- Retour au source Claude ? Ton premier article en 2011 était déjà
consacré à l'art de la fugue mais pour orchestre baroque…
- Et oui Sonia, cette partition magique n'est conçue a priori pour aucun
instrument(s) particulier(s) même si on pense aux claviers en premier…
- Je suis émue par le dialogue entre ces trois petits orgues… Karajan ?
Y a-t-il un lien de famille avec le maestro si connu…
- En effet, Wolfgang était son frère aîné, et dans le trio on peut
entendre également son épouse Hedy et un comparse, Hans Andreae…
- Tu as marqué Charlin en gras dans le titre… Cela fait-il référence à
une adaptation de l'œuvre par un musicologue ?
- Non pas du tout. André Charlin était un ingénieur légendaire, pionnier
des prises de son et de la reproduction sonore de qualité et, bien
entendu, il a mis en pratique ses recherches en créant un label
d'enregistrements mythiques quoiqu'un peu confidentiel de nos
jours.
Je vous propose en entrée ces deux belles photos de l'orgue positif
André Silbermann de 1719 de l'église
Sainte-Madeleine à Strasbourg. (Clichés :
Claude Truong-Ngoc.) Ouvert et fermé,
le travail d'ébénisterie des portes vaut le détour… N'est-ce pas ?
Les trois membres de l'ensemble Wolgang Karajan
jouent sur des orgues positifs de la firme E.F. Walcker & Cie. Cette
société fut fondée au milieu du XIXème siècle par
Eberhard Friedrich Walcker (1794 – 1872). Ces instruments sonnent
dans nombre d'églises et cathédrales allemandes. L'un des plus grands, celui
de Nuremberg, équipé de 220 jeux, sera détruit lors des raids de
bombardement alliés pendant la guerre.
Oui, la couleur chaude du bois… je ne voudrais pas que les nombreuses photos en noir et blanc de l'article laissent à penser que je vous entraîne dans des vieilleries musicologiques chères au cœur de votre rédacteur né plus ou moins à l'époque de l'apparition du microsillon, une révolution dans la qualité sonore. Sinon Sonia va encore me charrier en cette époque de Mp3, d'écoute d'un son criard voire abject de musiques avec des écouteurs fichés dans les oreilles et branchés sur un Ipod ou équivalent… Les ORL font fortune surtout avec les Boom 😣 Boom 😫 Boom 😆.
Certains de mes confrères Classicophiles (in english) diraient "bof pour écouter de la m**e, ça fait l'affaire". Remarque qui m'attriste ; chacun écoutant ce qui lui plaît, même si après analyse, l'Art de la Fugue du Cantor paraît incontestablement plus élaboré (et durable avec bientôt ses trois siècles de notoriété) qu'un bout de Techno-Trap aussi mal fagoté qu'éphémère.
Comme je le professe toujours, il vaut mieux lire des romans de gare que
rien du tout, en musique, c'est un peu pareil…
~~~~~~~~~~~~~~~~~
Hedy et Wolfgang Karayan et leurs positifs |
Donc aujourd'hui, deux sujets : d'abord, l'interprétation féérique de l'Art de la Fugue mettant en jeu deux orgues positifs et un contrepositif. Je n'ai trouvé dans le web aucun tuyau (ahah) concernant la nature d'un orgue contrepositif. L'engin doit être rarissime, mais le préfixe "contre" renvoie à contrebasse et contrebasson. On peut imaginer un orgue complémentaire étroit mais haut possédant de longs tuyaux (éventuellement repliés) pour jouer les octaves les plus graves. On entend des notes très graves lors de l'écoute, ce qui a priori me semble incompatible avec la taille des tuyaux visibles sur la photographie des deux artistes… L'ensemble Wolfgang von Karajan fondé en 1950 avec Hans Andreae s'était spécialisé dans ce jeux à trois avec Hedy Karajan, épouse de Wolfgang. Et ne vous attendez pas à une gravure sans dynamique ni couleur, avec un bon casque ou une chaîne Hifi audiophile, c'est un miracle !
