- Waouh Claude, quelle hécatombe chez les pianistes classiques, ce
n'est plus un blog mais une rubrique nécrologique…
- Oui Sonia ! Nicholas Angelich le virtuose américain mort à 51 ans le
18 avril le même jour que le roumain Radu Lupu à qui je consacre cette
chronique…
- J'avais entendu parlé de ce pianiste, même si il n'apparaissait pas
encore dans le blog…
- Son décès – c'est hélas souvent le cas – me permet d'aborder deux
charmantes œuvres du grand répertoire pianistiques : les impromptus D
899 de Schubert et les Klavierstücke (pièces, et non intermezzos comme
je lis à droite à gauche), deux cycles qui devaient un jour ou l'autre
faire la une d'un billet…
- Hum, je me demande si écouter ces jolies musiques ne vaut pas tous les
hommages dithyrambiques voire verbeux de la presse spécialisée… Je ne
dis pas ça pour toi Claude… attention…
- Ô mais je sais bien Sonia, et tu as tout à fait raison…
concentrons-nous sur le jeu sans égal de Lupu dans ce répertoire qui ne
justifie pas d'analyse pointue…
Radu Lupu en 1970 |
En 1969, âgé de 24 ans,
Radu Lupu
ne portait pas encore cette barbe qui ne cessera de grandir jusqu'à le
métamorphoser en vieux prophète…
Le virtuose était peu bavard, il refusa quasiment toute interview pendant
plus de trente ans. Un artiste d'une discrétion et d'une probité absolue
vis-à-vis des partitions toujours abordées avec un jeu d'une finesse
inégalable, ce qui ne veut aucunement dire "impersonnelle", loin de là
!
Radu Lupu
voit le jour en 1945 en Roumanie, un pays qui nous a souvent donné
de grands interprètes comme
Clara Haskil
ou
Dinu Lipatti… Il commence ses études de piano dans son pays natal à l'âge de six ans
à Bucarest et les achèvera chez le grand frère soviétique de Moscou au
légendaire
Conservatoire Tchaïkovski dans la
classe de Heinrich Neuhaus, l'un des pédagogues russes les plus
célèbres. Dès l'âge de 12 ans, il se produit en concert, jouant ses
propres compositions.
Il choisira la voie de la perfection dans ses concerts à travers un
répertoire que certains jugeront limité : les romantiques allemands et
autrichiens, mais aussi, slave d'origine, il interprétera avec brio
Janacek
et
Bartok…
Radu Lupu
jouera les œuvres concertantes avec les plus grands orchestres et
maestros, de
Giulini
à
Seiji Ozawa.
Pour celles et ceux qui pensent que la musique classique repose sur la
répétition sans fin d'exécutions des mêmes œuvres d'artiste en artiste,
Radu Lupu
répondait avec malice et intelligence : "Tout le monde raconte la même histoire différemment, et cette
histoire devrait être racontée de manière irrésistible et spontanée.
Si ce n'est pas le cas, elle est sans valeur."
Un camouflet à l'académisme et au manque d'introspection dans
l'interprétation. Il jouait très concentré, sans esbroufe, assis sur une
simple chaise comme l'iconoclaste
Glen Gould
qu'il admirait. Et pourtant dieu sait si leurs styles semblaient
opposés…
Le style du jeu de Radu Lupu a donné lieu à une avalanche de superlatifs pendants toute sa carrière. Je cite un critique suisse : "Radu Lupu dispose d'une des palettes expressives les plus étendues qui soient. Souvent impressionnant de fougue et de vigueur, il est aussi poète et capable de pianissimos d'une incroyable finesse." (L'Express et Feuille d'Avis de Neuchâtel, 20 février 1975, p. 3.)
Fait rarissime, entre 1967 et 1970, il remporte trois
Premiers Grands Prix des concours les plus réputés : concours
Van Cliburn
aux États-Unis, en 1967, où la pianiste espagnole
Alicia de Larrocha, membre du jury, déclara "c’est un génie". Puis, en 1969, concours International de pianoforte de Leeds et
en 1970,
Lupu
est lauréat du premier prix du concours
Enesco, à Bucarest. Sa carrière sera couronnée en 2006 par le prix
Arturo Benedetti Michelangeli.
Comme certains artistes,
Radu Lupu
fréquentait peu les studios, estimant que les micros si bien placés
soient-ils ne peuvent restituer parfaitement les finesses du son et des
subtilités d'une interprétation. Ces gravures exclusivement pour
DECCA se limitent aux années 1970-1995 et montrent le désir de ne
jouer que les compositeurs favoris, une liste très classique :
Beethoven,
Brahms,
Debussy,
Franck,
Grieg,
Mozart,
Schubert,
Schumann. Un coffret de 28 CD a été réédité.
On notera l'absence de
Chopin
et de Liszt.
Radu Lupu
considérait-il que ces deux compositeurs favorisaient la virtuosité à la
profondeur émotionnelle ? Je l'ignore.
Malade depuis quelques années d'un cancer,
Radu Lupu
avait décidé de mettre fin à sa carrière après la saison 2018/2019.
Il vivait depuis à Lausanne.
Le poète du clavier au touché de velours, comme nous allons l'entendre
dans
Schubert et
Brahms
nous a quitté dimanche.
Odihnească-se în pace (Requiescat in pace en roumain).
~~~~~~~~~~~~~~~~~~
Pas de concertos ou de déflagrations du clavier ; Radu Lupu avait exploré la quintessence de certaines œuvres de Schubert et de Brahms pour tenter de percer le secret de l'âme des deux génies. Je vous propose l'écoute d'ouvrages en conséquence.
Impromptus D899 et D935 de Schubert
Radu Lupu et Renaud capuçon |
Le nom d'impromptus a été donné par l'éditeur des deux premières pièces,
Tobias Haslinger. Il s'agit de deux cycles de quatre pièces chacun
pour piano solo. Ils ont été écrits en 1827 par le compositeur,
l'année précédant sa mort.
Radu Lupu
a enregistré les deux séries des quatre
Impromptus
en 1983.
Nota : Le sublime et très connu (les mots sont faibles) Impromptu D899 N° 3 a été adapté par le compositeur américain Michael Nyman sous le nom d'Impromptu pour 12 doigts pour la B.O. de Bienvenue à Gattaca film de SF de haut de gamme de Andrew Niccol sorti en 1997 (Clic). On l'entend aussi dans le film Equals de 2015. La playlist comporte les deux séries et en complément l'adaptation par Michael Nyman.
D899 |
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D935 |
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Adaptation de Nyman de l'impromptu no 1 D899 pour la B.O. Bienvenue à Gattaca. |
6 Klavierstücke opus 118 de Brahms
Ces six charmantes pièces pour piano ont été composées par
Brahms
pendant l'été 1893 et dédicacées à son amie Clara Schumann. Avant - dernier ouvrage du compositeur publié de son vivant – Brahms
disparaîtra en 1897 – elles ne sont pas des divertissements à
proprement parler comme les intermezzos. Au crépuscule de sa vie, le
compositeur semble se détourner légèrement du néo-classicisme qui marque son
style pour une forme de romantisme plus introspectif. Les élans mêlant
élégie et sensualité de la première pièce en sont le témoignage.
Nota : les six pièces sont réunies dans une playlist. Le terme intermezzo utilisé dans les vidéos est une confusion fréquemment rencontrée ou plutôt un petit abus sémantique avec la dénomination de l'opus 117 et par le fait que quatre des pièces de l'opus 118 sont titrés intermezzo ; tout cela n'a guère d'importance…
Opus 118 |
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