- Un papier bande-originale Claude ? Bigre, le dernier que tu m'avais
fait publier en 2020 était déjà de Jerry Goldsmith pour Total Recall,
déjà de Paul Verhoeven, déjà avec Sharon Stone très athlétique, déjà
deux ans… Elle est chouette mon anaphore !! He he…
- C'est ça Sonia, crâne avec des mots rares ma belle… Pourtant tu as
tout à fait raison… Cela dit, même équipe (en partie) et vraiment deux
films complétement différents, et cela est un euphémisme… hihi…
- Donc une musique moins blockbuster je suppose, voire inquiétante et
vénéneuse, mais tu ne commentes pas le film en tant que tel, pour
introduire une prétérition dans mon propos, pfffff car le cinéma est le
domaine de Luc…
- Bordel Sonia (vulgarité langagière), t'as suivi un cours de rhétorique
rédactionnelle ou quoi, on fait un concours ?
>hihi
hihi hihi hihi
- Ça peut lui donner une idée, il ne l'a jamais présenté, je ne sais pas
s'il aime ce film qui divise les cinéphiles ?
Atchoum…
Atchoum…
Atchoum…
Atchoum…
- À tes souhaits Claude, un coup de froid ?
- Non la poussière dans les bureaux, pas une épiphore involontaire…
On arrête de se poiler Sonia avec du vocabulaire snob, et on plonge
dans le glauque, la musique flippante d'un thriller érotique.
Jerry Goldsmith |
Rares sont les musiques de films autonomes de grande qualité. Je veux
dire par là, en reprenant la conclusion de Sonia dans son billet improvisé
il y a deux ans, des musiques d'une forme proche des grands poèmes
symphoniques dramatiques ou épiques du répertoire classique. Je parle de
suite symphonique ou de morceaux de styles divers mais possédant une unité
expressive en rapport avec l'esprit du film. Quelques exemples :
Pelléas et Mélisande de
Schoenberg pour les tragédies amoureuses ou
Une vie de héros
de
Richard Strauss
dans un genre plus épiques… On trouvera beaucoup d'exemples… Je vous
renvoie à un de mes papiers, celui sur la musique aussi énigmatique que le
film qu'elle illustre, à savoir la partition d'Angelo Badalamenti pour Mulholland Drive de
David Lynch
(Clic). Du même compositeur, nous avions écouté celle appartenant à la première
catégorie, une mélancolique suite orchestrale pour un bijou, évidement de
David Lynch, mais beaucoup moins ésotérique et alambiqué que ses œuvres habituelles,
une histoire simple, humaniste et poétique : Straight Story.
(Clic)
Les compositeurs de musiques de films, à plein temps ou ajoutant cette
activité à celle plus académique de l'écriture de musique classique
supposée plus savante, ont longtemps été considérés comme formant une
communauté extérieure à l'art musical, celle des tâcherons du solfège.
Depuis le début du siècle, cet ostracisme prend du plomb dans l'aile et
les plus imaginatifs atteignent le statut de compositeur dans un genre né
avec le cinéma parlant… et même avant.
Un whisky ? |
Un virage, facilement 180°, dans l'intérêt pour les musiques de films
haut de gamme a eu lieu depuis le début du siècle. Premier temps, le
disque se réapproprie les hits du genre ; quelques exemples : en
2005, le chef et compositeur
Esa-Pekka Salonen
directeur de la
Philharmonie de Los-Angeles
gravait une anthologie des illustrations sonores de Bernard Hermann pour
les films d'Hitchcock, de Psycho à Vertigo en passant
par Pas de printemps pour Marnie, mais aussi pour d'autres
réalisateurs, Martin Scorsese, Taxi Driver. Un orchestre de
Tchéquie,
City of Prague Philharmonic Orchestra
fondé en 1947 près des studios s'est spécialisé dans le
réengistrement de bandes originales récentes ou anciennes :
James Bond depuis Dr No jusqu'à Skyfall, 24 titres
sur 2 LP. On y croise
John Barry
douze fois (Clic), fondateur du thème mythique, mais aussi
David Arnold
et, en dernier, la génération Daniel Graig,
Hans Zimmer. Excellent enchaînement après la présentation d'une discographie
rafraîchie dans laquelle
John Barry
côtoie
Beethoven. La musique de
Hans Zimmer
pour Gladiator a été donnée au Zenith en live : écran géant,
orchestre symphonique et chœur ; le grand jeu !
