lundi 21 mars 2022

MOZART - Concertos No. 26 K537 (1788) - Francesco PIEMONTESI & Andrew MANZE (2017) – par Claude Toon


- Petit lundi, petite chronique Claude ? On continue de visiter les concertos pour piano de l'ami Mozart, Un seul aujourd'hui, parfois c'est 1, 2 ou 4 pour la même chronique… Une raison ?
- Tous les concertos sont intéressants Sonia… Le premier papier présentait les N° 20, 21, 25 et 27 dans l'enregistrement culte du classico-jazzman Friedrich Gulda ; une erreur de jeunesse lors de mes débuts dans le blog ; chacun de ces chefs-d'œuvre de la maturité méritait un papier individuel un peu plus fourni ou au moins une chronique pour deux concertos, comme pour les N°23 et 24 par Dame Uchida, les quatre premiers également commentés, sont des œuvrettes d'adolescent…
- Donc le 26 pour faire une chronique courte ou alors avec son surnom "du couronnement", doit-on attendre un concerto ambitieux comme l'"Empereur" de Beethoven, et une chronique développée en conséquence ?
- Justement non Sonia, un surnom dû au hasard de la création pour un concerto d'une dimension conforme au style de ses voisins, très réputé à l'époque mais un peu boudé de nos jours car, tout compte fait, il donne l'impression d'un retour vers un classicisme moins aventureux…
- Ah bon ! Sinon, je ne connais absolument pas ce jeune pianiste Francesco Piemontesi…
- Hehe et moi non plus, même pas quadra, mais vainqueur d'une confrontation lors d'une émission de France Musique à propos de cet ouvrage, j'ai pensé que ça changerait des interprètes des générations précédentes, même géniaux…


Mozart vers 1790

Le 26ème concerto de Mozart date de 1788 pour la composition, la création ayant eu lieu en 1790 à l'occasion des festivités données pour le couronnement de Leopold II, l'archiduc d'Autriche devenu Empereur du Saint Empire Germanique (si ça ce n'est pas une promotion 😊?). Le 25ème date de 1786 et le 27ème, magnifiquement préromantique, sera écrit en 1790, mettant fin au cycle dans le genre.

Comme d'habitude, la numérotation des concertos est contestée par les "savants". Une tendance se dessine de retirer du catalogue les concertos 1 à 4, des adaptions de morceaux piochés à droite à gauche dans des sonates de confrères allemands par le jeune Mozart âgé de onze ans (des parodies). Certains voudraient une nouvelle numérotation de 1 à 23. Je suis résolument contre ! Ces spéculations de musicologues se justifient historiquement, mais sachant que, par par leur unité stylistique, il est déjà malaisé dans l'actuel classement de se remémorer une bonne vingtaine de grands concertos (69 mouvements), les mélomanes, même fans comme moi, ne s'y retrouveront plus du tout ! Et là, on ne parle pas uniquement des deux dernières symphonies archi-connues de Schubert pour lesquelles on chipote encore (7-8 ou 8-9), mais d'une série de 23 concertos qui n'est pas moins que la genèse du concerto moderne pour clavier, de la transition définitive de l'usage du clavecin vers le piano, et de mille autres raisons… Petit à petit, j'espère que le blog proposera l'intégrale. La chronique du jour est la 6ème, ça progresse, celle pour les concertos N° 17 et 19 est à l'état d'ébauche… (Index)

Nota les concertos N°7 & 10 sont composés pour deux pianos, voire trois pour le N°7.

Le portrait ci-contre de 1790 serait d'après son épouse Constance le plus fidèle…


Francesco Piemontesi

Le concerto de tous les mystères ce K 537 en ré majeur. Les plus méchants diraient : "pourquoi ce concerto semble ringard, démodé par son style galant pour cette période créatrice, il n'y a même pas de partie de piano pour la main gauche ; ni fait ni à faire ?". Anathème qui, il faut bien le dire, repose sur des faits tangibles, la formulation étant pour le moins outrancière cela dit ! Mon opinion : oui, ce joli concerto semble régresser vers l'esprit divertissement des concertos de jeunesse. De plus, il occupe la pire des places dans la suite des concertos : entre les monumentaux 25ème et 27ème, deux chefs d'œuvre tant par l'inventivité de l'écriture que par la volonté de nous confier une auto introspection, une nouveauté expressive dans la forme concerto pour clavier dédié avant Mozart plutôt à la distraction ou aux exercices de virtuosité du soliste.

