mercredi 9 février 2022

Gildas ARZEL " Gildas Arzel " (1997), by Bruno



     En France, au pays des fromages qui puent, on a des artistes et des musiciens fantastiques. Des personnes chargées à bloc de talent. Hélas, l'histoire se répète, mais ce ne sont pas impérativement les plus connus - chez nous - qui sont nécessairement les plus méritants. Certains, pour on ne sait quelles raisons valables, restent dans l'ombre. Outre Sim qui aurait pu supplanter Patrice Dupont - voir sa superbe prestation de "La Libellule" -, il y a Gildas Arzel.


   Gildas Arzel, bien que né en Alsace en 1961, est un Breton de sang et de cœur - ses parents sont des Bretons pure souche. Son parcours est relativement atypique, car son père travaillant pour de grandes sociétés de travaux, il entraîne sa famille en Syrie, puis au Pakistan où Gildas s'initie aux instruments à cordes, et à la Réunion. Ce chemin impose à Gildas une certaine ouverture d'esprit, ce qui va aussi se ressentir sur sa musique. Avec son frère, Gwenn, ils décident de se mettre sérieusement à la guitare électrique. Tous deux sont férus de musique celtique - du moins celle considérée comme telle dans les années 70 - et ils s'immergent dans la musique d'Alan Stivell, où ils étudient avec attention les soli de Dan Ar Braz. Tout en se délectant de la musique Rock.

     Pour les frérots, le retour en France, à Marseille, annonce le début des choses sérieuses. Ils s'acoquinent avec trois Phocéens et montent un groupe, Alenda, où Gildas assure le chant et la guitare (avec Jacques Veneruso). Entre-temps, Gwenn est passé à la batterie. Après quelques années à se produire dans le sud, sans jamais avoir l'opportunité d'enregistrer, ils décident d'émigrer à Paris. Là, le quintet devient quatuor et change de nom pour Canada. Le groupe est signé par EMI et après deux 45 tours passés inaperçus, trouve le succès avec "Mourir les Sirènes". Un morceau assez proche de l'univers de J.J. Goldman, si ce n'est la voix de Gildas, qui fait la différence avec son timbre légèrement enroué et les cornemuses en clôture, ouvrant la porte sur ses affinités celtiques. Instruments imposés par Gildas en dépit des protestations de la maison de disques (et certains membres du groupe ?) ; chaque camp restant fermement sur ses positions, jusqu'à ce que, au bout de quelques mois, le label plie. C'est un succès, et même Gildas n'en espérait pas tant. Un succès qu'il regrette un peu, d'une certain façon, car on aura tôt fait de cataloguer Canada comme un groupe de variétés, très vaguement rock, plus orienté ados ; alors que le groupe voit plutôt leur musique comme un brassage des genres, allant de la variété française au rock américain en passant par quelques bribes de musique celtique. Un titre comme "Bouge Ma Vie" flirte même avec le Southern-rock avec des pétarades de guitares à tous les coins.


   Malgré quelques nouveaux petits succès et un album chiadé en 1988, et une notoriété qui commence à s'étendre à un public adulte plus vaste, le groupe se sépare courant 1989-90. Pour divergence musicale mais en bons termes. Le grand frère, Gwen quitte le milieu musical, Jacques Veneruso rejoint Florent Pagny et Erick Benzi, Jean-Jacques Goldman avec qui le groupe avait sympathisé. Gildas est sollicité par Erick et Goldman pour venir jouer sur quelques morceaux sur le disque éponyme du "Fredericks Goldman Jones". Gildas reviendra occasionnellement apporter son talent de guitariste à Jean-Jacques. Tous les trois, Gildas, Erick et Jacques, gardent le contact et vont mutuellement s'entraider, collaborer, tout au long des années à suivre.

     Quand sort le premier disque solo d'Arzel, on comprend immédiatement sa vision, déjà par un durcissement de tonalité. Il ouvre les vannes, libérant un flux Rock qu'il semble avoir longtemps contenu. Plus tard, on l'entendra reprendre du Creedence Clearwater Revival, et même récemment du ZZ-Top. Le second, "Entrer dans la Danse", qui laisse entendre que Gildas a brisé nombre de chaînes qui le liaient encore au passé, confirme le penchant rock. 

     Enfin, en 1997, ses amis Benzi et Goldman le sortent de sa semi-retraite pour l'exhorter à enregistrer un troisième disque solo. Ce sera cet album. Un album éponyme, pour marquer un nouveau départ, ou pour ériger cette réalisation comme son œuvre ultime. Un aboutissement de deux décennies à chercher et à affûter un style. Un album de toute beauté, intemporel, inaltérable. Gildas a bien digéré ses influences, et a trouvé l'harmonie entre un heavy-rock-progressif vaguement bluesy, la musique dit celtique et une chanson française héritée de la décennie précédente. Pratiquement un truc à part ; un truc qui a de la personnalité.

     Totalement décomplexé, Gildas débute par un instrumental, "Brazebeck", aux notes torturées évoquant quelques landes mystérieuses envahies de froides brumes, plongeant le jour dans une semi-pénombre, d'où pourrait émerger des entités appartenant au petit peuple. Une revue dédiée aux guitares et basses n'avait pas hésité à comparer cet instant à El Becko. 


