Nema entre dans la cuisine et trouve un bazar indescriptible : vaisselle
sale éparpillée un peu partout, papiers gras et emballages de bouffe,
torchons à la couleur douteuse par terre…
- Sonia ! Tu as le don de m’exaspérer ! Je t’ai déjà dit 100 000 fois
que je ne voulais pas retrouver la cuisine dans cet état quand je rentre
de week-end le dimanche soir !
- Cool ! J’ai un don, j’ai un don… Chic, je le dirai à M. Toon…
- OK, arrête de faire ta mariolle !
Nema enfile ses gants de caoutchouc.
- D’ailleurs ce n’est pas si drôle d’avoir un don. Par exemple celui de
tout entendre avec une finesse et une performance extraordinaire de
l’ouïe n’a pas particulièrement porté chance à l’héroïne du roman « La
musique des illusions ».
- Qu’est-ce tu dis ? Moi, j’entends rien ! pouffe Sonia…
Paléophone |
Avec ce roman, nous partons pour le XIXème siècle, en Picardie.
Du côté de Saint Gobain, village entouré d’une grande forêt peuplée d’une
multitude d’animaux et d’oiseaux.
En 1877 Charles Cros invente le paléophone pour enregistrer
des sons (voir la chronique de
Claude Toon
Clic). La même année (mais il n’y a aucun lien entre les deux évènements), dans
la Vallée de la Solitude, à côté de Saint Gobain, naît Franceska au
milieu des bois. Petit bébé hurleur, accouchée dans la douleur, fille d’Estelle, une mère encore enfant d’à peine treize ans. Les parents d’Estelle sont surpris et quelque peu furieux de découvrir un petit corps blotti
contre le cadavre de leur pauvre fille partie en forêt et surprise par un
orage. Ils n’avaient pas idée qu’elle fût enceinte, ni de qui. Ils nomment
le bébé Franceska, en écrivant son nom comme ils le peuvent. Au même
moment, le curé de Saint Gobain François Cavelle est retrouvé
noyé dans un lac peu profond. Pour son oncle, Alexis Cavelle,
abbé de Liesse-Notre-Dame, ce pauvre neveu s’est probablement suicidé
car il était faible et avait peut-être succombé au péché de chair…
D’autres vont penser la même chose, c’est ennuyeux pour quelqu’un qui vise
l’évêché d’Amiens.
Forêt de Saint-Gobain |
Franceska est vraiment un bébé hurleur, avec une voix perçante.
Malheureusement pour elle, ses grands-parents meurent et elle est confiée à
l’orphelinat de l’abbaye de Saint Gobain. Très vite, les sœurs n’en
peuvent plus de ce petit être hurlant et vont même vouloir isoler le bébé
dans l’écurie. La mère du couvent, sourde comme un pot, entend
vaguement quelque chose et donc estime le bébé charmant, mais il faut
trouver une solution car on ne peut pas mettre un bébé avec des vaches. Ça
ne se fait pas. Alors on demande au père Cavelle. Et il décide de
faire confier la petite à la Jeanne, qui vit avec son fils
Pierre (sourd-muet) dans une maison à l’écart de tout. La période
chez Jeanne permet à Franceska de vivre en liberté et de
découvrir tous les sons possibles : le vent dans les arbres, les pas de
Pierre dans la forêt, les battements de cœur, les cris des animaux
qui souffrent. Son ouïe est tellement fine et développée que c’est
terriblement pénible pour elle de s’y habituer. Petit à petit elle se met à
répéter les sons, imiter les voix, les chants. On la croit attardée, mais la
Jeanne (qui picole beaucoup) l’envoie quand même à l’école.
Pierre s’attache à cette enfant bizarre qui sourit quand il est
content.
Le temps passe. Franceska devient une belle jeune fille. Elle plait
à Victor, le fils d’un aubergiste local. Pierre meurt
accidentellement (ou pas) et Franceska recueille son dernier souffle,
son dernier cri : quelque chose d’inimitable, d’unique, qui la bouleverse. A
partir de là, rien ne va plus. Vengeance (ou pas) la maison de
Jeanne brûle. Franceska s’enfuit.
Cathédrale de laon |
Epuisée, meurtrie par des jours très difficiles en forêt où toutes les
rencontres ne sont pas bonnes à faire, elle arrive à l’hospice des
sœurs Augustines de Notre Dame de Liesse. Elle assistera à la
cérémonie de l’arrivée d’une nouvelle cloche qui se traduit par une homélie
brillante de la part de l’abbé Cavelle. Mais ce n’est pas un succès :
la cloche est fêlée ! Gaudouin, le directeur spirituel de ce couvent,
est aussi et surtout l’ennemi juré de l’abbé Cavelle. Tout ce qui
peut porter atteinte à Cavelle et à sa réputation lui convient. Dans
ce couvent réside sœur Véronique du Néant (vous imaginez un peu les
idées que l’on a quand on se choisit une telle appellation…) que
Franceska aura l’occasion de rencontrer. Elle verra aussi une poupée
qui parle grâce à un petit mécanisme. Et fera une première rencontre avec
Emmanuel Sinclair, savant Suisse installé à Laon. La grande idée de
Sinclair est d’enregistrer les voix.
A Laon, Paul De Mey, ancien marchand de vin devenu adepte de
spiritisme, accueille Franceska. Ils font parler les morts (c’était
très à la mode à l’époque). Sinclair assiste à l’une de ces séances
et est très impressionné. Il invite Franceska chez lui pour
enregistrer sa voix qui peut aller du registre de la basse à celui de la
soprano. Sinclair travaille sur un projet de gramophone qui permet
d’enregistrer sur disque plat par gravure latérale (contrairement à un
enregistrement sur cylindre). Mais Franceska sera très déçue en
entendant sa voix. Cela n’a pas d’âme. Malgré tout, elle sera d’accord pour
suivre le conseil de Sinclair et intégrer la chorale. Et là, elle va
faire des prouesses inégalées et impensables… Ce qui ne lui portera pas
vraiment chance.
Une dernière partie pour cette histoire très mouvementée, après un épisode
on ne peut plus bruyant, conduit le lecteur dans une poursuite folle à
travers la forêt, puis vers un dénouement un tantinet diabolique.
Jean-Marc Moura est né à Montreuil en 1956. Il est directeur du département des lettres modernes de Paris Nanterre et écrivain. « La musique des illusions » est un roman très dynamique, il n’y a aucun temps mort. Il y a l’héroïne, le scientifique, les curés et les sœurs, et d’autres personnages plus secondaires mais qui permettent de faire le lien entre tous. Il y a la ville de Laon et la campagne environnante. Bref de quoi sortir de votre quotidien pour un bon dépaysement.
Bonne lecture !
Albin Michel
376 pages
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