Waouh ! Et dire qu’il s’agit d’un premier film. Une telle maîtrise laisse pantois. Andrew Niccol s’est fait connaître en écrivant le scénario de THE TRUMAN SHOW (Peter Weir, 1998), y’a pire comme carte de visite. Dans la foulée il écrit et réalise ce BIENVENUE A GATTACA, qui sortira finalement avant le film de Peter Weir. On retrouve entre les deux projets une thématique semblable, société uniformisée, sur écoute, paranoïa, l'humain broyé. Niccol réalisera par la suite SIMONE (2002), le sensationnel et très cynique LORD OF WAR (2005), un bon film de S.F. TIME OUT (2011), et je n’ai pas vu les autres…
Nous sommes dans un futur
proche. Proche, parce que les voitures, dont une DS Citroën customisée,
roulent encore sur l'asphalte, et ne volent pas comme dans BLADE RUNNER. Le narrateur (Ethan
Hawke) se présente comme étant Jérôme Morrow, ingénieur chez Gattaca, une entreprise d’aéronautique. Les employés
y sont contrôlés aux portillons d’entrée en posant l’index sur un capteur muni
d’une aiguille qui les pique au sang : on analyse l'hémoglobine, vert t'es apte, rouge tu dégages. Les DRH 2.0.
Le générique nous avait montré l'étrange cérémonial de Jérôme avant de partir au boulot : se râper rageusement les peaux mortes sous la douche, s’affubler d’une fausse phalange imbibée de sang, et s'attacher une jarretelle maintenant une poche d’urine.
Des préparatifs ritualisés que l'on comprendra plus tard. Ce début de film intrigue. A Gattaca, on contrôle aussi les urines des salariés, comme les coureurs du Tour de France, mais avant l’étape. Le médecin, qui voit passer de la quéquette toute la journée et s'en accommode visiblement très bien, dira à Jérôme : « quand on est droitier, on ne la tient pas de la main gauche… ». Indice révélateur ?
La voix-off s’achève sur ces
mots : « … je ne suis pas Jérôme Morrow ». Bah alors t'es qui ? On rembobine. Flash-back. Jérôme s’appelle en réalité Vincent Freeman (homme libre),
un enfant né du "hasard". Entendez par là, sans interaction scientifique : papa, maman et le bon vieux missionnaire. A sa naissance les médecins détermineront que l'espérance de vie de Vincent sera de 32 ans. Peut mieux faire. Pour leur second marmot, les parents opteront pour une conception scientifique, sélection des gamètes, insémination. Anton Freeman voit le
jour, (Anton comme antinomique ?) génétiquement parfait, les deux frères redoublant de compétition pour mesurer leurs endurances.
Tout petit Vincent rêve
d’aller dans l’espace, d’intégrer la firme aéronautique Gattaca, le film est
rythmé par des plans de fusées qui décollent à l'horizon. Mais son capital
génétique ne lui offre qu’un boulot d’homme de ménage dans l’entreprise. Son
chef, le vieux Caesar, est joué par le vétéran Ernest Borginne, c'est toujours un bonheur de croiser sa bouille.
Pour être admis comme ingénieur, Vincent doit tricher, détourner les contrôles. Il a recours au marché noir, au trafic d’identité, il devient donc Jérôme Morrow (Jude Law) un dépressif, suicidaire, mais doté d'un ADN de compétition. Échange de bons procédés, Jérôme dira un Vincent : « Je t’ai prêté mon corps, tu m’as offert tes rêves ».
BIENVENUE A GATTACA est une réflexion sur l’eugénisme, la sélection (pas) naturelle des êtres humains. Doctrine du scientifique Francis Galton dérivée des lois de Darwin, que les nazis mettront à profit dans leur concept fumeux de race supérieure. Il y a les « valides » qui peuvent postuler aux plus hautes fonctions, et les « in-valides ». On remarquera l’ironie dans le double sens du mot. Si Jérôme Morrow a été par le passé génétiquement testé comme « valide » il est aujourd’hui en fauteuil roulant. On saura pourquoi, et que la génétique ne se préoccupe pas de psychologie, d’éducation, le facteur humain ne rentre pas en ligne de compte.
C’est un film de SF qu’on a du mal à dater. La plupart des scènes ont été tournées au Centre Municipal de Marin (Californie) une bâtisse conçue par l’architecte Frank Lloyd Wright, superbe décor futuriste habilement cadré par Niccol, entrelacs géométriques sans âme, on se croirait sur une autre planète, impression renforcée par l'utilisation de filtres ocres, jaunes, comme si l'atmosphère était constituée de souffre. Andrew Niccol pallie le manque de budget par une invention visuelle et graphique. Les personnages sont des clones uniformes cintrés dans les mêmes costards, des visages en cire, figés, les relations sont aseptisées. On pense au 1984 d’Orwell, aux romans de Philip K. Dick.
Il y a une très belle scène entre sa collègue Irène, Uma Thurman le chignon impeccable, stricte, froide comme la glace des pôles, et Vincent. Ils flirtent, mais avant de s’autoriser à s’offrir à lui, elle s’arrache un cheveu et lui donne à analyser. Si naguère on vérifiait la virginité d’une femme avant de l’épouser, puis un test HIV avant de tirer sa crampe, aujourd’hui un test covid avant de se claquer une bise, à Gattaca on vérifie le patrimoine génétique avant d’entamer une relation. Or, Vincent laisse tomber le cheveu, qui s’envole…
Puis le film vire au polar. Le directeur de la mission Titan est retrouvé assassiné. Andrew Niccol connaît ses classiques du Film Noir. Le détective Hugo (génial Alan Arkin) endosse imper et borsalino. A une soirée concert, où le pianiste génétiquement modifié possède douze doigts pour mieux jouer du Chopin, Irène apparaît en robe fourreau, glamour, cheveux défaits en cascade, comme une Rita Hayworth du futur, ou une Jessica Rabbit, ce qui revient au même. Influence aussi du Film Noir lors d’une scène de poursuite, Niccol joue sur les éclairages, les ruelles sombres, les ombres reportées, striées.
Les enquêteurs pensent avoir identifié un suspect, mais la base de données indique que cet ancien employé, un certain Vincent Freeman, est répertorié comme « in-valide », et mathématiquement déjà mort. Ce qui complique les investigations… A partir de là, le film distille un suspens méthodique, froid. Un jeu de chat et de souris entre les enquêteurs (je vous laisse la surprise au sujet du deuxième inspecteur) et le trio Irène / Vincent / Jérôme. Très belle scène, tendue, où Jérôme grimpe à la force des bras l’escalier en colimaçon de son appartement, dont la forme reproduit justement celle d’une boucle d’ADN.
Le scénario est très habilement écrit, riche en rebondissements. Du dégraissé sur l’os, pas un poil qui rebique. Récit froid et clinique, on entre dans l’histoire par étape, chaque élément s’imbrique, l’intérêt augmente à mesure que l’intrigue avance. La rivalité des deux frères refait surface, concours de natation dans l’océan (superbes images sous-marines et nocturnes) et cette réplique de Vincent à son frère : « ta réussite passe par mon échec ? ».
Un film intelligent, étrange et addictif. Les ingrédients sont habilement dosés, Niccol écrit sur un thème universel, passionnant, qu'il enrobe habillement de références au polar. L'interprétation est raccord, les acteurs jouent à minima, en retrait, comme derrière un masque, ce qui rend la relation entre Vincent et Irène plus émouvante encore. Aucun lyrisme, aucune niaiserie, un thriller d'anticipation à l'ADN quasi parfait.
couleur - 1h45 - format scope 2:35
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