A l'époque où le Blues avait la côte, au moment où New-York s'enorgueillissait de sa scène Blues – même si nombreux sont ceux qui pensent que ces New-Yorkais étaient bien moins des bluesmen que des rockers -, il y avait un petit bonhomme qui ne payait pas de mine, et qui pourtant envoyait du lourd.
En le croisant dans la rue, jamais on ne croirait que ce petit homme, très mince, sempiternellement affublé d'une casquette ou d'un galurin, habillé le plus simplement du monde, à la modeste allure de gratte papier accablé, est un sérieux guitariste. De ceux aptes à extirper d'une Stratocaster d'épais flots de lave ou de lui faire cracher de brûlants torrents boueux de notes faisant fondre le bitume.
avec un copain, Johnny Winter |
Cela faisait des années que Steve Johnson jouait le soir dans les clubs de la grosse pomme et de ses proches environs, avant de voir débarquer quelqu'un avec un contrat sous le bras. Son amour du Blues l'avait incité à quitter la ville de son enfance (a), Los Angeles, à vingt-sept ans, en 1982. Départ impératif si l'on voulait jouer le Blues car à ce moment là, L.A. n'avait d'yeux que pour le Hard-rock et le Heavy-metal. Il part tenter sa chance dans le Michigan qui comptait alors encore un bon nombre de clubs où le Blues avait une bonne place. C'est là qu'il fait la connaissance, jouant parfois avec, Albert Collins, Johnny Winter, Luther Allison et Duke Robillard. Cependant, supportant mal le froid, il descend sur New-York. Pour subvenir à ses besoins, il doit conjuguer passion et travail, jouant la nuit, bossant le jour. Pour une bonne partie de ses pairs, le rythme s'avère éreintant pour des retombées financières parfois insuffisantes. Ce qui n'est pas le cas de Johnson qui parvient à assurer ses arrières en mettant à profit ses sérieuses notions de lutherie, proposant ses services pour l'entretien et la réparation de guitares. Finalement, à défaut de notoriété, de success story, Steve s'estime bien s'en tirer, qu'il n'a pas vraiment de raison de se plaindre ; surtout quand d'autres musiciens ont parfois du mal à joindre les deux bouts. Sachant que ce n'est pas en s'engageant dans le Blues que l'on emprunte le meilleur chemin pour accéder à la gloire et l'opulence.
A ses débuts à New-York, il joue au sein d'un power-trio, The Tanks, avec lequel il sort trois disques à jamais perdus.
Steve Johnson ne joue pas du pur Blues, loin de là ; l'essence de ses trois premiers disques, bien que foncièrement Blues, penche vers le Heavy-blues. Pas autant que le Little Ol' band from Texas, mais bien suffisamment pour horrifier les puristes. D'ailleurs si la rythmique est foncièrement Blues, les soli semblent plutôt échappés du Hard-blues et sortent parfois de la pentatonique mineure. Il forge d'ailleurs son jeu autant à l'écoute des Bluesmen américains que celui de Peter Green, d'Eric Clapton, et... de Wishbone Ash. Ainsi qu'en se plongeant dans la musique de jazzmen tels que Kenny Burrell et Wes Montgomery. Au niveau de la slide, il dit avoir puisé chez l'incontournable Elmore James, ainsi que chez Duane Allman, Billy Gibbons et Ry Cooder.
Son Blues est particulièrement graisseux et épais. Évidemment, c'est sans aucune mesure avec le Stoner, encore moins avec le Doom, mais dans la catégorie Blues, il faut remonter aux deux premiers ZZ-Top pour retrouver un son aussi lourd dans l'idiome des douze-mesures. Il se délecte tant des tonalités graves que c'est à croire qu'il a déconnecté le micro chevalet, ou alors que le circuit des aigus de son ampli est boudé, ou défectueux.
Si la Fender Stratocaster demeure sa guitare de prédilection, avec une préférence pour une de 1966 équipée de micros Danelectro (celle de l'album "Blue Guitar"), il peut à l'occasion dégainer quelques Gibson Les Paul, ainsi qu'une Flying V accordée en La et une ES335 en Sol. Au sujet des Stratocaster, Johnson a l'irrépressible manie de les soumettre à des modifications et des relookages. Certaines étant même affublées d'une nouvelle robe, d'une fausse fourrure de félin ou de bovin. Celle des présentes photographies a carrément été trouée de part en part 😳😲.