On pourra préférer les vraies B.O. d'origine même anciennes, les bandes
optiques suavement nasillardes. Ah les éclats guerriers de l'intro des
7 mercenaires d'Elmer Bernstein. Dans ce domaine, mes coups de cœur étant entre autres :
Ben-Hur de
Miklos Rosza
(2 CD mais difficile à trouver) et un pot-pourri d'extraits musicaux des
films de Bogart ; majoritairement de
Max Steiner, un auteur prolifique avec en tête d'affiche
Autant en emporte le vent – alors là les amis, original obligé
comme la B.O de
Victor Young
pour Johnny Guitare avec la voix sensuelle de
Peggy Lee… Bon j'arrête, je vais écrire encore un pensum.
Dernière remarque. Qui ne connaît pas
John Williams, 90 balais en février. En vrac : la plupart des films de
Speilberg, La Saga de la guerre des étoiles, un passage à
Poudlard, au moins 120 B.O sans compter les ouvrages de musique
classique, des concertos, etc. Allez fureter sur Wikipédia, 60 ans de
carrière. Et la récompense suprême ces dernières années : en 2020, le
vieux mais vaillant maître est invité par la
Philharmonie de Vienne, l'un des 3 ou 4 meilleurs orchestres de la planète (réputé pour être
aussi un peu guindé). 18 titres en DVD (13 en CD 😕) extraits de son
immense catalogue avec en violon solo
Anne-Sophie Mutter
! (Virtuose de l'archet avec laquelle il a gravé son
concerto N°2
à Boston). Pas de jaloux,
John Williams, a récidivé en octobre 2021 pour trois soirées avec la
Philharmonie de Berlin. Des concerts culte captés pour DG.
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Fouille au corps de la suspecte par le flic |
Dresser un portrait de Jerry Goldsmith comme un compositeur ayant choisi le succès et les paillettes hollywoodiennes grâce à une once de talent serait d'une rare sottise. Aussi rare que la solide formation académique du compositeur ; piano à six ans, contrepoint et composition à 14, direction avec son mentor, Miklós Rózsa, Jerry Goldsmith ayant été fasciné par la B.O.F. pour la Maison du Dr Edwards de Hitchcock issue de la plume du maestro et compositeur hongrois. Techniquement, Jerry Goldsmith ne s'imposera aucune barrière, maîtrisant toutes les formes : la tonalité, le dodécaphonisme, la polyrythmie ; un héritier sans frontière des post-romantiques, de Stravinsky, de Schoenberg, des confrères travaillant dans l'univers contemporains, mais sans le snobisme de mise dans certains milieux… Écoutez les B.O de Total Recall et celle de ce jour, une opposition entre un thriller de SF survolté vs un thriller érotique et pernicieux, composées avec deux ans d'écart. L'exercice révèle à merveille le large spectre d'inventivité mélodique, rythmique et orchestral, sans limite de la part du musicien.
À l'instar d'un
Ravel ou d'un
Varèse,
Jerry Goldsmith
étend l'effectif de l'orchestre moderne déjà très varié depuis
Strauss ou
Mahler en intégrant l'électronique ou des instruments exotiques
extrême-orientaux ou aborigènes :
rhombe,
cuica,
serpent (voir
Berlioz), didgeridoo,
blaster
beam,
waterchimes,
ustensiles de cuisine,
piano préparé à la mode
John Cage
; je vous laisse chercher tous ces "gadgets" sur le web… c'est
fascinant.
Dans les années soixante, les producteurs de la série "la quatrième dimension", première série culte mélangeant SF et fantastique, font appel à ses
services. Il en gardera un attrait pour les B.O. de films étranges pour ne
pas dire horrifiques : La malédiction de
Richard Donner comportant une cantate diabolique chantée en latin
(deux oscars), Alien le 8ème passager. En fait un
catalogue dément dans lequel s'entrecroisent les musiques de
L.A. Confidential, Papillon, Patton,
La Canonnière du Yang-Tsé, Chinatown, etc.
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Roxy câline Catherine ? |
Paul Verhoeven débute à Hollywood par deux films de SF :
Robocop et Total Recall. Ce n'est guère son registre, encore
moins ses thématiques, même si leurs réalisations marquées un tantinet du
sceau US Marvel, témoignent d'une maîtrise de la mise en scène agressive
acquise dans sa première période néerlandaise. Son dernier film avant le
départ pour la cité des anges, La chair et le sang, confirmait ses
obsessions : la violence, le sexe, la morale imposée mais trahie par les
religions… Un univers psychanalytique, une fascination pour la
transgression… deux dimensions essentielles rencontrées plus tard dans
Basic Instinct…
Robocop et Total Recall assurent une transition
acceptable dans la pudibonde Amérique. Ces films d'actions déroutent ses
fans mais Verhoeven obtient une reconnaissance d'emblée du public
Yankee friand du genre.
