lundi 28 mars 2022

BASIC INSTINCT (1992) – Bande Originale de Jerry GOLDSMITH (1929-2004) – par Claude Toon


- Un papier bande-originale Claude ? Bigre, le dernier que tu m'avais fait publier en 2020 était déjà de Jerry Goldsmith pour Total Recall, déjà de Paul Verhoeven, déjà avec Sharon Stone très athlétique, déjà deux ans… Elle est chouette mon anaphore !! He he…
- C'est ça Sonia, crâne avec des mots rares ma belle… Pourtant tu as tout à fait raison… Cela dit, même équipe (en partie) et vraiment deux films complétement différents, et cela est un euphémisme… hihi…
- Donc une musique moins blockbuster je suppose, voire inquiétante et vénéneuse, mais tu ne commentes pas le film en tant que tel, pour introduire une prétérition dans mon propos, pfffff car le cinéma est le domaine de Luc…
- Bordel Sonia (vulgarité langagière), t'as suivi un cours de rhétorique rédactionnelle ou quoi, on fait un concours ?
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hihi hihi hihi hihi - Ça peut lui donner une idée, il ne l'a jamais présenté, je ne sais pas s'il aime ce film qui divise les cinéphiles ?

Atchoum…
Atchoum…
Atchoum…
Atchoum…

- À tes souhaits Claude, un coup de froid ?

- Non la poussière dans les bureaux, pas une épiphore involontaire… On arrête de se poiler Sonia avec du vocabulaire snob, et on plonge dans le glauque, la musique flippante d'un thriller érotique.


Jerry Goldsmith

Rares sont les musiques de films autonomes de grande qualité. Je veux dire par là, en reprenant la conclusion de Sonia dans son billet improvisé il y a deux ans, des musiques d'une forme proche des grands poèmes symphoniques dramatiques ou épiques du répertoire classique. Je parle de suite symphonique ou de morceaux de styles divers mais possédant une unité expressive en rapport avec l'esprit du film. Quelques exemples : Pelléas et Mélisande de Schoenberg pour les tragédies amoureuses ou Une vie de héros de Richard Strauss dans un genre plus épiques… On trouvera beaucoup d'exemples… Je vous renvoie à un de mes papiers, celui sur la musique aussi énigmatique que le film qu'elle illustre, à savoir la partition d'Angelo Badalamenti pour Mulholland Drive de David Lynch (Clic). Du même compositeur, nous avions écouté celle appartenant à la première catégorie, une mélancolique suite orchestrale pour un bijou, évidement de David Lynch, mais beaucoup moins ésotérique et alambiqué que ses œuvres habituelles, une histoire simple, humaniste et poétique : Straight Story. (Clic)

 

Les compositeurs de musiques de films, à plein temps ou ajoutant cette activité à celle plus académique de l'écriture de musique classique supposée plus savante, ont longtemps été considérés comme formant une communauté extérieure à l'art musical, celle des tâcherons du solfège. Depuis le début du siècle, cet ostracisme prend du plomb dans l'aile et les plus imaginatifs atteignent le statut de compositeur dans un genre né avec le cinéma parlant… et même avant.


Un whisky ?

Un virage, facilement 180°, dans l'intérêt pour les musiques de films haut de gamme a eu lieu depuis le début du siècle. Premier temps, le disque se réapproprie les hits du genre ; quelques exemples : en 2005, le chef et compositeur Esa-Pekka Salonen directeur de la Philharmonie de Los-Angeles gravait une anthologie des illustrations sonores de Bernard Hermann pour les films d'Hitchcock, de Psycho à Vertigo en passant par Pas de printemps pour Marnie, mais aussi pour d'autres réalisateurs, Martin Scorsese, Taxi Driver. Un orchestre de Tchéquie, City of Prague Philharmonic Orchestra fondé en 1947 près des studios s'est spécialisé dans le réengistrement de bandes originales récentes ou anciennes : James Bond depuis Dr No jusqu'à Skyfall, 24 titres sur 2 LP. On y croise John Barry douze fois (Clic), fondateur du thème mythique, mais aussi David Arnold et, en dernier, la génération Daniel Graig, Hans Zimmer. Excellent enchaînement après la présentation d'une discographie rafraîchie dans laquelle John Barry côtoie Beethoven. La musique de Hans Zimmer pour Gladiator a été donnée au Zenith en live : écran géant, orchestre symphonique et chœur ; le grand jeu !