André Charlin dans son labo |
Second sujet : André Charlin. Ce physicien du son, ingénieur, bricoleur, et mélomane, plus que déçu par la médiocrité de la reproduction des 78 tours, et même des électrophones des années 50, consacrera sa vie à développer du matériel et des techniques d'enregistrement qui permettaient de se rapprocher un max du son naturel entendu en concert… Il y parviendra, j'ai pu entendre une démonstration animée par cet homme étonnant lors du salon de la Hifi en 1973, Waouh ! Le matos est toujours fabriqué façon montre suisse, mais attention, pour vous offrir une chaîne made by Charlin, vendez votre Jaguar en premier lieu. On peut se marrer, mais le personnage a révolutionné la technologie. Les premiers microsillons stéréo français seront d'ailleurs fabriqués chez nous sous le label Charlin (1954-1955 - Orchestre du théâtre des Champs-Elysées dans un programme dédié au groupe des cinq russes : Rimski-Korsakov, Borodine, etc… et L'Apothéose de Lully de François Couperin, dirigé par Roger Désormière).
- Oui Sonia, la couleur et la gravure de la pochette (époque vinyle
reprise en CD) suggère le parfum des encensoirs… Mais au moins le
style graphique Charlin est reconnaissable au premier coup
d'œil.
- NON SONIA !!! je n'ai pas encore trouvé de photo plus grande. Si
en France on commence à s'intéresser à nos génies…
~~~~~~~~~~~~~~~~~
Il n'existe pas un timbre, une rue, ni même une impasse portant le nom d'André Charlin, l'un de nos inventeurs les plus prolifiques du XXème siècle dans le domaine du son. C'est comme si Thomas Edison était un inconnu aux USA pour son invention du phonographe ! Charles Cros a eu plus de chance bien qu'il ne déposa pas de brevet pour son parlophone en avril 1877 après une démonstration convaincante (Alphonse Allais était présent), contrairement à Edison qui le fit en novembre 1877 (ce qui exclut un supposé piratage impossible en si peu de temps, comme certains complotistes le supposent) ; le parlophone : un appareil similaire à celui d'Edison en moins performant. En résumé de ce constat, je nommerais bien un établissement d'enseignement de l'électronique Lycée André Charlin, et j'en appelle au ministre de tutelle de l'éducation, au groupe La poste à qui j'offre ma maquette et enfin au ministre de la culture pour créer une salle dédiée à ses matériels au Conservatoire des Arts et Métiers.
- Mais Claude, tu as déniché un timbre tout compte fait ! ? Ne
comprends plus rien…
- Hihi Sonia, j'ai des talents de faussaire… Un projet qui devrait
être soutenu par des audiophiles philatélistes… En arrière-plan, il
s'agit du schéma authentique de l'étage d'amplification à tubes du
modèle N 595 !
- Si tu le dis ! Je me demande où tu dégotes des trucs
pareils…
- À propos, le pittoresque inventeur et poète Charles Cros (1842-1888) a eu droit à un musée à Fabrezan, sa ville natale dans l'Aude, des noms de rue, d'écoles et de lycées, un timbre en 1977. Enfin, en 1947 des critiques ont créé le Prix Charles Cros qui récompense une vaste sélection de disques remarquables publiés dans l'année et dans une multitude de genres… C'est justifié, donc juste un petit effort car sans des hommes comme André Charlin, le parlophone n'aurait sans doute pas connu de descendants d'exception. Soyons égalitaire !
André Charlin, sa chaîne et ses colonnes |
André Charlin voit le jour en 1903. Bricoleur et musicien
dans l'âme, le petit André joue de la flûte à 13 ans tout en fabricant
son premier poste de radio aidé en cela par son oncle
Edmond Ragonot, ingénieur électricien. Vous imaginez le gadget :
sans doute un boîtier en bois, 2, 3 tubes électroniques primitifs rares
pendant la Grande Guerre, etc…
Je n'ai pas trouvé d'information sur le cursus scolaire ou
universitaire de André Charlin. Un surdoué ? Vraisemblablement
puisqu'en 1922, il construit son premier amplificateur et
dépose un Brevet pour un
haut-parleur intégrant un
diaphragme à bobine électromagnétique. Le premier Brevet d'une série de 250 !!! Après 1926, il
travaillera sur les
HP électrostatique push pull et
sur la réluctance variable, un
concept utilisé plus tard dans certaines cellules
Ortofon stéréo de qualité à partir des années 60 (Désolé pour les termes techniques, il y a plein d'infos sur le
web, mais diable le bonhomme explore tous les domaines). Les
HP électrostatique push pull
n'utilisent pas de bobines mais deux panneaux grillagés plats qui
vibrent face à face étant polarisés de manière inverse. Pour souvenir
: les panneaux Quad (en forme de radiateurs 😊) et de nos jours les fabuleuses enceintes Martin Logan.