Basic Instinct sera un film controversé pour son impudeur
provocante et son scénario labyrinthique dans lequel les personnages,
envoutés par leurs pulsions sexuelles déviantes, tissent une toile
vénéneuse de relations sadomasochistes. Les personnages évoluent dans un
cluedo dont les armes sont bisexualité, séduction et érotisme fantasmés,
meurtre érigé comme pratique d'offrir ou conquérir la jouissance… l'amour
déserte les cœurs pour posséder les corps au sens satanique… Des
joyeusetés perverses dans les draps en satin et les voitures de luxe…
Je ne raconte pas l'intrigue en détail. Présentons les personnages et
quelques scènes significatives du climat oppressant du film, la musique de
Jerry Goldsmith
n'étant en rien descriptive ou chorégraphique, elle aurait pu l'être.
Le générique est d'une exceptionnelle habileté visuelle et
musicale.
Nick consulte Beth ? |
À l'écran, un kaléidoscope de polygones formant une mosaïque mouvante nous hypnotise, la suggestion recherchée est évidente : des corps à la peau mordorée s'entremêlent sensuellement, une image morcelée et chaste à travers ce vitrail fragmenté. Jerry Goldsmith nous enveloppe d'une mélodie charnelle et ambiguëe enchaînant des motifs voluptueux. L'orchestration accompagne à merveille l'étreinte géométrisée : une légère rythmique au xylophone et à la harpe, deux motifs énigmatiques de quatre puis cinq notes aux cordes qui suivent l'oscillation d'une belle femme blonde et sculpturale chevauchant son amant et que l'on découvre à [2:06] après le défilé du casting. Le piano intervient pour colorer ce qui semble une banale partie de jambes en l'air. Une scène de charme torride dans un appartement d'un luxe époustouflant quoique tape-à-l'œil. La belle attache avec détermination les mains de l'homme avec un carré Hermès (à ce prix là !). [2:45] L'orgasme approche, la femme se cambre, saisit un pic à glace chromé dissimulé dans le couvre-lit et… ! La B.O. participe totalement au passage d'une séance de plaisir au sacrifice sanglant du prince par une déesse du mal ; un crescendo d'arpèges de plus en plus suffocants nous a préparés à l'indicible, un fracas grinçant de percussions accompagne le sang qui gicle.
On peut parler de musique à leitmotive. Les deux thèmes pulsatifs
initiaux parcourent toute la partition. Une répétition qui accentue
l'ambiance obsessionnelle de ce drame de la luxure et du mensonge.
Goldsmith
utilise une méthode peu usuelle de thèmes et variations, variations sur
l'orchestration et non sur la thématique, donc le flot musical reptilien
ne devient ni lancinant ni entêtant. Obsédant ? C'est sûr
!
La meurtrière dont les cheveux cachent le visage est-elle
Catherine Tramell (Sharon Stone), romancière de polar
aux sujets disons prémonitoires (brr), une beauté ensorcelante pleine aux
as, arrogante, cynique, présomptueuse, nymphomane, etc.. La dernière
nymphe blonde à avoir rencontré la victime dans un night-club sulfureux
peu avant le crime. La victime ? Johnny Boz, un rockeur déchu, mais
dont le patrimoine sert de tirelire lors des campagnes électorales du
Maire de San Francisco pressé de voir boucler l'enquête…
Catherine sera la suspecte N°1 lors de l'enquête dirigée par
Nick Curran (Michael Douglas).
Nick, en plus d'enquêter sur Catherine la
manipulatrice, la poursuivra de ses assiduités, Nick, le
névrosé brisé par une bavure mortelle… Que penser du
Dr. Elisabeth Garner dite Beth (Jeanne Tripplehorn) qui a transmis à Nielsen, un flic pourri, le dossier de la psychothérapie qu'elle a menée avec Nick. Entorse déontologique, Nielsen le revendra à Catherine pour nourrir la trame de son prochain roman… Ô, Beth a connu de (très) près Catherine à la fac… N'oublions pas Roxy (Leilani Sarelle), jolie lesbienne, jalouse compulsive, et qui pimente à sa manière les
libertinages de Catherine… Ah les braves gens ! Et spoiler…
Bref, vous voyez l'ambiance, entre les vivants malsains et les morts de
manière inexpliquée,
Goldsmith
nous enveloppe d'une aura musicale glaçante, érotisante et franchement
flippante… Les scènes d'action donnent lieu à de chouettes délires
percussifs😬.
Il existe un CD de 44 minutes et un collector hors de prix de 2 CDs un
peu longuet et que nous pouvons écouter maintenant :
Film mythique d'une époque elle-même mythique, celle de mon adolescence. Regrets éternels...
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