mercredi 4 mai 2022

FRIJID PINK " First - Same " (1970), by Bruno



     Ouais, Détroit... Detroit Rock City comme la nommaient les autres peinturlurés. Bien que cette ville, auparavant fleuron de l'industrie automobile, soit aussi le berceau d'une certaine et lucrative Soul Music, via le célèbre label Tamla Motown, elle a longtemps été synonyme de groupes Rock irradiant d'électricité. Faisant trembler les murs à l'aide d'un arsenal d'amplis brutalisés et de batteries char d'assaut. Mais aussi d'un public exigeant, qui n'hésitait à faire entendre bruyamment sa désapprobation si la prestation donnée n'était pas à son goût ou si le groupe ne daignait pas mouiller sa chemise (tant dans le Rock que la Soul ou le Rhythm'n'blues). Majoritairement issu du prolétariat, au mieux de la middle class, il n'était pas question de se faire rouler dans la farine après une semaine éreintante de boulot. D'autant plus après avoir dépensé quelques dollars durement acquis (même si, à l'époque, les places de concerts aux USA n'étaient pas chères). A l'inverse, une fois convaincu, séduit, il était considéré comme l'un des publics les plus fidèles et chaleureux des USA.


     Bon, ben, sinon... on tergiverse, et on perd le fil... Bon, oui, la cité avait ainsi la réputation d'engendrer de solides groupes, fervents amateurs d'électricité et de décibels, appréhendant un concert autant comme une épreuve de force qu'une communion avec le public. Véritable fête païenne communiant avec les forces invisibles, véritable défouloir. C'est que tous ont été forgés à cette dure école locale. En évoquant Detroit, on pense irrémédiablement aux Amboy Fukes, MC5, Stooges, Mitch Ryder, Frost, Bob Seger, Nugent, Alice Cooper, Brownsville Station, Grand Funk Railroad, mais l'on oublie Frijid Pink qui en fut pourtant l'un de ses acteurs. Et un sérieux, dans le domaine du "plus c'est fort, plus c'est bon".

     L'aventure Frijid Pink débute en 1967 (se nourrissant de la carcasse d'un groupe de lycée agonisant, Detroit Wibrations, pour passer à l'âge adulte), à Allen Park, récente petite ville devenue une banlieue de Détroit, lorsque des potes décident de monter un groupe pour rejoindre la scène locale déjà florissante. Ainsi, le chanteur Kelly Green (de son vrai nom Thomas Beaudry), le guitariste Gary Ray Thompson, le batteur Richard Stevers et le bassiste Tom Harris s'entendent pour partir écumer les clubs. Pendant deux années, le groupe s'escrime à tourner autant que possible, dès que l'occasion se présente. A Détroit et dans ses vastes banlieues bien sûr, mais aussi dans l'état du Michigan, en particulier dans la partie sud, où se recentre une grande partie de l'industrie et donc de la masse ouvrière. 
 

   Ce n'est qu'en 1969 que la formation a l'opportunité d'enregistrer un premier 45 tours. Les deux premiers essais n'ont guère de succès (malgré tout de même une petite percée au Canada du 1er, "Tell Me Why""), au contraire du troisième qui fait carrément un carton aux USA, s'immisçant dans le top 10 des charts (une première pour un groupe Rock de Detroit) et engendrant quelques passages télévisés. Il parvient même à se faufiler dans quelques pays d'Europe, dont une entrée remarquable au Royaume-Uni. Pourtant, ce troisième single, bien loin de la démarche purement commerciale, est arrivé par accident. Précisément, d'après le témoignage de Stevers, 
elle n'aurait été enregistrée que pour combler le temps restant sur le studio que le groupe avait réservé pour enregistrer quelques démos. C'est une chanson que reprenait déjà le groupe en concert pour étoffer leur répertoire. Puis, c'est sous le conseil avisé d'un directeur de radio locale - la première Rock de Detroit -, que le groupe la présente à leur label (Parrot Records) pour en faire un nouveau single.
La chanson, c'est "House of The Rising Sun", dans une version se basant sur celle des Animals (bien que dans une mesure légèrement différente) qui, largement saturée de fuzz crépitante, ponctuée de wah-wah , et dynamisée par un chant désespéré de dément, rentre dans le giron d'un proto-hard.
Sorti en décembre 1969, le 45 tours fait son chemin et en mai 1970, il est sacré disque d'or aux USA avec plus d'un million de ventes. Le succès traverse donc l'Atlantique et s'installe crânement dans les top 10 et 5 de divers pays d'Europe. Sauf en France, où cela risquait faire de l'ombre au Johnny national. Premier en Allemagne et en Norvège, deuxième en Suisse et en Pologne. Il est vrai qu'avec celles des Animal et de Leslie West, elle se place parmi les meilleures reprises ; pourvu que l'on apprécie l'électricité.


   Ce fulgurant et inattendu succès réveille les cadres de la maison de disques, Parrot Records qui s'empressent de réunir les bandes et de sortir un album - un peu dans la précipitation. Le disque a d'ailleurs, au détriment de la basse, bien moins le goût d'un travail chiadé de studio que celui d'une bonne démo. Ce qui finalement ne l'entache pas vraiment et participe à son charme. 
Ombragé par le succès phénoménal du single, qui occulte les autres pièces, ce premier essai est considéré depuis longtemps comme un classique de la scène de Detroit d'antan, voire du hard-rock début des seventies. Ceci dit, bien qu'il ait le cul entre deux chaises, n'osant pas s'immerger totalement dans les eaux jeunes et bouillantes du hard-rock, la musique traînant encore quelques scories du psychédélisme et de Pop (certains enregistrements datent de 1969). Le groupe, avec "I'm on My Way", se fend même d'un Rock'n'roll de bonne tenue mais qui ébranle un peu l'ensemble. 