Une clarté étonnante mais des éléments exigeants en termes d'ampli et
de place… Il créé une petite entreprise de fabrication
d'amplificateurs, mais une seconde page de sa vie va se tourner au
service du cinéma…
En 1930 le cinéma parlant prend son essor.
André Charlin imagine des dispositifs pour synchroniser la
lecture de disques 33 tours avec la projection de l'image. En
1933, il crée un studio d'enregistrement. Pour la petite, voire
grande histoire, une bande-son stéréo est réalisée pour le film
Napoléon initialement muet d'Abel Gance de 1927.
J'ignore la destinée de ce travail révolutionnaire (sans jeu de mot).
D'autres B.0. de films suivront.
L'ingénieur est un chercheur insatiable. Après le son, l'image. Il
dirige la conception d'un projecteur Actua-Color dès les
premières productions de films en couleurs en 1938. En
1948, mille salles françaises en seront équipées… Pour ce
projecteur performant, il reçoit en 1939 le
Grand Prix d'Honneur de la Biennale de
Venise.
Il y a les inventeurs doublés d'hommes d'affaires tels un Thomas Edison ou un Eugène Ducretet, ingénieur et industriel expert en T.S.F. et rayonnement X, fondateur de la future société Ducretet-Thomson. Cet entrepreneur dont les successeurs rachèteront les premiers brevets de notre pionnier André Charlin qui lui est un passionné, un artiste au service de la technologie, mais pas du tout un homme d'affaires. Là est l'origine de sa chute dans un oubli poli. En 1948, il vend tous ses brevets d'appareils cinématographiques à Philips. Une troisième page de sa vie s'ouvre, pour moi la plus attachante : la maîtrise de la reproduction sonore la plus parfaite possible. Encore un timbre, à l'effigie de Eugène Ducretet celui-là, mais… monégasque 😊. L'homme achèvera sa vie aveugle et souffrant des brûlures des rayons X émis par des appareil de radiologie qu'il avait mis au point…
Au sortir de la guerre, le phonographe utilise toujours le disque 78 tours même si les appareils ont évolué, du pavillon écouté par le petit chien de la Voix de son maître à l'intégration dans un coffret d'un évent d'amplification, un moteur électrique remplaçant la manivelle… En 1948, des innovations révolutionnent l'enregistrement sonore et l'écoute : le magnétophone à bande avec des bandes Scotch de qualité et le microsillon de RCA.
2 amplis mono 4S + e-power 10 (≈ 100 000 € !!) |
Autres découvertes : les
transistors et la
normalisation des connections, sans compter des standards d'interface.
Tout cela participera à la fabrication en série et donc à la
démocratisation de la HIFI sans compter le simple petit "transistor" portable.
Ce qui suit est assez technique mais vulgarisé ; si ésotérique, on
peut passer…
1 - Les magnétophones de légende pour professionnels ou
audiophiles voient le jour :
Tandberg,
Revox-Studer, Telefunken,
Grundig… Ah… mon
Revox 77 qui finira par
perdre ses têtes 😥.
2 - RCA, après dix années de tâtonnement, met enfin au point le microsillon avec 30 minutes disponibles par face au lieu de 5-7. Une 6ème symphonie de Beethoven occupait 10 faces, désormais un seul disque suffit ! Le son s'améliore dans toutes ses dimensions : clarté, dynamique, respect des timbres. Première production en mono en 1947 : une captation de 1945 du concerto pour violon de Mendelssohn interprété par Nathan Milstein et l'Orchestre philharmonique de New York dirigé par Bruno Walter. En 1954, toujours RCA, premier disque stéréo : Fritz Reiner dans deux programmes Richard Strauss. Une prise de son bluffante quoiqu'un chouia artificielle, voir la chronique Fritz Reiner (Clic). CBS emboîtera le pas.
3 - L'âge d'or du tube électronique va décliner. Une technique bien
rôdée même si le composant surchauffe, s'use et claque dans les TV NB au
moment des penalties 😕. Ils ont toujours leurs adeptes notamment chez
les guitaristes Rock pointilleux et certains audiophiles. 1951 :
invention par trois prix Nobels Yankee des
transistors
NPN /
PNP (Bardeen,
Shockley et Brattain de chez Lab. Bell), tandis que
ceux de type Effet de champ (FET) finiront par s'améliorer jusqu'à supplanter les tubes dans les années
80 pour les amplis haut de gamme ; ils présentent le même avantage que
les tubes :
pas de distorsion de croisement
(Clic), donc, en classe AB push-pull : même raffinement dans les petits
signaux que les amplis classe A.
