Voilà des années que le petit Robert Clark Seger a gagné ses galons dans son Michigan natal. Plus particulièrement au sein de la fiévreuse scène de Detroit, où les concerts se devaient d'être plus bruyants que les usines de montages environnantes, et plus chauds que les fonderies.
Voilà des années que Bob Seger était l'un des plus forts espoirs Rock de la Motor City. Voilà une poignée d'années que, probablement à force de voir ses pairs partir à l'assaut de l'Amérique pour embrasser l'engouement d'un nouveau public, Bob tâte de divers styles – sans jamais cesser de s'abreuver à sa source rock'n'rollienne.
Et puis voilà qu'en 1972, comme si c'était une dernière salve d'honneur, le dernier espoir avant d'abdiquer, Bob revient aux fondamentaux. Sage décision car cet opus, baptisé « Smokin' O.P.'S » - avec sa fameuse pochette immédiatement reconnaissable, s'inspirant des paquets de Lucky Strike – va faire date. Bien que son premier disque de 1969, « Ramblin' Gamblin' Man », alors avec le Bob Seger System, avait déjà réussi à faire une bien honorable entrée dans les charts, c'est avec ce « Smokin' O.P.'S » qu'il entame l'ascension vers une notoriété nationale qui va en faire l'un des héros des USA.
Pourtant, on ne peut pas dire qu'ici Bob et ses comparses se soient foulés. Aucune prise de risques. Sur seulement neuf pièces, seules deux sont de la plume de Seger. Placées pour clôturer le chapitre. Un choix de placement relevant une perte de confiance en soi, ou au contraire pour finir en beauté ? Le reste étant des reprises bien choisies, avec notamment une première qui semble un peu ratisser large dans l'espoir de ramasser plus de poissons.
Des reprises, seul « Jesse James » n'est pas encore un hit éculé, connu de tous dans une version ou une autre. Pourtant, il a été gravé pour la première fois dans la cire au début des années vingt (1924 ?), et plus tard Pete Seeger et Woody Guthrie l'inclurent à leur répertoire. Issu du folklore du XIXième siècle, la chanson conte succinctement les aventures de Jesse James, le présentant comme l'ami des pauvres, volant aux riches et donnant aux pauvres, un braqueur gentleman qui ne ferait jamais de mal à une femme ou un enfant. Ainsi que Robert Ford, le jeune homme qui tua Jesse James d'une balle dans le dos, alors que ce dernier l'avait accueilli et lui avait offert toute sa confiance. Alors que la chanson était jusqu'alors réservée à un répertoire Country, Seger en fait un Rock'n'roll galopant, vaguement Southern. Un lointain rapprochement avec la firme Ford ?
Mais avant ça, il y a sept autres chansons. Des reprises, certes, mais Bob et sa troupe s'entendent pour y mettre le feu, pour y injecter une rage de prolétaires écrasés par un capitalisme vorace et sans âme, leur faisant croire que s'ils bossent suffisamment, jusqu'à épuisement – nerveux ou physique -, peut -être qu'ils auront droit à quelques miettes. Pour en faire une catharsis libératrice de tensions qui étreignaient dans un étau le cœur et les saines passions.
Le classique – bientôt rabâché - « Bo Diddley » d'Ellas McDaniel (aka Bo Diddley) surgit sur un rugissement d'orgue annonçant l'arrivée d'un nouveau prophète. La guitare est dure, rappeuse, saturée de fuzz souffreteuse, dévidant inlassablement son riff vaudou, tandis que derrière, la batterie de David Teegarden (le fondateur des studios du même nom à Tulsa) déballe des patterns endiablés et hypnotiques. Skip Knape déroule une basse lourde et groovy, entre funk et rock, en droite ligne de celle de Nick St. Nicholas de Steppenwolf. Certainement pure coïncidence, mais l'orgue, également assuré par Knape, évoque aussi celui du Loup des Steppes, Goldy Mc John.
La suite avec « Love The One You're With » semble ne pas changer de cap. L'excellente composition de Stephen Stills, sortie seulement l'année précédente (son premier effort solo), avec un hit à la clef, prend ici une belle décharge électrique, faisant passer l'originale pour une pâle copie californienne. Bob a la bonne idée de se faire seconder par un duo de puissantes choristes qui propulse la chanson dans une fournaise de Soul. Probablement la meilleure version.
Toujours peur de rien, on s'attaque alors à la scie « If I Were a Carpenter » de Tim Hardin. Là encore, la petite troupe n'a aucun a priori à lâcher les watts et à légèrement accélérer le tempo. La guitare se fait plus discrète, laissant sa place à la basse ronronnante et à un orgue comme épris d'hallucinations divines.
La première face se referme sur « Hummin' Bird » de Leon Russell, popularisé par B.B. King, quelques mois seulement après la sortie de l'original par son auteur. Prétexte pour démontrer que Bob est également à son aise dans la Blue-eyed soul qui laisse transparaître les fêlures de sa voix éraillée. Dans la même veine que Joe Cocker, avec une voix cassée, usée par les clopes et les tords boyaux, au bord de la rupture, elle s'exprime comme s'il s'agissait d'une douloureuse expérience personnelle, faisant remonter un flots d'émotions submergeant le palpitant et ouvrant les vannes des canaux lacrymaux. Knape s'y révèle bon pianiste, reprenant avec classe le style de Leon Russell.