     Frijid Pink, c'est tout de même un batteur passablement énervé, qui semble parfois vouloir mener la danse tout en martyrisant son kit de batterie, tel un bon disciple de Ginger Baker. C'est aussi un chanteur à la voix chaleureuse, autant à l'aise dans le Blues que le Rock'n'roll - et forcément donc dans ce hard-rock à peine enfanté qu'il, déjà, se métamorphose en une monstrueuse entité protéiforme avide d'expansion. C'est un guitariste pas toujours finaud, se reposant plus sur la puissance de ses amplis et la saturation que sur la technique, dégueulassant son jeu par une volumineuse fuzz (plutôt Tone Bender que Fuzz face) ; ça dérape un peu lorsqu'il se lâche dans des soli quelques peu boiteux mais il s'y entend pour envoyer du bois. Et mettre la patate aux moments opportuns pour une sensation de souffle chaud et puissant. Une guitare au bord de la rupture - une écoute au casque dévoile parfois quelques sifflements et larsens maîtrisés in extrémis avant décrochage. Et un bassiste qui s'échine sur son instrument pour essayer d'assouplir cette musique brute de décoffrage, se donnant bien du mal pour se faire entendre derrière le barouf généré par les deux autres sauvageons. 


   Ainsi donc, derrière la reprise violentée de "House of the Rising Sun", se placent quelques exquis et charmants petits bijoux artisanaux. A commencer par le 1er single, "God Gave Me You", une chanson Pop typée sixties à la sauce proto-hard, enjolivée de discrètes nappes d'orgue, extirpée du champ de la ballade appuyée par le chant de Kelly Green, ici irradiant de Soul.
L'entraînant "Drivin' Blues", véritable reflet sonique du rythme des cadences éreintantes et abrutissantes des chaînes de montage, où Green ponctue ses couplets par de cinglants traits d'harmonica. Piqué au vif, Thompson envoie l'un de ses meilleurs soli. Et puis "End of The Line", qui, entraînée par une batterie en mode berserker, épouse la cause d'une sourde violence musicale, fusion improbable d'un Deep-Purple millésime 70 avec les Stooges et le Slade version "Alive !". D'ailleurs, le délicieux final, authentique catharsis sonique semble être du même sang que la version brutalisée de "Born to be Wild" donnée sur "Slade Alive !". Pratiquement enchaînée à cette version hallucinée et rageuse de "House of the Rising Sun", ce qui en fait un sublime duo gagnant, à graver dans le marbre du panthéon du Hard-rock 70's.

   Bien qu'affublée de moins d'éclats, mais non dénuée d'intérêt, la sombre sauvagerie de "I Want to Be Your Lover" interpelle ; même si l'on sent ici l'influence prégnante du MC5, notamment avec Green qui tente de se fondre dans la personnalité de Rob Tyner. Toutefois, on pense aussi à la bestialité des Australiens de Coloured Balls et de The Aztecs. Et pour continuer avec les références des antipodes, l'indécente brutalité de "Tell Me Why", comme enregistré dans un état d'ébriété prononcée, avec Thompson qui ponctue son riff primaire de bends pachydermiques et de licks à l'arrache, le tout copieusement distordu par une fuzz tout à donf, et Stevers qui s'acharne tel un brillant forcené sur sa batterie, anticipant de plus de deux ans les deux premiers essais des fatigués de Buffalo
 
   Un peu dans son coin, "Crying Shame", probablement placé en second pour sa forte ascendance Creamienne, ne parvient pas par contre à convaincre. Final sur un slow-blues au format classique, entre Led Zep et Savoy-Brown.

   Pour de nombreux amateurs de heavy-rock seventies, c'est un classique, généralement couplé avec le suivant, "Defrosted", paru la même année. Entre ses deux albums, Frijid Pink enregistre une version granitique de "Heartbreak Hotel", en espérant renouer avec le succès  de "House of the Rising Sun" sans y parvenir. Puis un "Music for People" digne d'une comédie musicale comme "Hair". Toutefois, sa meilleure œuvre est le quatrième single, "Sing a Song For Me". Doté d'une production à peine plus travaillée, elle fait l'effet d'une locomotive autoritaire, délivrant dans son sillage de fureur métallique l'espoir d'une proche liberté. Work song des temps modernes. 

     En 1972, Kelly Green et Gary Thompson étant partis, Frijid Pink présente une nouvelle mouture. La nouvelle galette propose alors une musique à la fois plus élaborée et plus carrée, franchement hard-rock. Mais l'absence de Green-Beaudry et de Thompson fait cruellement défaut. Ce n'est plus le même groupe, qui désormais dénué d'ingrédients bluesy et soul, verse dans un Hard-rock plus raide et froid. C'est pourquoi c'est bien la première mouture qui a été intronisée au Rock and Roll Legends Hall of Fame du Michigan.




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