(Clic)
Les nouveaux travaux d'André Charlin qui s'empare de ces
découvertes majeures concerneront la totalité du processus de
reproduction musicale : du jeu de l'instrumentiste à l'émotion du
mélomane. Ils vont durer 35 ans…
Premier défi relevé, celui de l'enregistrement. Il est usuel à l'époque d'utiliser de 1 à plusieurs microphones,
d'additionner les différentes voies (mélanger plutôt que mixer au sens
strict) et le résultat est parfois brouillon. RCA au début de la
stéréophonie n'utilisait que 3 micros : un micro central et deux
latéraux ; c'est le cas des célèbre disques Living stéréo. Dans
les années 60-70, les micros se multiplient et des tables de mixages
"usines à gaz" permettent (en principe) de corriger les temps de
propagation des cuivres placés au fond par rapport aux cordes au premier
plan. Une des spécialités de la firme DG et des énièmes
intégrales de Maître
Karajan à l'équilibre sonore de plus en plus brumeux. Bref…
André Charlin imagine un dispositif d'une simplicité désarmante
a priori : une tête d'artificielle ! Imaginez une tête de mannequin
(plutôt un ballon de rugby) avec deux micros en guise d'oreilles.
L'appareil est placé soit à l'emplacement du chef du chef* d'orchestre
ou encore du chef du spectateur placé au centre du premier rang. Plus de
problèmes de correction de la propagation, mais le positionnement de
ladite tête confine à l'exploit, surtout pour enregistrer de l'orgue…
Les prises de son ont lieu souvent au Théâtre des Champs-Elysées.
Ça paraît farfelu, pourtant à l'écoute l'ambiance sonore est d'un
naturel confondant. 250 disques seront ainsi captés.
André Charlin avait découvert que les sons graves atteignent les
deux oreilles car il se diffusent plus facilement dans l'espace, alors
que les sons aigus, plus directionnels, ceux de gauche par exemple, ne
sont pas perçus par l'oreille droite, le crâne faisant écran… Il fallait
en tenir compte et non saupoudrer la scène de micros de manière
empirique et contre nature. Après l'écriture de ce paragraphe, j'ai
déniché des extraits d'une interview de 1982/83 dans lesquels on
entend André Charlin confirmé mon propos sur les déphasages
parasites lors de sessions d'enregistrements avec des micros multiples,
un principe élémentaire de la vibration mécanique d'un fluide qui l'a
conduit à concevoir la tête artificielle… Passionnant
(Clic)
* pas une faute mais un jeu de mots 😊.
Second défi : la gravure. Dans un premier temps, le studio de gravure situé rue Montaigne
produit des matrices à partir d'enregistrements 78 tours. Il y aura une
collaboration André Charlin et Jeff Hanson époux de
Louise Dyer, pianiste et philanthrope australienne fondatrice du
label l'Oiseau Lyre, vendu plus tard à Decca. Une entente
orageuse. En 1962, à la mort de Jeff Hanson,
André Charlin crée sa propre société rue Montaigne qui existe
toujours pour maintenir le patrimoine le plus essentiel du catalogue.
Une histoire compliquée…
Dernier défi : l'écoute. André Charlin décide dans les années 60 de concevoir une
chaîne exploitant les composants existants mais triés sur le volet. Voir
la photo plus haut. Il sélectionne la platine
Thorens TD 125 à contre platine et
moteur à courant continu, l'une des meilleurs de l'époque (j'ai acheté
en 1972 la TD 160, seul le
moteur synchrone était différent ; hélas après 50 ans de bon et loyaux
services, les suspensions de ladite contre platine ont cédé et ne sont
plus réparables 😥. Charlin remplace le bras
TP16 par un autre très similaire,
plus rigide et massif pour éviter les déperditions d'énergie et la
distorsion harmonique lors de la lecture des fff, la "plaie" du
vinyle. L'ampli est de sa conception. Il rejette cuivre et ferraille
impurs pour des montages et câblages professionnels, place à l'argent,
l'or, le cuivre pur et même le palladium… Les composants : résistances,
capacités, etc. sont calibrés.
Enfin, exit les enceintes prismatiques aux résonnances "de boîte"
(hormis celles de l'hyper haut de gamme). Charlin construit des
colonnes cylindriques en bois à la structure interne complexe très
rigide dont la partie supérieure accueille des haut-parleurs de son cru
protégés par un fin grillage, notamment des tweeters électrostatiques.
