jeudi 30 décembre 2021

BACH – Art de la Fugue – 3 Orgues positifs de l'Ensemble WOLFGANG von KARAJAN (CHARLIN - 1963) – par Claude Toon


- Retour au source Claude ? Ton premier article en 2011 était déjà consacré à l'art de la fugue mais pour orchestre baroque…
- Et oui Sonia, cette partition magique n'est conçue a priori pour aucun instrument(s) particulier(s) même si on pense aux claviers en premier…
- Je suis émue par le dialogue entre ces trois petits orgues… Karajan ? Y a-t-il un lien de famille avec le maestro si connu…
- En effet, Wolfgang était son frère aîné, et dans le trio on peut entendre également son épouse Hedy et un comparse, Hans Andreae…
- Tu as marqué Charlin en gras dans le titre… Cela fait-il référence à une adaptation de l'œuvre par un musicologue ?
- Non pas du tout. André Charlin était un ingénieur légendaire, pionnier des prises de son et de la reproduction sonore de qualité et, bien entendu, il a mis en pratique ses recherches en créant un label d'enregistrements mythiques quoiqu'un peu confidentiel de nos jours.


Je vous propose en entrée ces deux belles photos de l'orgue positif André Silbermann de 1719 de l'église Sainte-Madeleine à Strasbourg. (Clichés : Claude Truong-Ngoc.) Ouvert et fermé, le travail d'ébénisterie des portes vaut le détour… N'est-ce pas ?

Les trois membres de l'ensemble Wolgang Karajan jouent sur des orgues positifs de la firme E.F. Walcker & Cie. Cette société fut fondée au milieu du XIXème siècle par Eberhard Friedrich Walcker (1794 – 1872). Ces instruments sonnent dans nombre d'églises et cathédrales allemandes. L'un des plus grands, celui de Nuremberg, équipé de 220 jeux, sera détruit lors des raids de bombardement alliés pendant la guerre. 

Oui, la couleur chaude du bois… je ne voudrais pas que les nombreuses photos en noir et blanc de l'article laissent à penser que je vous entraîne dans des vieilleries musicologiques chères au cœur de votre rédacteur né plus ou moins à l'époque de l'apparition du microsillon, une révolution dans la qualité sonore. Sinon Sonia va encore me charrier en cette époque de Mp3, d'écoute d'un son criard voire abject de musiques avec des écouteurs fichés dans les oreilles et branchés sur un Ipod ou équivalent… Les ORL font fortune surtout avec les Boom 😣 Boom 😫 Boom 😆.

Certains de mes confrères Classicophiles (in english) diraient "bof pour écouter de la m**e, ça fait l'affaire". Remarque qui m'attriste ; chacun écoutant ce qui lui plaît, même si après analyse, l'Art de la Fugue du Cantor paraît incontestablement plus élaboré (et durable avec bientôt ses trois siècles de notoriété) qu'un bout de Techno-Trap aussi mal fagoté qu'éphémère.

Comme je le professe toujours, il vaut mieux lire des romans de gare que rien du tout, en musique, c'est un peu pareil…

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Hedy et Wolfgang Karayan et leurs positifs

Donc aujourd'hui, deux sujets : d'abord, l'interprétation féérique de l'Art de la Fugue mettant en jeu deux orgues positifs et un contrepositif. Je n'ai trouvé dans le web aucun tuyau (ahah) concernant la nature d'un orgue contrepositif. L'engin doit être rarissime, mais le préfixe "contre" renvoie à contrebasse et contrebasson. On peut imaginer un orgue complémentaire étroit mais haut possédant de longs tuyaux (éventuellement repliés) pour jouer les octaves les plus graves. On entend des notes très graves lors de l'écoute, ce qui a priori me semble incompatible avec la taille des tuyaux visibles sur la photographie des deux artistes… L'ensemble Wolfgang von Karajan fondé en 1950 avec Hans Andreae s'était spécialisé dans ce jeux à trois avec Hedy Karajan, épouse de Wolfgang. Et ne vous attendez pas à une gravure sans dynamique ni couleur, avec un bon casque ou une chaîne Hifi audiophile, c'est un miracle !