Depuis 1781, Mozart s'est enfin libéré de la dictature paternelle et aussi de son "protecteur", le prince-archevêque Colloredo, personnage intolérant et qui, ne supportant plus l'indocilité de son protégé l'a congédié. Mozart ne répondait guère aux demandes insistantes du prince qui n'avait goût que pour la musique religieuse, intérêt aucunement partagé par Mozart le Franc-Maçon… En 1788, les vaches maigres sont le quotidien de la famille, le succès dans la Vienne frivole s'estompe ; au contraire de la belle estime pour ne pas dire le triomphe rencontré à Prague (Don Giovanni, symphonie 38). Leopold, le père est mort l'année précédente et malgré les rapports orageux de la période 1770-1781, Wolfgang déprime.

Plus de protecteur, plus de revenu ! Il faut composer sans cesse, essayer d'être joué pour toucher des cachets, ce qui sous-entend disposer de partitions nouvelles prêtres à satisfaire le public et les organisateurs de concerts au pied levé.


Andrew Manze

Place aux hypothèses. Alors que Mozart n'a pas écrit de concerto depuis deux ans, il s'attelle à la tâche début 1788. En février la partition est terminée ; enfin pas réellement. À l'époque, les droits d'auteurs n'existent pas. Piller les idées les plus sympathiques des confrères est courante. Mozart n'écrit que quelques indications pour la partie de clavier destinée à la main gauche, juste pour réveiller sa mémoire au cas où… Les concertos N°25 & 27 annoncent le Beethoven des trois premiers concertos écrits avant la révolution romantique de 1803-1805 marquée par l'écriture et la création de la symphonie N°3 "Héroïque". Pour certains critiques, Mozart reviendrait volontairement à une virtuosité un peu gratuite qui conviendrait "bien" au public viennois qui fuit la nouveauté. Écrit-il sans trop de motivation cet ouvrage pour disposer d'une nouveauté sous le coude ? ces sujets alimentent le débat depuis 1788

Le manuscrit ne sera jamais complété même après la création de 1790. Lors de la publication en 1794, l'éditeur Johann André (1741-1799, 1300 éditions !) reste perplexe – on le serait à moins – pour proposer une partition exhaustive "au mieux". Et le "mieux" dans un concerto mozartien, c'est déjà beaucoup. Autre difficulté pour déchiffrer la partition, Mozart a aussi omis de noter certaines indications de tempo ! Les musicologues seront furax que ce concerto inachevé de la main de Mozart soit resté longtemps le plus populaire à l'inverse des bouleversants opus de la même période. Le temps a changé la donne, mais bien heureusement le 26ème concerto conserve une notoriété justifiée.

L'orchestration, contrairement à la symphonie N°39 composée en juin 1788, ne comprend pas encore de clarinette. Soit :

1 flûte, 2 hautbois, 2 bassons, 2 cors, 2 trompettes, 2 timbales et les cordes.

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À l'issue de l'écoute en aveugle de l'émission de France Musique du 6 septembre 2018 (Clic), je partage totalement la nomination du disque de Francesco Piemontesi sur la première marche du podium. Pour les cinq autres gravures, le classement se discute, comme toujours, la critique n'étant pas une science exacte et la sélection des animateurs établie parmi une immense discographie étant par définition subjective… Francesco Piemontesi a-t-il découvert le secret, la pierre philosophale transcendant cette musique jouée de manière trop feutrée pour certains, trop appuyée et sans nuance pour d'autres, lorgnant de façon hors propos vers le romantisme  ? 

Francesco Piemontesi est un pianiste né à Locarno en Suisse et qui soufflera ses quarante bougies en juillet 2023. Il a étudié à Hanovre puis a suivi les conseils des plus grands : Murray Perahia et surtout Alfred Brendel dont la version pourtant réputée de 1983 a paru pesante et sirupeuse lors de l'émission 😦. Francesco Piemontesi : apprendre, travailler, affiner, mais ne pas copier, la signature des grands interprètes qui savent en murissant personnaliser leurs propres conceptions. Sa carrière internationale est brillante, on aimerait une discographie plus étoffée, notamment une nouvelle intégrale Mozart d'une qualité égale à celle de ce disque isolé… Un album pour les N°19 & 27 est disponible. J'avoue que je ne connaissais aucunement cet artiste, l'effet pervers d'une discographie confidentielle qui ne bénéficie pas de la promotion réservée (parfois à tort) aux grands labels phares…

Natif de la région de Londres (1965). Andrew Manze suit une formation de violoniste option baroque. Détail important, le jeu du violon en mode baroque limite le vibrato et donne une transparence à la sonorité des cordes en accord avec la finesse des orchestrations mozartiennes, en opposition aux brumes si belles soient-elles des phrases élégiaques entendues chez les romantiques, Bruckner en tête… Le baroque sera son univers. En 1988, il est premier violon de l'Amsterdam Baroque Orchestra dirigé par Ton Koopman. De 1996 à 2003, même poste dans l'Academy of Ancient Music créé par Christopher Hogwood. En 2003, il devient chef de The English Concert formé par Trevor Pinnock qui lui cède sa place. Cette expérience acquise pour conduire des ensembles d'instruments anciens sera appliquée en dirigeant des orchestres modernes aux effectifs allégés tel l'Orcheste de Chambre d'Écosse pour les deux albums Mozart.

