lundi 2 mai 2022

RIP Radu LUPU (1945-2022) - SCHUBERT : Impromptus & BRAHMS : 6 Klavierstücke opus 118 – par Claude Toon


- Waouh Claude, quelle hécatombe chez les pianistes classiques, ce n'est plus un blog mais une rubrique nécrologique…
- Oui Sonia ! Nicholas Angelich le virtuose américain mort à 51 ans le 18 avril le même jour que le roumain Radu Lupu à qui je consacre cette chronique…
- J'avais entendu parlé de ce pianiste, même si il n'apparaissait pas encore dans le blog…
- Son décès – c'est hélas souvent le cas – me permet d'aborder deux charmantes œuvres du grand répertoire pianistiques : les impromptus D 899 de Schubert et les Klavierstücke (pièces, et non intermezzos comme je lis à droite à gauche), deux cycles qui devaient un jour ou l'autre faire la une d'un billet…   
- Hum, je me demande si écouter ces jolies musiques ne vaut pas tous les hommages dithyrambiques voire verbeux de la presse spécialisée… Je ne dis pas ça pour toi Claude… attention…  
- Ô mais je sais bien Sonia, et tu as tout à fait raison… concentrons-nous sur le jeu sans égal de Lupu dans ce répertoire qui ne justifie pas d'analyse pointue… 

Radu Lupu en 1970

En 1969, âgé de 24 ans, Radu Lupu ne portait pas encore cette barbe qui ne cessera de grandir jusqu'à le métamorphoser en vieux prophète…

Le virtuose était peu bavard, il refusa quasiment toute interview pendant plus de trente ans. Un artiste d'une discrétion et d'une probité absolue vis-à-vis des partitions toujours abordées avec un jeu d'une finesse inégalable, ce qui ne veut aucunement dire "impersonnelle", loin de là !

Radu Lupu voit le jour en 1945 en Roumanie, un pays qui nous a souvent donné de grands interprètes comme Clara Haskil ou Dinu Lipatti… Il commence ses études de piano dans son pays natal à l'âge de six ans à Bucarest et les achèvera chez le grand frère soviétique de Moscou au légendaire Conservatoire Tchaïkovski dans la classe de Heinrich Neuhaus, l'un des pédagogues russes les plus célèbres. Dès l'âge de 12 ans, il se produit en concert, jouant ses propres compositions.

Il choisira la voie de la perfection dans ses concerts à travers un répertoire que certains jugeront limité : les romantiques allemands et autrichiens, mais aussi, slave d'origine, il interprétera avec brio Janacek et BartokRadu Lupu jouera les œuvres concertantes avec les plus grands orchestres et maestros, de Giulini à Seiji Ozawa.

Pour celles et ceux qui pensent que la musique classique repose sur la répétition sans fin d'exécutions des mêmes œuvres d'artiste en artiste, Radu Lupu répondait avec malice et intelligence : "Tout le monde raconte la même histoire différemment, et cette histoire devrait être racontée de manière irrésistible et spontanée. Si ce n'est pas le cas, elle est sans valeur." Un camouflet à l'académisme et au manque d'introspection dans l'interprétation. Il jouait très concentré, sans esbroufe, assis sur une simple chaise comme l'iconoclaste Glen Gould qu'il admirait. Et pourtant dieu sait si leurs styles semblaient opposés…


Le style du jeu de Radu Lupu a donné lieu à une avalanche de superlatifs pendants toute sa carrière. Je cite un critique suisse : "Radu Lupu dispose d'une des palettes expressives les plus étendues qui soient. Souvent impressionnant de fougue et de vigueur, il est aussi poète et capable de pianissimos d'une incroyable finesse." (L'Express et Feuille d'Avis de Neuchâtel, 20 février 1975, p. 3.)

Fait rarissime, entre 1967 et 1970, il remporte trois Premiers Grands Prix des concours les plus réputés : concours Van Cliburn aux États-Unis, en 1967, où la pianiste espagnole Alicia de Larrocha, membre du jury, déclara "c’est un génie". Puis, en 1969, concours International de pianoforte de Leeds et en 1970, Lupu est lauréat du premier prix du concours Enesco, à Bucarest. Sa carrière sera couronnée en 2006 par le prix Arturo Benedetti Michelangeli.