André Charlin dans son labo

Second sujet : André Charlin. Ce physicien du son, ingénieur, bricoleur, et mélomane, plus que déçu par la médiocrité de la reproduction des 78 tours, et même des électrophones des années 50, consacrera sa vie à développer du matériel et des techniques d'enregistrement qui permettaient de se rapprocher un max du son naturel entendu en concert… Il y parviendra, j'ai pu entendre une démonstration animée par cet homme étonnant lors du salon de la Hifi en 1973, Waouh ! Le matos est toujours fabriqué façon montre suisse, mais attention, pour vous offrir une chaîne made by Charlin, vendez votre Jaguar en premier lieu. On peut se marrer, mais le personnage a révolutionné la technologie. Les premiers microsillons stéréo français seront d'ailleurs fabriqués chez nous sous le label Charlin (1954-1955 - Orchestre du théâtre des Champs-Elysées dans un programme dédié au groupe des cinq russes : Rimski-Korsakov, Borodine, etc… et L'Apothéose de Lully de François Couperin, dirigé par Roger Désormière).

- Oui Sonia, la couleur et la gravure de la pochette (époque vinyle reprise en CD) suggère le parfum des encensoirs… Mais au moins le style graphique Charlin est reconnaissable au premier coup d'œil.

- NON SONIA !!! je n'ai pas encore trouvé de photo plus grande. Si en France on commence à s'intéresser à nos génies…

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Il n'existe pas un timbre, une rue, ni même une impasse portant le nom d'André Charlin, l'un de nos inventeurs les plus prolifiques du XXème siècle dans le domaine du son. C'est comme si Thomas Edison était un inconnu aux USA pour son invention du phonographe ! Charles Cros a eu plus de chance bien qu'il ne déposa pas de brevet pour son parlophone en avril 1877 après une démonstration convaincante (Alphonse Allais était présent), contrairement à Edison qui le fit en novembre 1877 (ce qui exclut un supposé piratage impossible en si peu de temps, comme certains complotistes le supposent) ; le parlophone : un appareil similaire à celui d'Edison en moins performant. En résumé de ce constat, je nommerais bien un établissement d'enseignement de l'électronique Lycée André Charlin, et j'en appelle au ministre de tutelle de l'éducation, au groupe La poste à qui j'offre ma maquette et enfin au ministre de la culture pour créer une salle dédiée à ses matériels au Conservatoire des Arts et Métiers

- Mais Claude, tu as déniché un timbre tout compte fait ! ? Ne comprends plus rien…

- Hihi Sonia, j'ai des talents de faussaire… Un projet qui devrait être soutenu par des audiophiles philatélistes… En arrière-plan, il s'agit du schéma authentique de l'étage d'amplification à tubes du modèle N 595 !

- Si tu le dis ! Je me demande où tu dégotes des trucs pareils…

- À propos, le pittoresque inventeur et poète Charles Cros (1842-1888) a eu droit à un musée à Fabrezan, sa ville natale dans l'Aude, des noms de rue, d'écoles et de lycées, un timbre en 1977. Enfin, en 1947 des critiques ont créé le Prix Charles Cros qui récompense une vaste sélection de disques remarquables publiés dans l'année et dans une multitude de genres… C'est justifié, donc juste un petit effort car sans des hommes comme André Charlin, le parlophone n'aurait sans doute pas connu de descendants d'exception. Soyons égalitaire !


André Charlin, sa chaîne et ses colonnes

André Charlin voit le jour en 1903. Bricoleur et musicien dans l'âme, le petit André joue de la flûte à 13 ans tout en fabricant son premier poste de radio aidé en cela par son oncle Edmond Ragonot, ingénieur électricien. Vous imaginez le gadget : sans doute un boîtier en bois, 2, 3 tubes électroniques primitifs rares pendant la Grande Guerre, etc…

Je n'ai pas trouvé d'information sur le cursus scolaire ou universitaire de André Charlin. Un surdoué ? Vraisemblablement puisqu'en 1922, il construit son premier amplificateur et dépose un Brevet pour un haut-parleur intégrant un diaphragme à bobine électromagnétique. Le premier Brevet d'une série de 250 !!! Après 1926, il travaillera sur les HP électrostatique push pull et sur la réluctance variable, un concept utilisé plus tard dans certaines cellules Ortofon stéréo de qualité à partir des années 60 (Désolé pour les termes techniques, il y a plein d'infos sur le web, mais diable le bonhomme explore tous les domaines). Les HP électrostatique push pull n'utilisent pas de bobines mais deux panneaux grillagés plats qui vibrent face à face étant polarisés de manière inverse. Pour souvenir : les panneaux Quad (en forme de radiateurs 😊) et de nos jours les fabuleuses enceintes Martin Logan. Une clarté étonnante mais des éléments exigeants en termes d'ampli et de place… Il créé une petite entreprise de fabrication d'amplificateurs, mais une seconde page de sa vie va se tourner au service du cinéma…

