mercredi 29 juin 2022

CHILDREN Of The SÜN " Roots " (2022), by Bruno



  Diable ! Malgré tout, ils restent encore de jeunes musiciens qui n'ont que faire des diktats actuels de l'industrie musicale. Des jeunes pousses réellement passionnées par la musique et leur art, qui ne s'en laissent pas conter par les A&R et autres affairistes. Qui n'ont d'autres soucis que de composer et d'interpréter leur propre musique, sans s'inquiéter de savoir si elle pourrait s'intégrer à un format ou un autre, au risque même d'être catalogué comme doux rêveurs en dehors de leur temps. D'inadaptés. Sachant pertinemment qu'ils ont peu de chance d'accéder à un statut de célébrités internationales. Mais qui sait ? Dans un autre monde où le talent ferait loi...


      Children of the Sün
est de ceux-là. Un sextet issu des froides contrées suédoises, composé aux deux-tiers de jolies damoiselles à l'allure simple, au visage rond reflétant une certaine candeur, à la chevelure couleur de blé. Une troupe échappée d'un espace-temps reliant ce monde aux années soixante. Une période folle et libertaire, où une partie de la jeunesse espérait s'affranchir des chaînes du capitalisme et du consumérisme, s'étalant grosso modo de 1966 à 1972. En effet, la musique de ce singulier combo fait ressurgir du fonds de ce lointain âge les fantômes des groupes de rock-psychédélique, de rock progressif imprégné de folk et de proto-Hard. Ils n'ont pas pour autant les esgourdes fermées à ce siècle puisqu'ils se plaisent à mentionner Rival Sons comme une influence notable (mais qui eux-mêmes ont été taxés de revivalistes).

     Leur immersion, ou leur intérêt  va jusqu'à influencer leurs tenues vestimentaires constituées de dentelles, de chemises imprimées fleuries ou bohèmes, de vestes à franges, de futals patt'd'éph', de chemises en flanelle, de larges colliers. Sans la quasi absence de grain, les photographies les représentant - sur scène ou en pleine nature - pourraient donner l'illusion d'avoir été prises il y a une cinquantaine d'années ; quelque part en Californie.

     Cette sympathique bande de chevelus, aux mines radieuses et sereines, a déjà réalisé un premier album, "Flowers", sorti en 2019. En dépit de la fraîcheur du groupe et de la jeunesse de ses membres, ce premier jet fait preuve d'une étonnante maturité où l'ego semble maîtrisé pour rester au service de la musique. D'une musique de groupe, au sens noble, où même les rares soli restent dans les clous, ne se démarquent jamais du rythme ou de la mélodie. Un très bon album qui, dans le genre, peut-être considéré comme l'un des meilleurs de l'année. Ce que la presse scandinave n'a pas hésité à confirmer.


    Le petit nouveau ne déroge pas à la règle, et fait même mieux en gravissant un nouveau palier sur l'échelle de satisfaction des synapses. Alors que "Flowers" privilégie des formats relativement étirés (en fait, juste au-delà de la moyenne des standards pop tournant autour des 2 mn trente), celui-ci affiche treize pièces pour moins de 45 minutes au total. Soit des formats plus courts, faisant craindre un tournant vers la Pop et autres formes de Rock mainstream, ou quelque chose de nettement plus dur qui aurait alors écrasé ce qui fait tout le charme de ce groupe ; à savoir une délicatesse boisée, un brin féérique, voire gothique. Mais que nenni, Children of the Sün n'a aucunement changé son fusil d'épaule, retourné sa veste ou baissé son pantalon, et, Oh surprise, "Roots" est un pur joyau, un ravissement. Pourrait-on considérer cette œuvre comme un objet rare, sans craindre de - aveuglé par son éclat - tomber dans le dithyrambique ? Pour cela il serait sage d'attendre que le temps fasse son œuvre, et que l'appréciation - forcément toujours peu ou prou subjective - se décante. 

     Children of the Sün nous invite à les rejoindre dans une dimension parallèle, en dehors du temps. Tir Na nOg ou Alfheim ? Une vaste contrée où festoieraient chimères et stryges sous la blancheur froide du clair de lune, où les petits peuples de la forêt, fées, elfes et autres lutins, se dévoileraient aux hommes et veilleraient sur les âmes pures, où druides et enchanteresses discourraient avec quelques vieux arbres noueux et verdoyants. Où les gardiens de ce lieu inaccessible aux corrompus inviteraient valkyries, amazones et preux chevaliers à se défaire de leur armure étincelante pour partager le vin et la chair lors de bacchanales animées. Où les universités seraient dédiées à l'étude des lois de la nature, tandis que l'industrie serait péché, synonyme de violence et de destruction. Children of the Sün ouvre un portail sur ce monde fantasmagorique aux printemps fleuris et aux hivers secs et immaculés de blanc.