En 1994, il remporte le prix « Ultimate Guitar » dans la catégorie Blues, d'un concours organisé par la revue Guitar Player. Ce qui éveille la curiosité du label New Risin' Blues – distribué ou absorbé par Virgin – qui va voir sur place se faire sa propre opinion. Convaincu, le label lui offre un contrat pour trois albums. Il en sortira cinq sur ce label. Par contre, ses disques précédents, avec The Tanks ou Nuts and Bolt ne seront jamais réédités.
De prime abord, ce premier album semble bien bourrin, notamment avec « Angry Woman Blues » qui ouvre la bal sur un boogie chaud-bouillant tout droit sorti d'un ZZ-Top live des 70's avec des soli en roues libres. Le conventionnalisme de la chanson suivante, un slow-blues entre B.B. King et ZZ-Top, ne change pas la donne. Ni même le funky « Katie », avec sa slide poisseuse – à croire qu'à l'instar d'un Gibbons, il couple des effets de fuzz et d'overdrive pour donner du gras. La voix naturellement graveleuse de fumeur invétéré de Johnson, au ton nonchalant et désabusé, parfois très légèrement en retrait par rapport à sa six-cordes, participe à cette impression. Néanmoins, en dépit d'un excès de calories, ça demeure goûteux et digeste. La très bonne section rythmique, « Nuts & Bolts », tempère en injectant swing et groove, donnant un peu de souplesse (allégeant 😊) à ces mets bien riches.
Cependant, ce « Back To Memphis » n'a rien du skeud de Blues-rock fonçant tête baissée, surchargé de soli en tout genres et grevé de tics, régurgitant des recettes éculées à travers un mur de Marshall. Ce premier jet se révèle bien intéressant, et si le trio se conforte dans une tonalité assez précise, il sait varier les plaisirs.
Ainsi, « Out In the Cold » se trémousse sur un rythme funky-blues à la Albert Collins, barré de chorus à la B.B. King, branchés dans une overdrive crémeuse. On retrouve aussi l'élément B.B. King passé à la moulinette Boogie-heavy-blues sur « Think It Over ».
Quelques pièces taquinent le Hard-blues. « Old & Tired », le lourdaud « Black Crow » à peine aéré par une talk-box éraillée, et « New Tunes Blues », sorte d'AC/DC où une slide chargée de cambouis aurait évincée Angus. Il émerge même quelques scories typés Robin Trower sur « Cadillac Blues » ; pièce un peu poussive sur les bords.
l'instrumental « Back to Memphis » entame un pas de danse sur Beale Street, portée par une guitare rendant hommage à Lonnie Mack avec ce son tournant de cabine Leslie. Son singulier que l'on retrouve sur le rapide « The Train Song » qui a bien des allures du « Scuttle Buttin' » de Stevie Ray Vaughan.
Avec « Mean Old X-mas », presque americana, il dévoile ses modestes aptitudes à l'orgue Hammond. Il clôture son premier essai par deux instrumentaux : « The Train Song » et l’envoûtant « Almost 4. am », où, sur un fond quelque peu Hendrixien, s'épanche une superbe guitare à l’expressivité à fleur de peau. Sa discographie est égrenée d'instrumentaux où l'on découvre un excellent guitariste faisant fi des plans tapageurs pour se recentrer sur une belle et séduisante éloquence.
Finalement, on ne pourrait reprocher à l'album que sa durée de plus de 70 minutes – avec deux chansons de moins, il n'aurait été que meilleur -.
Après un second opus plus ancré dans un Blues-rock classique mais commençant à dompter la saturation, Steve Johnson va modérer quelque peu ses ardeurs, et varier un peu plus les tonalités et couleurs, ne cessant d'affûter son Blues-rock. Sans jamais chercher à la policer. Chaque album parait un poil meilleur que le précédent, sinon au moins équivalent. Ce qui n'est pas courant lorsqu'on aligne six galettes. Passé l'année 2004 et la cinquantaine, il se fait plus discret. Après la période courte Dixiefrog – deux disques dont un live -, Steve signe avec un label numérique dont les rares productions ne seraient disponibles qu'en téléchargement. Il semblerait que l'inspiration se soit tarie et l'envie affaiblie par des années à cumuler travail alimentaire et passion (Steve a débuté sérieusement la musique en intégrant un premier groupe à quinze ans).
🎶🎸
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