En 1930 le cinéma parlant prend son essor. André Charlin imagine des dispositifs pour synchroniser la lecture de disques 33 tours avec la projection de l'image. En 1933, il crée un studio d'enregistrement. Pour la petite, voire grande histoire, une bande-son stéréo est réalisée pour le film Napoléon initialement muet d'Abel Gance de 1927. J'ignore la destinée de ce travail révolutionnaire (sans jeu de mot). D'autres B.0. de films suivront.

L'ingénieur est un chercheur insatiable. Après le son, l'image. Il dirige la conception d'un projecteur Actua-Color dès les premières productions de films en couleurs en 1938. En 1948, mille salles françaises en seront équipées… Pour ce projecteur performant, il reçoit en 1939 le Grand Prix d'Honneur de la Biennale de Venise.

Il y a les inventeurs doublés d'hommes d'affaires tels un Thomas Edison ou un Eugène Ducretet, ingénieur et industriel expert en T.S.F. et rayonnement X, fondateur de la future société Ducretet-Thomson. Cet entrepreneur dont les successeurs rachèteront les premiers brevets de notre pionnier André Charlin qui lui est un passionné, un artiste au service de la technologie, mais pas du tout un homme d'affaires. Là est l'origine de sa chute dans un oubli poli. En 1948, il vend tous ses brevets d'appareils cinématographiques à Philips. Une troisième page de sa vie s'ouvre, pour moi la plus attachante : la maîtrise de la reproduction sonore la plus parfaite possible. Encore un timbre, à l'effigie de Eugène Ducretet celui-là, mais… monégasque 😊. L'homme achèvera sa vie aveugle et souffrant des brûlures des rayons X émis par des appareil de radiologie qu'il avait mis au point 

Au sortir de la guerre, le phonographe utilise toujours le disque 78 tours même si les appareils ont évolué, du pavillon écouté par le petit chien de la Voix de son maître à l'intégration dans un coffret d'un évent d'amplification, un moteur électrique remplaçant la manivelle… En 1948, des innovations révolutionnent l'enregistrement sonore et l'écoute : le magnétophone à bande avec des bandes Scotch de qualité et le microsillon de RCA


 2 amplis mono 4S +  e-power 10 (≈ 100 000 € !!)

Autres découvertes : les transistors et la normalisation des connections, sans compter des standards d'interface. Tout cela participera à la fabrication en série et donc à la démocratisation de la HIFI sans compter le simple petit "transistor" portable. Ce qui suit est assez technique mais vulgarisé ; si ésotérique, on peut passer…

1 - Les magnétophones de légende pour professionnels ou audiophiles voient le jour : Tandberg, Revox-Studer, Telefunken, Grundig… Ah… mon Revox 77 qui finira par perdre ses têtes 😥.

2 - RCA, après dix années de tâtonnement, met enfin au point le microsillon avec 30 minutes disponibles par face au lieu de 5-7. Une 6ème symphonie de Beethoven occupait 10 faces, désormais un seul disque suffit ! Le son s'améliore dans toutes ses dimensions : clarté, dynamique, respect des timbres. Première production en mono en 1947 : une captation de 1945 du concerto pour violon de Mendelssohn interprété par Nathan Milstein et l'Orchestre philharmonique de New York dirigé par Bruno Walter. En 1954, toujours RCA, premier disque stéréo : Fritz Reiner dans deux programmes Richard Strauss. Une prise de son bluffante quoiqu'un chouia artificielle, voir la chronique Fritz Reiner (Clic). CBS emboîtera le pas.