   Si le tréma posé sur le "U" renvoie à Blue Öyster Cult (et non à Motörhead, ni à Mötley Crüe 😂), ce serait plutôt vers le Pink Floyd des 70's qu'il faudrait se tourner. En particulier celui des "Whish You Were here" et "Animals" - avec occasionnellement et subrepticement une touche de Syd Barrett -, mais avec une palette de couleurs héritée du Wishbone Ash des années 70-72. Tandis que "In Silva", envoûtante pièce acoustique, plane au-dessus du Crosby, Still, Nash & Young, avec en sus une vigueur propre aux groupes de Heavy-rock ; et l'énergique "Thunder" rime fortement avec Rival Sons (avec une tonalité de fuzz assez semblable - et même une whammy pour le chorus du pont). Et pour brouiller encore les pistes, "Reaching For Sun", bien que débutant sur un air vaguement oriental à la sauce Haigh-Ashbury (San Francisco) - aussi proche de la musique de Robert Plant -, le refrain plonge radicalement dans le UFO de "Obsession" (entre "Lookin' Out for n° 1" , "Cherry" et "Ain't no Baby"). Et puis, il y a 
"The Soul" qui a l'air de s'être ici égaré, avec son tempo et son phrasé pop. Plutôt incongru - peut-être une porte de sortie vers quelque chose de plus lucratif en cas de besoin impératif (pratiquement comme si les Spice Girls avaient envahi le studio). Paradoxalement, c'est l'occasion pour Jacoben de jouer un solo hargneux et bluesy, comme jamais encore il ne l'avait fait. Serait-ce sa façon de la désapprouver ?

     On retrouve comme point commun avec le Floyd cette capacité à créer de formidables et saisissants climats par leurs seuls instruments, et surtout en s'attelant à faire respirer leur musique, plutôt qu'en la surchargeant inutilement. Avec une prédilection pour les tempi lents (allegro à adagio). Cependant ces Enfants du Soleil ne se privent pas, au détour d'un break ou d'un final emporté, de mettre les gaz pour quelques excès de vitesse, laissant planer dans leur sillage  quelques odeurs âcres de Hard 70's. Quelques brides de psychédélismes viennent colorer deci-delà quelques mouvements, mais cela demeure bien ténu. Le titre d'ouverture, "Reflection" est certainement le plus évident pour l'affiliation floydienne, exacerbée par la résonnance et l'économie du piano et du solo de guitare qui est du pur Gilmour. Le piano aussi sur le poignant "Blood Boils Hot", bien que la guitare s'exprime à travers une fuzz fébrile, à la manière de Scott Holiday. Ou encore sur quelques mouvements du cristallin "Meet You in Eden", qui commence comme un récital intime à la cour d'Asgard. 


   L'atout maître du sextet suédois se nomme Josefina Begtlund Ekholm. Une voix claire et fraîche comme de l'eau de roche, et solide comme un hêtre, assez proche de la regrettée Sandy Penny (Fairport Convention (1)). Avec le solide appui de la sœurette Ottilia, et ponctuellement celui de Wilma As (également claviériste) elles créent un tissu d'atmosphères saines et sereines, parfois presque oniriques, 
fruits de la rencontre d'une tradition folklorique nordique et du heavy-rock-progressif 70's. Un peu comme le Renaissance de Keith Relf et de sa sœur Jane, ou un Steeleye Pane qui aurait avalé du Led Zep ou du Free au petit déjeuner. Ou bien du Rival Sons 😁. Liturgies païennes dédiées aux esprits de la nature et de l'Amour. Au niveau des voix, sur "In Silva", formidable pièce acoustique, où seuls officient Josefina et Jacob Hellenrud, le guitariste (et préposé au mixage), ce dernier révèle qu'il pourrait être aussi un nouvel atout au chant. Certes, nettement plus limité que ses collègues féminines, il reste néanmoins dans le ton et pourrait offrir une tonalité de troubadour bienvenue pour varier les plaisirs. Plaisirs déjà intenses.

