à l'octave joués un à un par les cors, les bassons et les hautbois, chacun sur 6 temps. [0:31] Surgit un accord en tutti. Et là, on ne peut s'empêcher un second rapprochement avec l'air de la Reine de la Nuit clamant son ire furibonde dans la Flûte enchantée. En seize mesures, Mozart a planté le décor tragique de tout son concerto. Cet accord forte débute le développement martial de ce premier thème avec héroïsme. Romantisme ? disais-je ?

[1:02] Le second thème nettement moins épique est un charmant échange entre un motif chanté par la flûte alternant avec un motif entonné conjointement par le hautbois et le basson. Une section répétée trois fois et suivie par une mélodie élégiaque et exaltée aux cordes formant une synthèse des climats précédents. [2:07] Une ritournelle apaisée conclut cette extraordinaire introduction avant d'inviter le piano à faire son entrée.

De nombreux points séduisent d'emblée dans la direction de la Karajan : l'équilibre entre chaque pupitre, la pertinence des interventions des instruments, le tempo rapide et résolu et pourtant ne laissant aucune place à la moindre confusion. Au-delà de cette virtuosité technique imposée au Philharmonia, le chef canalise la vaillance voulue sans aucun doute par Mozart tout en respectant la subtilité de l'écriture, enchaînant tout le récit au scalpel mais sans sécheresse. Il est rare de bénéficier d'un discours aventureux aussi viril dans nombre d'interprétations concurrentes privilégiant un morne pathétisme.


Mozart en 1785

[2:24] Le piano fait son entrée avec son propre thème, et non à partir d'une cellule dérivée de l'introduction. Encore une innovation d'autant que son style est presque incongru ! On sera déçu d'attendre une réponse virulente à la furie orchestrale. La main droite entonne note par note le thème soutenu par quelques accords discrets à la main gauche. "Pourquoi tant de haine et d'angoisse ?" semble répondre le clavier sous les doigts de Clara Haskil qui, telle une débutante, donne l'impression de découvrir la partition calmement, avec tendresse, cherchant à apaiser les esprits, peut-être même l'impétuosité du maestro, mais en totale complicité. Les deux artistes mettent ainsi parfaitement en avant les contradictions existentielles de ce concerto, l'un des plus géniaux. Le piano poursuit sa course en gagnant en détermination et en se confrontant au Thème 1 introductif. La pianiste insuffle une vitalité diabolique à son jeu, une alacrité surprenante de la part d'une vielle dame voutée et chancelante. Rien à ajouter… Écoutez les enchaînements et les trilles, de telles virtuosités et implications ne s'entendent pas tous les jours… Quant à la cadence (de Beethoven), elle témoigne que Clara Haskil n'avait pas peur des forte, quel que soit le prix à payer par son dos.

Nous sommes page 6 d'une partition qui en compte 56. Une évidence, je ne vais pas détailler chaque mesure dans un billet qui deviendrait une démonstration bien trop analytique et tout à fait ennuyeuse, d'autant que ceux qui voudraient se lancer dans un pareil exercice trouveront leur bonheur dans ce site Les épisodes se succèdent, nombreux et contradictoires dans cet allegro diablement imaginatif à la virulence musicale sans concession.

 

2 : Romance : [13:34] Changement de ton, le si bémol majeur porte un motif mélodique poétique. Les noirceurs de l'allegro n'étaient-elles qu'un mouvement d'humeur. Le motif sera repris avant le début d'un autre groupe thématique tout aussi serein. [18:09] De manière inattendue, un mouvement de colère interrompt la quiétude qui semblait acquise… À la frénésie pianistique s'ajoute la plainte déchirante du hautbois. Il faut attendre [20:46] pour retrouver le calme de la réexposition du premier thème…

 

3 : Allegro vivace assai : [23:20] le rondo final, de nouveau en ré mineur, introduit par le piano, se révèle encore plus volcanique que l'allegro initial. Le style adopte au départ une scansion ardente. Mozart n'avait pas indiqué de tempo sur son manuscrit, la nature de l'écriture suggère une précipitation… vers quoi, des moments heureux comme le laisse supposer quelques fantasques passages sarcastiques. Du bonheur ? Peut-être mais après avoir surmonté bien des épreuves. Écoutons-nous dans le concerto K466 un début d'autobiographie ?


Pour les deux interprétations :


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