3 - L'âge d'or du tube électronique va décliner. Une technique bien rôdée même si le composant surchauffe, s'use et claque dans les TV NB au moment des penalties 😕. Ils ont toujours leurs adeptes notamment chez les guitaristes Rock pointilleux et certains audiophiles. 1951 : invention par trois prix Nobels Yankee des transistors NPN / PNP (Bardeen, Shockley et Brattain de chez Lab. Bell), tandis que ceux de type Effet de champ (FET) finiront par s'améliorer jusqu'à supplanter les tubes dans les années 80 pour les amplis haut de gamme ; ils présentent le même avantage que les tubes : pas de distorsion de croisement (Clic), donc, en classe AB push-pull : même raffinement dans les petits signaux que les amplis classe A. (Clic)

Les nouveaux travaux d'André Charlin qui s'empare de ces découvertes majeures concerneront la totalité du processus de reproduction musicale : du jeu de l'instrumentiste à l'émotion du mélomane. Ils vont durer 35 ans…


Premier défi relevé, celui de l'enregistrement. Il est usuel à l'époque d'utiliser de 1 à plusieurs microphones, d'additionner les différentes voies (mélanger plutôt que mixer au sens strict) et le résultat est parfois brouillon. RCA au début de la stéréophonie n'utilisait que 3 micros : un micro central et deux latéraux ; c'est le cas des célèbre disques Living stéréo. Dans les années 60-70, les micros se multiplient et des tables de mixages "usines à gaz" permettent (en principe) de corriger les temps de propagation des cuivres placés au fond par rapport aux cordes au premier plan. Une des spécialités de la firme DG et des énièmes intégrales de Maître Karajan à l'équilibre sonore de plus en plus brumeux. Bref…

André Charlin imagine un dispositif d'une simplicité désarmante a priori : une tête d'artificielle ! Imaginez une tête de mannequin (plutôt un ballon de rugby) avec deux micros en guise d'oreilles. L'appareil est placé soit à l'emplacement du chef du chef* d'orchestre ou encore du chef du spectateur placé au centre du premier rang. Plus de problèmes de correction de la propagation, mais le positionnement de ladite tête confine à l'exploit, surtout pour enregistrer de l'orgue… Les prises de son ont lieu souvent au Théâtre des Champs-Elysées.

Ça paraît farfelu, pourtant à l'écoute l'ambiance sonore est d'un naturel confondant. 250 disques seront ainsi captés. André Charlin avait découvert que les sons graves atteignent les deux oreilles car il se diffusent plus facilement dans l'espace, alors que les sons aigus, plus directionnels, ceux de gauche par exemple, ne sont pas perçus par l'oreille droite, le crâne faisant écran… Il fallait en tenir compte et non saupoudrer la scène de micros de manière empirique et contre nature. Après l'écriture de ce paragraphe, j'ai déniché des extraits d'une interview de 1982/83 dans lesquels on entend André Charlin confirmé mon propos sur les déphasages parasites lors de sessions d'enregistrements avec des micros multiples, un principe élémentaire de la vibration mécanique d'un fluide qui l'a conduit à concevoir la tête artificielle… Passionnant (Clic) 

* pas une faute mais un jeu de mots 😊.


Second défi : la gravure. Dans un premier temps, le studio de gravure situé rue Montaigne produit des matrices à partir d'enregistrements 78 tours. Il y aura une collaboration André Charlin et Jeff Hanson époux de Louise Dyer, pianiste et philanthrope australienne fondatrice du label l'Oiseau Lyre, vendu plus tard à Decca. Une entente orageuse. En 1962, à la mort de Jeff Hanson, André Charlin crée sa propre société rue Montaigne qui existe toujours pour maintenir le patrimoine le plus essentiel du catalogue. Une histoire compliquée…

Dernier défi : l'écoute. André Charlin décide dans les années 60 de concevoir une chaîne exploitant les composants existants mais triés sur le volet. Voir la photo plus haut. Il sélectionne la platine Thorens TD 125 à contre platine et moteur à courant continu, l'une des meilleurs de l'époque (j'ai acheté en 1972 la TD 160, seul le moteur synchrone était différent ; hélas après 50 ans de bon et loyaux services, les suspensions de ladite contre platine ont cédé et ne sont plus réparables 😥. Charlin remplace le bras TP16 par un autre très similaire, plus rigide et massif pour éviter les déperditions d'énergie et la distorsion harmonique lors de la lecture des fff, la "plaie" du vinyle. L'ampli est de sa conception. Il rejette cuivre et ferraille impurs pour des montages et câblages professionnels, place à l'argent, l'or, le cuivre pur et même le palladium… Les composants : résistances, capacités, etc. sont calibrés.