On pourra préférer les vraies B.O. d'origine même anciennes, les bandes optiques suavement nasillardes. Ah les éclats guerriers de l'intro des 7 mercenaires d'Elmer Bernstein. Dans ce domaine, mes coups de cœur étant entre autres : Ben-Hur de Miklos Rosza (2 CD mais difficile à trouver) et un pot-pourri d'extraits musicaux des films de Bogart ; majoritairement de Max Steiner, un auteur prolifique avec en tête d'affiche Autant en emporte le vent – alors là les amis, original obligé comme la B.O de Victor Young pour Johnny Guitare avec la voix sensuelle de Peggy Lee… Bon j'arrête, je vais écrire encore un pensum.

Dernière remarque. Qui ne connaît pas John Williams, 90 balais en février. En vrac : la plupart des films de Speilberg, La Saga de la guerre des étoiles, un passage à Poudlard, au moins 120 B.O sans compter les ouvrages de musique classique, des concertos, etc. Allez fureter sur Wikipédia, 60 ans de carrière. Et la récompense suprême ces dernières années : en 2020, le vieux mais vaillant maître est invité par la Philharmonie de Vienne, l'un des 3 ou 4 meilleurs orchestres de la planète (réputé pour être aussi un peu guindé). 18 titres en DVD (13 en CD 😕) extraits de son immense catalogue avec en violon solo Anne-Sophie Mutter ! (Virtuose de l'archet avec laquelle il a gravé son concerto N°2 à Boston). Pas de jaloux, John Williams, a récidivé en octobre 2021 pour trois soirées avec la Philharmonie de Berlin. Des concerts culte captés pour DG.

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Fouille au corps de la suspecte par le flic

Dresser un portrait de Jerry Goldsmith comme un compositeur ayant choisi le succès et les paillettes hollywoodiennes grâce à une once de talent serait d'une rare sottise. Aussi rare que la solide formation académique du compositeur ; piano à six ans, contrepoint et composition à 14, direction avec son mentor, Miklós Rózsa, Jerry Goldsmith ayant été fasciné par la B.O.F. pour la Maison du Dr Edwards de Hitchcock issue de la plume du maestro et compositeur hongrois. Techniquement, Jerry Goldsmith ne s'imposera aucune barrière, maîtrisant toutes les formes : la tonalité, le dodécaphonisme, la polyrythmie ; un héritier sans frontière des post-romantiques, de Stravinsky, de Schoenberg, des confrères travaillant dans l'univers contemporains, mais sans le snobisme de mise dans certains milieux… Écoutez les B.O de Total Recall et celle de ce jour, une opposition entre un thriller de SF survolté vs un thriller érotique et pernicieux, composées avec deux ans d'écart. L'exercice révèle à merveille le large spectre d'inventivité mélodique, rythmique et orchestral, sans limite de la part du musicien.

À l'instar d'un Ravel ou d'un Varèse, Jerry Goldsmith étend l'effectif de l'orchestre moderne déjà très varié depuis Strauss ou Mahler en intégrant l'électronique ou des instruments exotiques extrême-orientaux ou aborigènes : rhombe, cuica, serpent (voir Berlioz), didgeridoo, blaster beam, waterchimes, ustensiles de cuisine, piano préparé à la mode John Cage ; je vous laisse chercher tous ces "gadgets" sur le web… c'est fascinant.

Dans les années soixante, les producteurs de la série "la quatrième dimension", première série culte mélangeant SF et fantastique, font appel à ses services. Il en gardera un attrait pour les B.O. de films étranges pour ne pas dire horrifiques : La malédiction de Richard Donner comportant une cantate diabolique chantée en latin (deux oscars), Alien le 8ème passager. En fait un catalogue dément dans lequel s'entrecroisent les musiques de L.A. Confidential, Papillon, Patton, La Canonnière du Yang-Tsé, Chinatown, etc.

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Roxy câline Catherine ?

Paul Verhoeven débute à Hollywood par deux films de SF : Robocop et Total Recall. Ce n'est guère son registre, encore moins ses thématiques, même si leurs réalisations marquées un tantinet du sceau US Marvel, témoignent d'une maîtrise de la mise en scène agressive acquise dans sa première période néerlandaise. Son dernier film avant le départ pour la cité des anges, La chair et le sang, confirmait ses obsessions : la violence, le sexe, la morale imposée mais trahie par les religions… Un univers psychanalytique, une fascination pour la transgression… deux dimensions essentielles rencontrées plus tard dans Basic Instinct

Robocop et Total Recall assurent une transition acceptable dans la pudibonde Amérique. Ces films d'actions déroutent ses fans mais Verhoeven obtient une reconnaissance d'emblée du public Yankee friand du genre.