J'entend encore la cantate en 1973 ; comme dirait Luc avec
raffinement, je suis tombé sur le c**l. Côté réalisme, il ne manquait
que la lumière des vitraux et un parfum d'encens.
André Charlin reste à jamais un grand maître des progrès de
l'électroacoustique au XXème siècle, je pense avoir défendu
ce jugement.
~~~~~~~~~~~~~~~~~
Hans Andreae |
Bien entendu, pour ses enregistrements, André Charlin ne sera
jamais invité à la
Philharmonie de Berlin
ou par des virtuoses très célèbres. Il bénéficiera néanmoins de la
complicité d'excellents artistes et orchestres français ou européens de
son temps grâce à son amitié avec
Carl de Nys, prêtre et musicologue. Quelques exemples :
Darius Milhaud dans ses
ballets, Pierre Cochereau, Maurice André et
Jean-Pierre Rampal, Václav Smetáček, Gaston Litaize, le pianiste Éric
Heidsieck et bien
d'autres.
On note un grand nombre d'organistes dans cette liste. Par ailleurs,
André Charlin aimait la musique sacrée. Ce qui nous amène à
l'enregistrement de ce jour.
Ensemble Wolfgang Karajan |
Je ne reviens pas sur la genèse de l'ultime chef-d'œuvre de
Jean-Sébastien Bach. L'article qui marqua mon entrée dans le Deblocnot répond à toutes les
interrogations sur cette suite de 19 fugues écrites à partir d'un motif
élémentaire de 3 mesures exploités 287 fois dans toutes les inventions
que les règles du contrepoint autorisent. Il y a même un mystère quant à
la dernière qui s'arrête net sans être achevée. Pouvait-elle l'être ?
L'article menait l'enquête.
(Clic)
La partition ne porte aucune indication à propos de l'instrumentation
même si le clavecin voire le nouveau venu piano-forte est à privilégier.
Dans la liste des enregistrements notables, on trouve des
interprétations pour orchestres de toute nature et effectif, pour
l'orgue, le piano et aussi cette expérience féérique sur trois orgues
positifs sous les doigts de l'ensemble
Wolfgang Karajan. Le frère du maestro et son épouse
Heydi
se sont passionnés pour jouer sur un trio de ces petits orgues baroques,
posés sur le sol, existants depuis le moyen-âge. Certes ils jouent ici
sur des instruments modernes conçus par le facteur Walcker qui
créa sa société E.F. Walcker & Cie vers le milieu du XIXème
siècle.
Au couple
von Karajan
s'est associé le pianiste, claveciniste et pédagogue suisse
Hans Andreae
(1908-1978). Éclectique dans son répertoire, cet artiste est
surtout connu pour sa participation à cet ensemble.
Il est impossible de commenter de manière académique
l'Art de la fugue. J'aime beaucoup ce concept d'associer trois petits orgues aux
sonorités légères à l'opposé de celles des grands orgues romantiques.
Cela permet par un choix judicieux une variété dans la sélection des
jeux et l'obtention de timbres assez fascinants. De fait, l'aspect
virtuose et inventif de la musique cohabite avec la spiritualité
toujours en arrière-plan dans la musique de
Bach. Le
contrepoint XV est un miracle d'originalité dans la sélection des timbres. Il ressort
à mon sens une fantaisie et une émotion rare de cette gravure.
Par ailleurs, captée en 1962, l'époque où André Charlin
maîtrise complètement la stéréophonie, le son de la session est d'une
franche clarté. Il n'y a pas de dissociation entre les sources sonores
que constituent trois orgues disposés dans la salle du
Mozarteum de Salzbourg ni de confusion en un orgue unique
ventru. Un disque particulièrement démonstratif de la pertinence des
théories de Charlin. Le report sur CD est parfait.
Dernière heure : je viens
de recevoir le CD. Maggy Toon (que je saoule avec André Charlin depuis
une huitaine 😊) découvre bouche bée toutes les subtilités de la gravure. "Il ne manque que l'obscurité" me dit-elle. Nous avons quitté notre salon pour Salzbourg ; les
petits bruits annexes : clavier mécanique, léger sifflement lors de
l'arrivée de l'air dans les tuyaux, infime résonance des instruments
et de l'air en fin de morceau, "surnaturel de réalisme" ajoute ma chérie… Sans doute la meilleure reproduction d'un jeu
d'orgue de ma discothèque. La douce mélancolie de cette œuvre austère
en ce jour d'automne.
