mercredi 29 décembre 2021

"28 Semaines plus tard" (2007) de Juan Carlos Fresnadillo - by Bruno

 


     Dans la continuité des films familiaux de fin d'année, "28 semaines plus tard" est l'un des plus appropriés. Comment ça "n'importe quoi !" ?  Parce qu'il y a quelques malheureux zombies, certes vénères et copieusement affamés, ce ne serait pas un film familial ? Et ça traite de quoi alors ? Il passe son temps à quoi Robert Carlyle, tout au long du film ? A s'occuper de ses enfants ! Oui, d'accord, il n'y a pas que ça. Et pourtant.


    "28 semaines plus tard" est une suite au film de Danny Boyle, le très bon "28 jours plus tard", grâce auquel Cillian Murphy s'est fait remarquer. C'est l'Espagnol Juan Carlos Fresnadillo, un gars guère connu dans le milieu, en dépit d'un Goya (équivalent des Césars en Espagne) reçu en 2001, qui s'attelle à poursuivre cette histoire d'épidémie tombant sur le Royaume d'Angleterre. 

     Un affreux virus transformant les personnes en décervelés avides de chairs et de viscères chauds et dégoulinants, de préférence déchiquetés d'un corps encore frétillant. Une méthode des plus brutales mais qui permet de préserver toutes les vitamines et les nutriments divers nécessaires à la bonne et singulière hygiène alimentaire des contaminés. Un virus transmis par la morsure, ce qui rend le masque d'aucune utilité, au contraire des distanciations sociales très fortement recommandées. Et surtout pas de bisous.

   Pratiquement tout le Royaume-Uni est sous la terrible emprise de cette sombre épidémie. L'état d'urgence est décrété et l'armée tente d'endiguer la propagation par des confinements, et en créant des zones de protection en barricadant des quartiers entiers de grandes villes. Ailleurs, notamment dans les campagnes, c'est l'incertitude et la peur permanente. Les abris sûrs sont rares. Cependant, il est nécessaire de les quitter pour partir en quête pour se sustenter ; tout en évitant de se faire becqueter soi-même. Manger ou être mangé. Un sacré dilemme où la moindre erreur peut être fatale. Ce qui va arriver au joli couple joué par Robert Carlyle et Catherine McCormack (la fiancée martyre de William "Braveheart" Wallace). Carlyle qui avait refusé un rôle dans « 28 jours plus tard ».


   Le film débute directement, sans générique, sur la fuite d'un couple. Leur course éperdue les amène à un corps de ferme, au bout d'un long champs herbeux, cerné d'une forêt dense. La bâtisse est barricadée, les fenêtres condamnées par d'épaisses planches clouées de par et d'autre. Après quelques réticences, les occupants font rentrer le couple. Dans une semi-pénombre, on leur offre le couvert. On s'échange les nouvelles à voix basse et on mange avec délectation mais avec une crainte lourde sur les épaules. Tout semble se passer pour le mieux. La nature même du lieu, riche et verdoyant, paraît imperméable au moindre mal. Tout ce petit monde se détend, profite et apprécie cet instant de partage, se sentant presque à l'écart de la menace environnante. Un bref instant de paix soudainement pulvérisé par des coups à la porte. Un enfant apeuré prie de le laisser entrer. Hésitation. Ils sont déjà sept, un de plus et la nourriture manquera rapidement. Mais un enfant... entre le gamin paniqué et la dispute qui éclate dans la maison, il y a un raffut qui ne manque d'attirer les morfales du coin. Finalement, grâce à Alice, l'épouse du couple fraîchement invité, qui répond à son instinct de mère, le gamin rentre. Mais il est trop tard, et des gueules cassées à l'œil torve rappliquent de toute part. Leur nombre grossissant a raison des barrières de fortune. C'est la curée. 

   Cependant, ce qui saisit le spectateur, ce n'est pas la vision de ces morts-de-faim faisant bonne chair sans se soucier des bonnes manières, mais la séparation du couple. Un zombie baveux s'interfère entre Don (Carlyle) et son épouse (McCormack), au moment où cette dernière lâche la main de son époux pour aller récupérer le gamin apeuré (celui qui a fait rappliquer les cadavres ambulants), caché dans un placard. Don hésite, mais dès qu'il esquisse un mouvement, l'affreux se précipite vers lui. Don referme la porte au nez putréfié du belliqueux, et s'enfuit par une fenêtre, laissant sa femme à la merci des anti-végans. Ce n'est qu'à partir de cet instant que la musique démarre doucement, pour accentuer le drame. Lui donner du relief.


