Je suis absolument certain que j’ai dû avoir une vie antérieure à celle que
je mène actuellement. J’aime la chanson réaliste, celle des faubourgs de
Montmartre et de Ménilmontant.
De Bruant à Gréco
Oui, j’aime cette culture typiquement parisienne qui fleure bon le pavé
et l’image d’Épinal du poulbot. Le Paris du début du XXe siècle avec ses
cabarets Montmartrois, les marlous de Belleville, les Apaches de
Ménilmontant, Casque d’Or et la Bande à Bonnot et, bien sûr, sa
culture.
Aristide Bruant
J’avais déjà parlé d’Aristide Bruant et de Fréhel
dans de précédentes chroniques, ainsi que d’Edith Piaf et Juliette Gréco. Tous ces artistes ont créé un style oublié de nos jours et qui parait
bien désuet aux yeux de certains, et pourtant on a-t-on fait mieux depuis
? Je ne dis pas qu’il n’y a plus d’artistes qui chantent le pavé parisien
ou des tranches de vies de tous les jours, mais ils se font rares tout
comme le talent dans l’écriture. Heureusement qu’une poignée
d’irréductibles fait toujours de la très bonne chanson, très souvent des
chanteurs indépendants, mais ce sont ceux qui ne passent pas aux heures de
grande écoute sur des radios périphériques (Ou alors sur des radios militantes comme Radio Libertaire) ou dans les émissions de Michel Drucker ! Pour n’en citer que
quelques un : Hélène Gerray, Yves Vessière, Emma Staël, Fred Daubert,
Fanchon Daemers ou Henri Tachan
pour ne citer que ceux-là, des noms qui ne diront que peu de choses à
beaucoup et pourtant ils ont presque tous eu au minimum deux chroniques
dans nos colonnes.
Juliette Gréco
Il faut aimer les chanteurs quand ils sont encore vivants. On parle du
talent des artistes après leurs morts. Et tout ceux que je viens de citer
sont dans la lignée de la chanson intelligente et réaliste, mais un
réalisme du XXIe siècle, il ne faut pas croire que la chanson réaliste a
disparu à la mort de grandes chanteuses ou chanteurs comme Juliette Gréco ou Mouloudji. Mais le fossé entre la chanson réaliste et la chanson politique est
mince et si on devait faire plus simple, même la poésie pourrait compléter
le tableau, Jacques Brel
pourrait être considéré comme un chanteur réaliste, il suffit d’écouter
certaines de ses chansons comme «l’Éclusier» ou «Fernand».
Berthe Sylva
Aristide Bruant
est surement le créateur du genre, avec sa gouaille et son langage
argotique il va chanter les masses populaires, les voyous et les filles
perdues. Les chanteuses à la voix puissante vont prendre le relais avec
Berthe Sylva,
Damia,
Fréhel,
Yvette Guilbert ou
Thérésa surnommée «la muse de la voyoucratie» qui par de grands gestes mélodramatiques et grandiloquents feront
vivre leurs chansons. Considérés comme rentrant dans la catégorie,
certains artistes comme Mistinguett et
Maurice Chevalier mettront une touche de
légèreté et d’humour dans leur répertoire, chassant la noirceur dans ce
que contenaient les textes de l’entre-deux guerres.
Même Bourvil fera une petite incursion
dans le genre avec sa chanson «Les Crayons». La chanson parodie le genre réaliste en contant
l’histoire malheureuse d’une orpheline de Ménilmontant vendant à la
sauvette des crayons, et qui est séduite par un bourgeois qui la met
enceinte et l’abandonne. L'enfant de cette fille-mère subira elle aussi
une destinée fatale. La chanson n’a rien de risible mais chanté par
Bourvil cela devient une farce.
Barbara
La chanson de la rue et de la misère va évoluer après la seconde guerre et
l’arrivée des américains. Arrive la renommée
Edith Piaf et, à Saint Germain des Près,
débute Juliette Gréco qui, tout comme
Damia, chante sur scène habillée en
noir. Et puis une nouvelle vague va apparaitre avec
Barbara,
Lucienne Boyer, Colette Renard
et Mick Micheyl avec son fameux «Un Gamin de Paris». Mais la nuance tragique du réalisme a fait place à une interprétation
plus sobre et le style d’écriture représentant la condition ouvrière a tout
simplement disparu. Les textes sont plus lyriques et poétiques, il y a
encore une chanteuse française qui perpétue la tradition : Michèle Bernard
(Qui a aussi eu sa chronique).
Félix Mayol
La chanson Réaliste, c’est une empreinte du passé que l’on écoute avec
mélancolie. L’image de Cosette et de sa mère Fantine qui seraient l'une
des plus représentatives si l’on devait parler de la condition humaine qui
nourrit les textes. Sans oublier la chanson plus exclusivement ouvrière et prolétarienne avec les textes de
Jean-Baptiste Clément.
Je n’ai cité que des femmes (Priorité au beau sexe !) parce que ces dernières étaient en forte majorité pour exprimer avec
des mots et des gestes ce que la souffrance représentait. Elles étaient
aussi l’incarnation d’une France populaire. Mais ? Et les hommes
là-dedans ? Au début du XXe siècle, ils étaient surtout cantonnés
aux rôles de chanteur à voix, aux textes légers et humoristiques et
aussi aux comiques troupiers, Dranem, Félix Mayol, Polin, Fragson
sont les noms qui couvraient les affiches des caf’conc’ parisien de
l’époque, il n’y a que son créateur Aristide Bruant
qui se distinguera dans le réalisme. Et plus tard peu d’hommes
chanteront la rue et le peuple, le terme «chanson réaliste» deviendra «Chanson à texte». Apparaitront Jean Ferrat, Léo Ferré, Mouloudji, Yves Montand, Serge Reggiani et Charles Aznavour.
La rue était donnée aux poètes engagés dans un combat qui depuis longtemps
était déjà perdu. La masse populaire était entre temps devenue la classe
moyenne.
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