Contrepoint I [00:00]
Contrepoint II [04:24]
Contrepoint III [08:01]
Contrepoint IV [11:04]
Contrepoint V [16:00]
Contrepoint VI ‘’in stile franceses’’ [19:20]
Contrepoint VII à 4 par fragmentation et diminution
[23:59]
Contrepoint VIII [27:57]
Contrepoint IX à 4 ‘’alla duodecina’’ [34:37] Contrepoint X ‘’alla decima’’ [38:19] |
Contrepoint XI [43:22]
Contrepoint XII Canon à l’octave [49:57]
Contrepoint XIII Canon alla duodecima in contrapuncto alla
quinta [52:48]
Contrepoint XIV Canon alla decima in contrappunto alla
terza [55:16]
Contrepoint XV Canon par augmentation en mouvement
contraire [1:00:30]
Contrepoint XVI avec son inversion [1:05:03]
Contrepoint XVII miroir du Ccontrepoint XVI dans la même
plage.
Contrepoint XVIII avec son inversion [1:10:30] Contrepoint XIX Fugue à 4 sujets [1:18:32] |
En complétement le mythique premier disque stéréo enregistré en 1955
au Théâtre des Champs-Elysées sous la direction du chef et pédagogue
hongrois Laszlö Somogyi. De Rimsky-Korsakov : le Capriccio espagnol. [15:30] de Borodine : Dans les Steppes de l'Asie centrale. [24:30] de Moussorgski : L'ouverture de la Khovanshchina
et les danses des esclaves persanes. [30:01] de Balakirev : ouverture sur des thèmes populaires russes. Et enfin à [44:16], de César Cui : Deux pièces "in modo populari".
La prise de son est sublime, l'air circule dans tout l'orchestre. Écoutez
la finesse des trémolos des violons au premier plan, la couleur franche
des bois et le chant finement cuivré des cors bien placés en milieu et
fond de scène dans le célèbre
Dans les Steppes de l'Asie centrale, la beauté des timbres. On ne fait pas mieux depuis 65 ans…
~~~~~~~~~~~~~~~~~
Saint-Cyprien en Périgord |
L'art de la fugue
a donné lieu à une multitude d'orchestrations et d'arrangements : de
l'orchestre symphonique au quatuor de saxophones en passant par les
combinaisons de claviers. Je reparlerai des interprétations du chef
d'orchestre
Hermann Scherchen, dont la fascination pour l'œuvre le conduisit à quatre enregistrements
pour petits ensembles instrumentaux insolites dont la transcription pour
16 instruments de Roger Vuataz, totalement sidéral…
Comme chaque fois, voici une sélection réservée à l'orgue dont
Bach
était un expert. L'interprétation de l'Ensemble von Karajan n'a pas d'équivalent ni par sa formation à trois positifs ni pour
l'intelligence de son expressivité alternant jovialité et spiritualité.
Les autres belles gravures sont nombreuses, en voici trois sur des types
d'orgue différents.
En 1956 l'organiste allemand
Helmut Walcha
enregistre pour le label DG ce qui en 1959 sera le premier
disque publié en stéréo. Une vision romantique sur un grand orgue, mais
aucune lourdeur sulpicienne donc hédoniste. (Archiv – 6/6) Quelle
spiritualité sans emphase !
Autre type d'instrument, les orgues baroques à traction mécanique,
en l'occurrence celui de l'église Saint-Cyprien en Périgord. L'organiste
André Isoir
propose au facteur Gerhard Grenzig de porter à 22 jeux sur trois
claviers manuels et pédalier un instrument ancien ne possédant qu'un
clavier et 8 jeux. Pour retrouver l'univers de
Bach, cet orgue devient une référence.
Isoir
ou le bonheur de jouer
Bach
(Calliope -1999 - 6/6)
Autre approche surprenante. Sur l'Orgue Dom Bedos
de
Sainte-Croix de Bordeaux (cinq clavier et 44 jeux, donc de type
romantique) , l'organiste japonaise
Kei Koito
retrouve le gigantisme de l'école française de
Franck,
Vierne
et
Widor
! Par contre les sonorités parfois insolites des jeux sélectionnés
montrent que tout est permis avec l'Art de la fugue. Pour les amateurs d'orgue en majesté uniquement. (Radio France
-1999 - 5/6)
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