 D
ès qu'il franchit la fenêtre, acte de non retour. la musique s'intensifie. Don se retourne un instant et voit son épouse, saine et sauve, l'appeler à travers une fenêtre close. Il ralentit un quart de seconde, mais elle disparait aussitôt et les morfales le prennent en chasse dans un sprint effréné (oui, depuis quelques années - depuis Danny Boyle et Znack Snyder- les zombies sont devenus nettement plus sportifs et endurants). La musique s'amplifie, accompagnant sa course désespérée. Elle s'arrête subitement, une fois Don enfin hors d'atteinte des enragés. On entend plus que les halètements de Don, qui se retrouve vivant mais seul, avec sa lourde culpabilité. En moins de cinq minutes, Fresnadillo a créé un saisissant malaise qui noue les tripes.

   Tout au long du film, la musique est utilisée avec parcimonie, ne revenant que pour intensifier des moments intenses, comme pour exciter l'adrénaline, accélérer les battements de cœur et être au diapason des intervenants – alors proches de la panique, ou du désespoir, ou d'une insondable tristesse. Une musique simple, répétitive et profondément mélancolique. Superbe musique de John Murphy qui reprend pour thème principal, celui qu'il avait déjà inventé pour "28 jours plus tard". Thème qui sera retraité pour "Sunshine", de Danny Boyle, et qui servira en partie de base à l'un de "Kick Ass" (le coquin).  "Adagio in D minor". Pour "Boathouse" aussi (sacripant 😁).


   On retrouve Don à Londres, dans un quartier assaini et étroitement surveillé. Là, il peut récupérer ses deux enfants - de retour de l'étranger - et retrouver un semblant de vie familiale. Mais, sa culpabilité s'intensifie lorsqu'il doit mentir à ses enfants qui le questionnent sur l'absence de leur mère. Les voir meurtris, nourrit et accentue sa douleur. D'autant que l'aînée, sa fille, ne comprend pas, ne veut pas comprendre, que son père ait pu survivre et pas sa mère. La petite famille semble désormais à l'abri, dans une société profitant du chaos pour se réinventer. Avec tout de même quelques troublants penchants despotiques. Tout paraît aseptisé, les couleurs et la fantaisie bannies. Les pigments bucoliques et vivifiants de la première séquence, pourtant alors parallèles à l'horreur et le drame, font partie du passé. Les rues aussi ont perdu leur âme ; dénuées d'animations et d'agitation humaine, elle semblent desséchées, en hibernation ; voire délétères avec ces hommes autoritaires et armés, harnachés comme des Robocops, paraissant plus surveiller la maigre population que les murs de protection ceinturant l'asile.

     Mais Don n'en a cure, obnubilé par son incapacité à ranimer la joie de ses enfants, creusant plus profondément ses blessures purulentes, causées par les remords et la perte de son amour – en partie par sa faute. Mais rester aurait-il pu changer quelque chose face à une fin inéluctable ? Et qui aurait pu prendre en charge les enfants ?

     « 28 semaines plus tard » diffère notablement du genre par son traitement qui ne s'attarde guère sur les scènes gores inhérentes au genre. Il n'y a aucun voyeurisme et on ne s'attarde jamais sur une scène d'hémoglobine. Inutile et trop facile (et peut-être plus onéreuse). L'épouvante et l'angoisse y ont pourtant une place de choix, mais elles se retrouvent dans le comportement humain. Dans ses faiblesses et dans l'indicible horreur de ne pouvoir revenir en arrière une fois le choix fait, ou simplement esquissé. L'impossibilité de rattraper ses erreurs. Traumatisant et indélébile fardeau qu'il faut à jamais supporter. Essayer de vivre avec, même si plus rien ne sera comme avant, et que désormais les cauchemars hantent les nuits et assombrissent les jours.