Enfin, exit les enceintes prismatiques aux résonnances "de boîte" (hormis celles de l'hyper haut de gamme). Charlin construit des colonnes cylindriques en bois à la structure interne complexe très rigide dont la partie supérieure accueille des haut-parleurs de son cru protégés par un fin grillage, notamment des tweeters électrostatiques. J'entend encore la cantate en 1973 ; comme dirait Luc avec raffinement, je suis tombé sur le c**l. Côté réalisme, il ne manquait que la lumière des vitraux et un parfum d'encens.

André Charlin reste à jamais un grand maître des progrès de l'électroacoustique au XXème siècle, je pense avoir défendu ce jugement.

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Hans Andreae 

Bien entendu, pour ses enregistrements, André Charlin ne sera jamais invité à la Philharmonie de Berlin ou par des virtuoses très célèbres. Il bénéficiera néanmoins de la complicité d'excellents artistes et orchestres français ou européens de son temps grâce à son amitié avec Carl de Nys, prêtre et musicologue. Quelques exemples : Darius Milhaud dans ses ballets, Pierre Cochereau, Maurice André et Jean-Pierre Rampal, Václav Smetáček, Gaston Litaize, le pianiste Éric Heidsieck et bien d'autres.

On note un grand nombre d'organistes dans cette liste. Par ailleurs, André Charlin aimait la musique sacrée. Ce qui nous amène à l'enregistrement de ce jour.

Ensemble Wolfgang Karajan

Je ne reviens pas sur la genèse de l'ultime chef-d'œuvre de Jean-Sébastien Bach. L'article qui marqua mon entrée dans le Deblocnot répond à toutes les interrogations sur cette suite de 19 fugues écrites à partir d'un motif élémentaire de 3 mesures exploités 287 fois dans toutes les inventions que les règles du contrepoint autorisent. Il y a même un mystère quant à la dernière qui s'arrête net sans être achevée. Pouvait-elle l'être ? L'article menait l'enquête. (Clic)

La partition ne porte aucune indication à propos de l'instrumentation même si le clavecin voire le nouveau venu piano-forte est à privilégier. Dans la liste des enregistrements notables, on trouve des interprétations pour orchestres de toute nature et effectif, pour l'orgue, le piano et aussi cette expérience féérique sur trois orgues positifs sous les doigts de l'ensemble Wolfgang Karajan. Le frère du maestro et son épouse Heydi se sont passionnés pour jouer sur un trio de ces petits orgues baroques, posés sur le sol, existants depuis le moyen-âge. Certes ils jouent ici sur des instruments modernes conçus par le facteur Walcker qui créa sa société E.F. Walcker & Cie vers le milieu du XIXème siècle.

Au couple von Karajan s'est associé le pianiste, claveciniste et pédagogue suisse Hans Andreae (1908-1978). Éclectique dans son répertoire, cet artiste est surtout connu pour sa participation à cet ensemble.

Il est impossible de commenter de manière académique l'Art de la fugue. J'aime beaucoup ce concept d'associer trois petits orgues aux sonorités légères à l'opposé de celles des grands orgues romantiques. Cela permet par un choix judicieux une variété dans la sélection des jeux et l'obtention de timbres assez fascinants. De fait, l'aspect virtuose et inventif de la musique cohabite avec la spiritualité toujours en arrière-plan dans la musique de Bach. Le contrepoint XV est un miracle d'originalité dans la sélection des timbres. Il ressort à mon sens une fantaisie et une émotion rare de cette gravure.

Par ailleurs, captée en 1962, l'époque où André Charlin maîtrise complètement la stéréophonie, le son de la session est d'une franche clarté. Il n'y a pas de dissociation entre les sources sonores que constituent trois orgues disposés dans la salle du Mozarteum de Salzbourg ni de confusion en un orgue unique ventru. Un disque particulièrement démonstratif de la pertinence des théories de Charlin. Le report sur CD est parfait.

Dernière heure : je viens de recevoir le CD. Maggy Toon (que je saoule avec André Charlin depuis une huitaine 😊) découvre bouche bée toutes les subtilités de la gravure. "Il ne manque que l'obscurité" me dit-elle. Nous avons quitté notre salon pour Salzbourg ; les petits bruits annexes : clavier mécanique, léger sifflement lors de l'arrivée de l'air dans les tuyaux, infime résonance des instruments et de l'air en fin de morceau, "surnaturel de réalisme" ajoute ma chérie… Sans doute la meilleure reproduction d'un jeu d'orgue de ma discothèque. La douce mélancolie de cette œuvre austère en ce jour d'automne. 