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Johann André

Le concerto comporte trois mouvements, deux tempi ont été "estimés" lors de la publication en 1794 pour le mouvement lent et le final.

 

1 - Allegro moderato en ré majeur : Voilà une introduction pimpante, martiale mais dansée sur les pointes… aux cordes, les violoncelles et contrebasses marquent le rythme en tutti, tandis que violons I et II et altos développent un premier motif altier. [0:24] Marquée f, le second motif de ce premier thème épouse une écriture similaire mais plus viril et surtout plus fanfaronnante par l'intervention de la flûte, des cors et des trompettes agrestes, une marche épique martelée par les timbales. Cette virulence déconcerte en regard des introductions élégiaques voire anxieuses des concertos de la dernière manière (N°20 en particulier à la limite du tragique, ou N°25 au climat si équivoque). Mais peut-on parler de divertimento, non car subitement le flot musicale rejoue la thématique avec hésitation [1:00]. Mozart évalue la pertinence de emballement initial en cette période troublée. Andrew Manze souligne parfaitement ce faux débat concernant une régression vers la galanterie des musiques festives de sa jeunesse. Le concerto sera atypique dans sa production tardive, mais nous aurons bien un éclat de rire par ci et une sourde et pudique bouffée de mélancolie par là… Andrew Manze restaure cette subtilité, voilà tout ! Jouer Mozart a la réputation d'un traquenard pour artistes insensibles, préoccupés uniquement par une lecture trop rigoureuse.

[2:31] Après une héroïque conclusion de l'intro, le piano fait son entrée par une reprise espiègle du thème introductif. Il poursuivra son jeu à [4:01] en abordant une troisième idée d'humeur quasi chagrine… Eh oui, et cela, n'en déplaise à de grands spécialistes, montre une transition presque romanesque. Tout le mouvement se révèle d'une belle richesse, alternant facéties et lyrisme. J'avoue que Francesco Piemontesi me bluffe par son art de l'articulation, du contraste entre le drame caché [12:06] et l'épicurisme du compositeur…

 

2 - (Larghetto sur l'édition André) en la majeur : Larghetto ne veut pas dire largo funèbre. Mozart écrit à deux temps, une indication en faveur de la romance et non de la psalmodie mélancolique, même si les temps son moroses chez les Mozart. Autre piège : le legato qui, trop accentué, fait dériver ce passage tendre vers les sucreries viennoises indigestes. Lors de l'émission cité, même les meilleurs pianistes peuvent se faire piégés, j'ai même entendu le mot "écœurant"… Waouh, un peu excessif quand même. Cinq minutes de pur bonheur offert par Francesco Piemontesi adepte d'un jeu ludique, plein d'une verve présente dès l'exposition d'un thème guilleret et ravissant par le piano solo et repris par un orchestre dans lequel trompettes et timbales ont pris congé. [2:24] La partie centrale évoque d'autres grands moments nocturnes et si poétiques chers à Mozart dans d'autres Partition. [3:24] La reprise conduit à une affectueuse coda.

 

3 - (Allegretto sur l'édition André) en ré majeur : le final est comme souvent de forme rondo. La légèreté de l'orchestre obtenu par Andrew Manze s'accompagne de timbres acidulés bienvenus dans une œuvre classique. La forme rondo implique de nombreuses transitions entre passages animés, des suites de gammes drolatiques, un thème principal vivifiant, en résumé un climat chorégraphique d'une immense variété. Ecoutez le dialogue concertant [3:20], une merveille d'inventivité. Régressif ce concerto ? Non mais ça va bien ???!!! Le jeu pianistique de Francesco Piemontesi est d'une vivacité exceptionnelle, virtuose certes, mais sans aucun legato précieux, et surtout avec un phrasé émaillé d'humour.


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Pour finir, je ne connais aucune interprétation aussi intelligente, brillante et affûtée. Quelques belles réalisations s'imposent néanmoins dans la discographie pléthorique : Malcolm Bilson et John-Eliot Gardiner (Archiv – 5/6), Andras Schiff et Sándor Végh (Decca – 6/6) et pour la pianiste mozartienne Maria-João Pires, préférer à son ancienne version liquoreuse celle d'une finesse enjouée avec Abbado et la Philharmonie de Vienne (DG -5/6).




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