     "Roots" est la suite logique de "Flowers", avec cette fois-ci des mouvements et des morceaux foncièrement plus heavy, analogues à un Hard millésimé début 70's. Tel que "Thunder" donc, qui pourrait être aussi un enfant de Rival Sons. Ou le riff initial de "Leaves", presque Sabbathien. Sinon, l'enlevé et pétillant "Gaslithning", qui s'apparente à une charge de guerrières chevauchant à cru des chevaux ailés, pointant de leur Ulfberht l'objet et la cible de leur courroux. Tandis que le morceau éponyme soulève des poussières de boogie aigrelet à la Canned Heat, en ponctuant de sauvages sursauts où Josefina finit par avoir du mal à contenir une rage trop longtemps étouffée. Pour "Roots", le groupe commente le titre "Dans notre voyage à travers la vie, tu grandis comme un arbre. Tout ce que tu as été, qui tu es actuellement et qui tu deviendras démarre à tes racines". Même le doux "Man of the Moon" qui démarre lentement, sobrement, en acoustique, sur des accords de country-blues, finit dans une victorieuse explosion Zeppelinienne.

    Le bien nommé "Epilogue" conclut ce second chapitre par un chœur céleste, vague écho parvenant de la lointaine et oubliée Lothlorièn, dissimulée à la vue de des hommes et de leur cupidité. Un disque envoûtant.

     Un groupe qui conforte une frange de la scène scandinave dans une forme de revivalisme d'un Rock d'antan, largement imprégné de Folk-rock progressif, de psychédélisme et de Hard-blues, dont la force est de ne pas tomber et de se complaire dans une inféconde nostalgie (2). Une scène déjà forte des Siena Roots, Nephila, Pristina, Blues Pulls, Hällas, Blackfeathers, MaidaVale, The Riven. Une scène soutenue par le label The Sign Records, normalement plus affairé à être le support indéfectible d'une scène d'énervés biberonnés au Rock de Detroit et enfants directs des Hellacopters. Par contre, bien qu'effectivement, Children of the Sün se réclame de l'école des Janis Joplin et Hendrix, et contrairement à ce qui a parfois été écrit, il n'y a rien d'eux dans leur musique. Ou alors, il faut vraiment aller chercher loin, profondément. Ces références doivent être plutôt celles d'un état d'esprit, et non une influence musicale qui aurait impactée leur musique.

🎵🎵

(1) C'est elle que l'on entend aux côté de Robert Plant sur la chanson inspirée de l'œuvre majeure de J.R. Tolkien, "Battle For Evermore". Chanteuse qui, on l'oublie, a beaucoup œuvré pour électrifier et rockiser le Folk anglais.

(2) Même si "Flowers", le premier disque de COTS débute par, - outre des gazouillis de petits zozieaux - , des craquements typiques d'une pointe de lecture de platine vinyle.


🎶👪🌞

3 commentaires:

  1. C'est vrai que les références se bousculent au portillon, le titre "Gaslighting" m'évoque le Jefferson Airplane, avec cette voix sinueuse. J'entends parfois une petite guitare avec une réverb jouée à la Robby Krieger. Je suis allé écouter le premier album et le EP de 2018, que j'ai tendance a préféré à celui-ci. Par contre, je me demande si niveau look ils n'en font pas un peu trop dans le genre revival... ou est-ce pour la promo ?

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    1. Ben non, à la scène comme à la maison ; les mêmes fringues. Si ce n'est que le climat scandinave étant moins clément que le californien, les bottes ont tendances à remplacer les sandales et le cuir est nettement plus présent 😁

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    2. Je ne connais pas leur Ep - c'était à l'époque un septuor -.
      "Flowers" est vraiment très bon (je l'avais d'ailleurs sous le coude pour une chro jamais arrivée 😊), cependant, il me semble que "Roots" finit par devenir addictif (réellement disque de chevet 😲). Probablement moins évident que son prédécesseur (j'ai également préféré un - court - temps "Flowers"), il finit pourtant pas s'imposer.
      Effectivement, à quelques occasions, le Jefferson Airplane, et notamment Grace Slick, semble surgir comme une évidence. Même si Children of the Sün n'est aucunement acide 🙂. Et je ne sais plus sur quel morceau, ça démarre comme du The Doors du "L.A. Woman".
      Bien ouïr, Luc.

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