   Le pauvre n'en a pas fini avec ses problèmes lorsque ses enfants, partis furtivement en escapade dans leur proche banlieue pour récupérer des objets et des photos dans leur maison, dans l'espoir impossible de retrouver quelque chose pouvant leur redonner un soupçon d'un bonheur perdu à jamais, tombent sur leur mère. Perdue, profondément traumatisée, instinctivement, elle a retrouvé son foyer où elle s'est réfugiée, tapie dans l'ombre. Elle est alors récupérée par l'armée pour l'examiner. Invraisemblable ? Probablement, mais ce n'est pas non plus une reconstitution historique (qui d'ailleurs laissent bien souvent à désirer...). On sait juste qu'un sniper (Jeremy Renner) qui avait ordre de tirer sur tout ce qui essayait de rentrer ou de sortir, n'a pas voulu dézinguer deux jeunes ados, préférant alors les suivre, et discrètement les protéger. Ce sniper, sergent Doyle, qui va se prendre d'affection pour Tammy et Andy, et faire de son mieux pour les protéger. S'exposant au danger afin de sauvegarder ceux qui sont le plus fragile et qui en même temps représentent l'avenir. Ce qu'aurait dû faire Don avec le mioche dans la ferme ? Okay, mais Doyle est équipé. Il a des flingues et pas Don.

     Alice - la maman - est porteuse d'espoir, sachant que bien que visiblement mordue, elle n'a pas succombé au virus. Son organisme détient peut-être la solution pour lutter contre, mais rien ne prouve qu'elle ne soit pas contagieuse.

     Évidemment, ce retour inopiné soulève beaucoup d'interrogations. De la part des enfants, du corps médical, qui ne semble ne faire plus qu'un avec l'armée, et de Don qui se morfond dans sa honteuse culpabilité. Tiraillé entre sa honte et son amour, il se doit d'aller affronter le regard accusateur de son aimée, ainsi que celui de ses enfants. En particulier de sa fille, Tammy (Imogene Poots). De nouveau, le monde s'écroule sous les pieds de Don qui craint que sa femme révèle sa lâcheté, et de perdre ainsi à jamais l'amour de ceux sans qui sa vie n'a guère de sens. Il ne peut même plus fuir, et puis pour aller où dans ce quartier aux allures de ghetto de luxe. Et dehors, ça grouille d'enragés.


   Fresnadillo a réussi à faire une suite intéressante à « 28 jours plus tard », en refusant de tomber dans la redite, ou de réaliser une simple suite se contentant de reprendre les codes et les personnages pour un deuxième chapitre généralement moins savoureux et sans surprise. Peut-être même plus profond que celle de Danny Boyle. Oui, ça fait grincer des dents, l'Anglais étant une référence reconnue et indéboulonnable, mais son film reste relativement plus conventionnel. Le réalisateur Espagnol a juste imaginé le futur du Royaume des mois après la terrible épidémie. Un futur qui n'a peut-être pas d'autre choix – à moins que cela ne soit qu'un prétexte – que celui de tomber dans une société martiale. L'état d'urgence. Où l'on s'approche dangereusement du « meilleur des mondes », car on soupçonne une certaine sélection parmi la population. Les personnes âgées semblent d'ailleurs avoir été écartées de ce nouveau départ.

     Au-delà du film d'horreur, "28 semaines plus tard" est un drame poignant porté par le jeu juste de Robert Carlyle. On en vient à détester son personnage, puis le plaindre, voire le comprendre (on ne peut le juger tant que l'on n'a pas eu à affronter une horde de zombies fous, impatients de planter ses dents dans votre chair.). Finalement, on finit par avoir mal pour lui, surtout qu'il se révèle être un père aimant, soucieux de ses enfants, et éternellement meurtri par un instant de faiblesse où il n'a pu résister à la panique, abandonnant à une mort certaine celle qu'il aimait.

     Un film recueillant plus d'avis favorables que défavorables. Parfois même adulé. Mais des critiques continuent à le descendent en flèche, car effectivement, il a le tort de se démarquer du film de zombies lambda, comme de celui de Danny Boyle (pas totalement non plus). Mais justement, c'est là tout l'intérêt.

Interdit aux moins de 18 ans au Royaume-Uni, mais aux moins de 12 en France. Avec avertissement (oh la la 😁). Et déconseillé aux moins de 10 ans à la télévision française... Etonnant non ? 