Basic Instinct sera un film controversé pour son impudeur provocante et son scénario labyrinthique dans lequel les personnages, envoutés par leurs pulsions sexuelles déviantes, tissent une toile vénéneuse de relations sadomasochistes. Les personnages évoluent dans un cluedo dont les armes sont bisexualité, séduction et érotisme fantasmés, meurtre érigé comme pratique d'offrir ou conquérir la jouissance… l'amour déserte les cœurs pour posséder les corps au sens satanique… Des joyeusetés perverses dans les draps en satin et les voitures de luxe…

Je ne raconte pas l'intrigue en détail. Présentons les personnages et quelques scènes significatives du climat oppressant du film, la musique de Jerry Goldsmith n'étant en rien descriptive ou chorégraphique, elle aurait pu l'être.

 

Le générique est d'une exceptionnelle habileté visuelle et musicale. 





Nick consulte Beth ?

À l'écran, un kaléidoscope de polygones formant une mosaïque mouvante nous hypnotise, la suggestion recherchée est évidente : des corps à la peau mordorée s'entremêlent sensuellement, une image morcelée et chaste à travers ce vitrail fragmenté. Jerry Goldsmith nous enveloppe d'une mélodie charnelle et ambiguëe enchaînant des motifs voluptueux. L'orchestration accompagne à merveille l'étreinte géométrisée : une légère rythmique au xylophone et à la harpe, deux motifs énigmatiques de quatre puis cinq notes aux cordes qui suivent l'oscillation d'une belle femme blonde et sculpturale chevauchant son amant et que l'on découvre à [2:06] après le défilé du casting. Le piano intervient pour colorer ce qui semble une banale partie de jambes en l'air. Une scène de charme torride dans un appartement d'un luxe époustouflant quoique tape-à-l'œil. La belle attache avec détermination les mains de l'homme avec un carré Hermès (à ce prix là !). [2:45] L'orgasme approche, la femme se cambre, saisit un pic à glace chromé dissimulé dans le couvre-lit et… ! La B.O. participe totalement au passage d'une séance de plaisir au sacrifice sanglant du prince par une déesse du mal ; un crescendo d'arpèges de plus en plus suffocants nous a préparés à l'indicible, un fracas grinçant de percussions accompagne le sang qui gicle.

On peut parler de musique à leitmotive. Les deux thèmes pulsatifs initiaux parcourent toute la partition. Une répétition qui accentue l'ambiance obsessionnelle de ce drame de la luxure et du mensonge. Goldsmith utilise une méthode peu usuelle de thèmes et variations, variations sur l'orchestration et non sur la thématique, donc le flot musical reptilien ne devient ni lancinant ni entêtant. Obsédant ? C'est sûr !  

La meurtrière dont les cheveux cachent le visage est-elle Catherine Tramell (Sharon Stone), romancière de polar aux sujets disons prémonitoires (brr), une beauté ensorcelante pleine aux as, arrogante, cynique, présomptueuse, nymphomane, etc.. La dernière nymphe blonde à avoir rencontré la victime dans un night-club sulfureux peu avant le crime. La victime ? Johnny Boz, un rockeur déchu, mais dont le patrimoine sert de tirelire lors des campagnes électorales du Maire de San Francisco pressé de voir boucler l'enquête…

Catherine sera la suspecte N°1 lors de l'enquête dirigée par Nick Curran (Michael Douglas). Nick, en plus d'enquêter sur Catherine la manipulatrice, la poursuivra de ses assiduités, Nick, le névrosé brisé par une bavure mortelle… Que penser du Dr. Elisabeth Garner dite Beth (Jeanne Tripplehorn) qui a transmis à Nielsen, un flic pourri, le dossier de la psychothérapie qu'elle a menée avec Nick. Entorse déontologique, Nielsen le revendra à Catherine pour nourrir la trame de son prochain roman… Ô, Beth a connu de (très) près Catherine à la fac… N'oublions pas Roxy (Leilani Sarelle), jolie lesbienne, jalouse compulsive, et qui pimente à sa manière les libertinages de Catherine… Ah les braves gens ! Et spoiler

 

Bref, vous voyez l'ambiance, entre les vivants malsains et les morts de manière inexpliquée, Goldsmith nous enveloppe d'une aura musicale glaçante, érotisante et franchement flippante… Les scènes d'action donnent lieu à de chouettes délires percussifs😬.

Il existe un CD de 44 minutes et un collector hors de prix de 2 CDs un peu longuet et que nous pouvons écouter maintenant :



1 commentaire:

  1. Film mythique d'une époque elle-même mythique, celle de mon adolescence. Regrets éternels...

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