Contrepoint I [00:00]

Contrepoint II [04:24]

Contrepoint III [08:01]

Contrepoint IV [11:04]

Contrepoint V [16:00]

Contrepoint VI ‘’in stile franceses’’ [19:20]

Contrepoint VII à 4 par fragmentation et diminution [23:59]

Contrepoint VIII [27:57]

Contrepoint IX à 4 ‘’alla duodecina’’ [34:37]

Contrepoint X ‘’alla decima’’ [38:19]

Contrepoint XI [43:22]

Contrepoint XII Canon à l’octave [49:57]

Contrepoint XIII Canon alla duodecima in contrapuncto alla quinta [52:48]

Contrepoint XIV Canon alla decima in contrappunto alla terza [55:16]

Contrepoint XV Canon par augmentation en mouvement contraire [1:00:30]

Contrepoint XVI avec son inversion [1:05:03]

Contrepoint XVII miroir du Ccontrepoint XVI dans la même plage.

Contrepoint XVIII avec son inversion [1:10:30]

Contrepoint XIX Fugue à 4 sujets [1:18:32]

En complétement le mythique premier disque stéréo enregistré en 1955 au Théâtre des Champs-Elysées sous la direction du chef et pédagogue hongrois Laszlö Somogyi. De Rimsky-Korsakov : le Capriccio espagnol. [15:30] de Borodine : Dans les Steppes de l'Asie centrale. [24:30] de Moussorgski : L'ouverture de la  Khovanshchina et les danses des esclaves persanes. [30:01] de Balakirev : ouverture sur des thèmes populaires russes. Et enfin à [44:16], de César Cui : Deux pièces "in modo populari".

La prise de son est sublime, l'air circule dans tout l'orchestre. Écoutez la finesse des trémolos des violons au premier plan, la couleur franche des bois et le chant finement cuivré des cors bien placés en milieu et fond de scène dans le célèbre Dans les Steppes de l'Asie centrale, la beauté des timbres. On ne fait pas mieux depuis 65 ans…


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Saint-Cyprien en Périgord

L'art de la fugue a donné lieu à une multitude d'orchestrations et d'arrangements : de l'orchestre symphonique au quatuor de saxophones en passant par les combinaisons de claviers. Je reparlerai des interprétations du chef d'orchestre Hermann Scherchen, dont la fascination pour l'œuvre le conduisit à quatre enregistrements pour petits ensembles instrumentaux insolites dont la transcription pour 16 instruments de Roger Vuataz, totalement sidéral…

Comme chaque fois, voici une sélection réservée à l'orgue dont Bach était un expert. L'interprétation de l'Ensemble von Karajan n'a pas d'équivalent ni par sa formation à trois positifs ni pour l'intelligence de son expressivité alternant jovialité et spiritualité. Les autres belles gravures sont nombreuses, en voici trois sur des types d'orgue différents.

En 1956 l'organiste allemand Helmut Walcha enregistre pour le label DG ce qui en 1959 sera le premier disque publié en stéréo. Une vision romantique sur un grand orgue, mais aucune lourdeur sulpicienne donc hédoniste. (Archiv – 6/6) Quelle spiritualité sans emphase !

Autre type d'instrument, les orgues baroques à traction mécanique, en l'occurrence celui de l'église Saint-Cyprien en Périgord. L'organiste André Isoir propose au facteur Gerhard Grenzig de porter à 22 jeux sur trois claviers manuels et pédalier un instrument ancien ne possédant qu'un clavier et 8 jeux. Pour retrouver l'univers de Bach, cet orgue devient une référence. Isoir ou le bonheur de jouer Bach (Calliope -1999 - 6/6)

Autre approche surprenante. Sur l'Orgue Dom Bedos de Sainte-Croix de Bordeaux (cinq clavier et 44 jeux, donc de type romantique) , l'organiste japonaise Kei Koito retrouve le gigantisme de l'école française de Franck, Vierne et Widor ! Par contre les sonorités parfois insolites des jeux sélectionnés montrent que tout est permis avec l'Art de la fugue. Pour les amateurs d'orgue en majesté uniquement. (Radio France -1999 - 5/6)



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