😈💫

5 commentaires:

  1. Incontestablement ce que j'appelle un bon film du samedi soir, addictif, bien foutu, avec tout de même des scènes bien sanglantes. Moins gore que le premier (tout de même, +10 à la télé ?) sans doute que les producteurs ont demandé que le film soit exploitable et n'exclut pas les spectateurs ados, qui est depuis longtemps la cible la plus prisée. Déjà au stade du scénario, les réalisateurs sont amenés à démontrer jusqu'à quel niveau ils iront dans la violence ou le sexe, il faut suivre un cahier des charges très précis, ce qui permet de classer le film dans des catégories pré-définies. Aux US, un -17 sans accompagnement, signifie la mort commerciale (Scorsese pourrait t'en parler !) comme le -18 chez nous. Heureusement c'est très rare ("Baises-moi" de Despentes, ou "Love" de G. Noé)

    Le premier opus avait une certaine poésie, oui j'ose le terme, au début, avant de verser dans l'horreur, mais du coup, la vraie !

    Bon, Bruno, tout de même, essaie les Chaplin ou les Capra pour Noël, en famille c'est pas si mal !

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  2. Les producteurs ? Je ne sais pas puisque le film est anglo-espagnol. Et c'est en Angleterre qu'il a eu la mention "- 18".
    Dans l'hexagone, "interdit - 12 ans" c'est tout de même light pour ce genre de film. Et ne parlons pas du "- 10" à la téloche. L'avant dernier chapitre est suffisamment dur pour en traumatiser plus d'un. Après, pour faire bonne conscience, on balance des campagnes d'information - ou de prévention - pour tenter de limiter les films durs, violents, orduriers, etc., vus par les gamins.
    - Ha, non, si votre gamin a été choqué par un film, c'est votre faute.
    - Ben voyons ; à une époque où à n'importe quelle heure du jour ou de la nuit, les enfants peuvent se taper à la pelle quantité de films gores ou autres. Et en version non censurée...

    Dire qu'il y a des années, pour l'achat de mon premier "Frankenstein" (BD de poche en NB), au cas où cela m'aurait procuré quelques cauchemars, la libraire m'avait promettre de ne rien dire à mes parents. 😁
    De l'eau a coulé sous les ponts....

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  3. Oui, le premier est aussi terrible. Les hommes se révèlent plus monstrueux que les zombies.

    C'est qui Chaplin ? Et Capra ? Y'a du flingue ?

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  4. Ce sont aussi les distributeurs aux USA qui exigent des coupes, pour éviter une interdiction -17 qui leur enlèverait de la clientèle. Scorsese a dû batailler à chacun de ses films. Pour le Loup de Wall Streets, c'était Di Caprio qui produisait, Scorsese a eu une liberté totale dans le montage.

    En France, c'est tout de même plus tolérant aujourd'hui. Mais quasiment tous les premiers Godard ont été interdits aux moins de 18 ans dans les années 60, à cause d'allusion à la guerre d'Algérie, à la contraception, au mauvais profil moral des personnages... Chabrol a eu aussi beaucoup de souci à ses débuts, à cause des comportements des personnages, insoucieux, libertaires, insolents.

    Chez Chaplin (un réalisateur anglais, y'a longtemps, sans le sou il était contraint de filmer en noir et blanc, y'avait même pas assez pour des dialogues) y'a plein de flics violents, d’escrocs, et de gens qui se prennent des coups de pieds au cul. Ce n'est pas pour tout public.

    La bonne année Bruno !

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    1. Chabrol, Godard. Surprenant, mais ça peut être compréhensible ; dans une certaine mesure. 😏
      Finalement, ce n'était pas plus mal quand certains films n'étaient diffusés qu'à des heures tardives. On semble désormais oublier que le cinéma peut être un instrument d'influences.
      A ce titre, on peut remarquer que les films de guerre, où, forcément, y'a de la barbaque sanguinolente dans tous les sens, où les macchabés ne se comptent plus, restaient dans le domaine du grand public. Sauf... s'il y avait une scène de fesses. Flinguer de "l'ennemi" à tout va, okay. Le trucider, normal. Mais zizi boum-boum, pas bien. Très vilain !! 😁 Va comprendre...

      C'est comme tous ces westerns où l'on génocide les "vilains et idiots peaux-rouges", une violence banalisée et normalisée. Par contre, lorsque des réalisateurs ont commencé à présenter une autre facette de la conquête de l'Ouest - bien plus proche de la réalité - (à quand celle de l'Est ? ...) , la censure a réagi promptement pour réduire considérablement la diffusion de ses films. Pour préserver la jeunesse 😁🙄

      (c'est comme pour certaines pochettes de disques... 😉 )

      Pace e Salute

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