La seconde face s'ouvre sur du pur Rock'n'roll avec « Let It Rock » de Chuck Berry ; ça déroule tranquillement, comme une jam entre Status Quo et Alvin Lee, Bob mettant un peu de piment sur la fin.
Le quatuor dépoussière « Turn On Your Love Lights », dont le premier enregistrement est attribué à Solomon Burke, bien que ce serait plutôt à Clarence « Gatemouth » Brown que reviendrait cet honneur, à l'époque de son engagement chez Peacock, dont le boss n'était autre que Deadric Malone (Don Deadric Robey), l'auteur de cette chanson. Et non, ce n'est pas une chanson des Blues Brothers (qui a dû bien s'inspirer de la version de Bob, tout comme Solomon lors de son retour tardif et inespéré). Sur cette version pour le moins trépidante, l'orgue dévoile ses attributs épiscopaux dans un élan hérétique, tandis que les percussions se font un brin latines, échappées d'une fanfare de New-Orleans. Là, on pourrait croire que le chant possédé de Bob a été inspiré par celui d'un jeune anglais qui va très prochainement faire un malheur en Amérique, Lonesome Dave Peverett. Un temps, cette version fut utilisée par les hôpitaux de fortune de l'armée US, pour ses multiples bases éparpillées sur la planète : administrée aux blessés moribonds pour évaluer leur état. Si aucun des membres ne battaient la mesure, ou si la figure émaciée n'esquissait pas le moindre signe de contentement, la pauvre victime était reléguée aux cas désespérés. Sans réaction d'aucune sorte à cette chanson, le diagnostique tombait : Inutile de perdre son temps avec un pauvre hère probablement déjà prêt à rendre l'âme.
Ainsi donc, Bob Seger et ses acolytes ont gravé sept reprises, où ils y ont mis tout leur cœur et leur énergie, prolongeant la vigueur torride de la scène de Detroit. La partie semble gagnée. Mais les dernières cartes ne sont pas encore tirées, et Bob sort de sa manche deux as. A commencer par « Someday », sobre slow introspectif, où seul un piano soutient le chant meurtri de Bob, avant d'être rejoint par quelques discrets violons. Bob dévoile en quelques phrases ses espoirs ; des espoirs au goût rance de désillusions, de doux rêves paraissant jadis si proches et pourtant jamais atteints. « Un jour, je sais que je trouverai cette route, et je rembourserai tout ce que je dois. Un jour. D'une manière ou d'une autre, je supporterai cette lourde charge. Je sais, je n'ai jamais été le meilleur...mais un jour, tu verras que j'ai atteint cette crête, un jour... Et le monde saura, vous et moi. Jusque là, malgré que tout ce que j'ai fait, je continuerai de tenter d'atteindre le soleil. Et un jour, nous serons numéro un. Un jour ».
Cela aurait pu être le final, mais Bob et sa troupe ne voulant pas fermer le rideau sur la seule pièce sombre, irradiant regret et spleen, ils reviennent à la charge pour un final en apothéose. « Heavy Music » vole la vedette à la tripotée de classiques précédents. Une pièce sauvée de ses premiers enregistrements, antérieurs au premier album de 1969, de l'époque de The Last Heard. Histoire de mettre les points sur les « i », de remettre les choses en ordre. Bob Seger était déjà dans la place en 66-67, et pouvait déjà, du haut de ses vingt-et-un balais, pondre quelques petits joyaux. « Heavy Music » en est un. Simple ode à la musique lourde de Detroit, d'une jeunesse trouvant dans cette forme d'expression un exutoire salvateur. Un alliage fait de Rhythm'n'blues nerveux et de Soul endiablée d'un Wilson Pickett ou d'un Redding, combinés à la fougue d'une jeunesse impatiente de faire voler en éclats quelques carcans encore résistants « Je parle de musique, musique lourde. Laisse-moi entendre Detroit – Michigan – faire du bruit ! ».
Le disque s'avale d'une traite, les trente-cinq petites minutes sont suffisamment intenses pour étancher la soif, mais les gourmands, - ou les soiffards – n'ont de cesse d'en redemander. Cette galette est comme une pure émanation de Rock'n'roll baigné de Soul. L'énergie et la qualité des interprétations ne laissent pas indifférent, permettant à Seger de repartir de plus belle jusqu'à devenir une icône des États-Unis. C'est le début des années magiques jusqu'à l'apothéose que représentent les deux live successifs, avec le Silver Bullet : « Live Bullet » de 1976 et « Nine Tonight » de 1981. Par la suite, malgré des sorties d'albums plus espacées, et des disques plus inégaux, Bob Seger reste une figure indéboulonnable du patrimoine musicale des États-Unis.
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Mon premier Bob Seger, ce Smokin' OP's, à un âge où chaque découverte fait date. Il m'a pas lâché depuis. La version de Bo Diddley, c'est du super heavy heavy funk comme dirait James. Ses albums sont monstrueux jusqu'à Beautiful loser, après il cherche à placer ses billes dans le sillage du succès de Springsteen et du coup la production devient un brin trop clean. Bon, je vais pas cracher sur Against the wind, je l'ai usé jusqu'à l'os, mais quand même, Back in 72 c'était une toute autre histoire.
RépondreSupprimerJ'aime beaucoup "Seven" (titre d'album qui fait dire à Bob qu'il n'y a pas vraiment de différence entre le Bob Seger System et sa carrière solo )
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