Comme certains artistes, Radu Lupu fréquentait peu les studios, estimant que les micros si bien placés soient-ils ne peuvent restituer parfaitement les finesses du son et des subtilités d'une interprétation. Ces gravures exclusivement pour DECCA se limitent aux années 1970-1995 et montrent le désir de ne jouer que les compositeurs favoris, une liste très classique : Beethoven, Brahms, Debussy, Franck, Grieg, Mozart, Schubert, Schumann. Un coffret de 28 CD a été réédité.

On notera l'absence de Chopin et de Liszt. Radu Lupu considérait-il que ces deux compositeurs favorisaient la virtuosité à la profondeur émotionnelle ? Je l'ignore.

Malade depuis quelques années d'un cancer, Radu Lupu avait décidé de mettre fin à sa carrière après la saison 2018/2019. Il vivait depuis à Lausanne.

Le poète du clavier au touché de velours, comme nous allons l'entendre dans Schubert et Brahms nous a quitté dimanche.

Odihnească-se în pace (Requiescat in pace en roumain).

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Pas de concertos ou de déflagrations du clavier ; Radu Lupu avait exploré la quintessence de certaines œuvres de Schubert et de Brahms pour tenter de percer le secret de l'âme des deux génies. Je vous propose l'écoute d'ouvrages en conséquence.

 

Impromptus D899 et D935 de Schubert

Radu Lupu et Renaud capuçon

Le nom d'impromptus a été donné par l'éditeur des deux premières pièces, Tobias Haslinger. Il s'agit de deux cycles de quatre pièces chacun pour piano solo. Ils ont été écrits en 1827 par le compositeur, l'année précédant sa mort. Radu Lupu a enregistré les deux séries des quatre Impromptus en 1983.

Nota : Le sublime et très connu (les mots sont faibles) Impromptu D899 N° 3 a été adapté par le compositeur américain Michael Nyman sous le nom d'Impromptu pour 12 doigts pour la B.O. de Bienvenue à Gattaca film de SF de haut de gamme de Andrew Niccol sorti en 1997 (Clic). On l'entend aussi dans le film Equals de 2015. La playlist comporte les deux séries et en complément l'adaptation par Michael Nyman.

D899

  1. [00:00] Impromptu no 1 en ut mineur (Allegro molto moderato)
  2. [10:35] Impromptu no 2 en mi bémol majeur (Allegro)
  3. [15:12] Impromptu no 3 en sol bémol majeur (Andante)
  4. [21:40] Impromptu no 4 en la bémol majeur (Allegretto)

D935

  1. [00:00] Impromptu no 1 en fa mineur (Allegro moderato)
  2. [10:01] Impromptu no 2 en la bémol majeur (Allegretto)
  3. [17:26] Impromptu no 3 en si bémol majeur « Rosamunde » (Andante)
  4. [19:04] Impromptu no 4 en fa mineur (Allegro scherzando)

Adaptation de Nyman de l'impromptu no 1 D899 pour la B.O. Bienvenue à Gattaca.

 

6 Klavierstücke opus 118 de Brahms

Ces six charmantes pièces pour piano ont été composées par Brahms pendant l'été 1893 et dédicacées à son amie Clara Schumann. Avant - dernier ouvrage du compositeur publié de son vivant – Brahms disparaîtra en 1897 – elles ne sont pas des divertissements à proprement parler comme les intermezzos. Au crépuscule de sa vie, le compositeur semble se détourner légèrement du néo-classicisme qui marque son style pour une forme de romantisme plus introspectif. Les élans mêlant élégie et sensualité de la première pièce en sont le témoignage.

Nota : les six pièces sont réunies dans une playlist. Le terme intermezzo utilisé dans les vidéos est une confusion fréquemment rencontrée ou plutôt un petit abus sémantique avec la dénomination de l'opus 117 et par le fait que quatre des pièces de l'opus 118 sont titrés intermezzo ; tout cela n'a guère d'importance…

Opus 118

  1. Intermezzo (allegro non assai)
  2. Intermezzo (andante teneramente)
  3. Balade (allegro energico)
  4. Intermezzo (allegretto un poco agitato)
  5. Romance (andante)
  6. Intermezzo (Andante, largo e mesto)

 

 

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