 Après ce hors-d'œuvre, "Au Cœur des Pierres Levées" impose un style quasiment neuf dans le paysage de l'hexagone. Plus que jamais, Gildas met en avant ses affinités celtiques, dans une tonalité finalement pas très éloignée de ce qu'a fait précédemment Dan Ar Braz avec "L'héritage des Celtes". Toutefois dans une approche nettement plus Rock. Parfois même un poil heavy, avec des soli mordants enrobés d'overdrive crémeuse, et une batterie souvent bien marquée. Si le précédent essai est enveloppé de l'ombre d'un Steve Lukather et de son Toto - parfois nuancée par Mark Knopfler -, là, dans les grandes lignes, c'est bien par celle de Jeff Beck. Rien de dithyrambique, juste une constatation. En l'occurrence, Gildas a développé un jeu de funambule, à l'expressivité à fleur de peau traduite par des notes tourmentées au vibrato ou par de puissants bends, le tout exacerbé par une grosse overdrive veloutée. On pourrait décrire son jeu comme une fusion entre Gilmour, Billy Gibbons (1), Beck et Lukather. Rien que ça. Et autant dire que chacune de ses interventions est un pur régal pour les esgourdes.
Et pas seulement en électrique, comme l'atteste l'interlude acoustique "Nolwenn", doux voyage onirique aux couleurs pastel, proche du meilleur de Pierre Bensusan. Il s'agit ici d'une composition de Nicolas Yvan Mingot, homme de l'ombre qui a récemment accompagné Malicorne (de 2013 à 2017) et qui participe, aux côtés de deux ex-Canada, Erick Benzi (producteur et compositeur) et J. Veneruso, aux deux premiers opus français d'Anggun.

   "Frappent les Vaguesest aussi dans la continuité de ce Heavy-pop-rock / Rock-FM musclé aux capiteux parfums celtiques. Deuxième single après "Au cœur des Pierres Levées", il ne parvient par à réitérer le succès du premier.


   Profitant d'une production ad hoc, Gildas reprend quatre de ses anciens morceaux pour les magnifier. En faire une version certes proche de l'originale, mais dont les nuances et l'interprétation en donnent ici une achevée, définitive. A commencer par "Prends ma Main", issu de son premier long-player "Les Gens du Voyage", où l'on remarque que Gildas a cette faculté de savoir insérer ses mots dans la musique - ou l'inverse - ; les uns se nourrissant de l'autre, ou s'appuyant l'un sur l'autre afin de gagner mutuellement en force et en impact. En fait, apparemment, c'est un amoureux des sons qui, tel un peintre avec sa palette, joue avec les tonalités, les timbres et les couleurs pour échafauder un paysage, un monde. Avec un penchant pour les natures oniriques, nostalgiques, légendaires, voire bucoliques. Généralement dans un élan d'optimisme, de conciliation et d'amour. 

   Toujours dans ses reprises enjolivées, la très belle et délicate ballade acoustique "Avant de t'Aimer", où il semble ne raconter qu'une simple tranche de vie. Et où, pourtant, il parvient à communiquer un sain et doux moment de paix et d'amour. "Oh que j'aime cet instant d'été, j'en ferais bien une éternité, ce moment avant les étoiles, juste avant de t'aimer". "Comme ça tu sais", qui délivre des sonorités plus charnues, proche d'un rock US chiadé et un poil heavy - un peu entre "Afterburner" des trois barbus, "Love Over Gold" de Dire Straits et de Toto -, avec en sus pour le final, un assaisonnement "Spécial Arzel" à base de banjo et de vieux fantômes échappés de quelques légendes gaëliques oubliées. Et enfin "Et Tes Yeux Bleus", chanson sur les inquiétudes d'un parent pour son enfant fatalement soumis à un avenir dur ("...horaires imposés, avenir sérieux, cadeau empoisonné"), sentiment meurtrissant mais compensé par l'amour qu'il éveille. "... Et le reste du monde s'effondre quand je vois dans tes yeux, comme des perles de vie qui fondent. ... je n'entends que ces gouttes qui tombent et le temps fait ce qu'il veut"


   Gildas signe aussi une chanson avec son ami Jean-Jacques Goldman : "Oubliés du Ciel" résonne comme un chant traditionnel festif breton, ode aux marins intrépides, avec son tempo et son orchestration échappée d'une Fest Noz. Retour des cornemuses pour un expansif et glorieux final. On aurait pu clore le chapitre là-dessus, mais Gildas sort un dernier as de sa manche avec "Psalmodie". Si l'entrée ne matière de l'album, 
enrobée d'arrangements de studio, ne peut exister sans la fée électrique, le final lui, à l'inverse, est dépouillé, aride, cru, solitaire. Gildas, seul avec sa National, délivre un poignant country-blues ténébreux ; à croire que c'est carrément Chris Whitley qui a subrepticement incérer une de ses chansons. "Pour esclaves et maudits, comme salves de mots dits. Psilocybe, pseudonyme, l'antienne des psaumes des psycordes, des psalmodies"

     Il faudra attendre quatre années pour avoir une suite à ce précieux album éponyme, car "Autour de Nous", le quatrième essai, ne sort qu'en 2001. Pas aussi bon que son prédécesseur - bien difficile de faire mieux, ou même aussi bien -, prenant le partie de réduire un peu les guitares pour s'ouvrir plus sur la chanson, il mérite également d'être (re)découvert. Hélas, sa carrière s'arrête brusquement. Car l'année de la sortie de son quatrième disque, en septembre 2001, Arzel est victime d'un grave accident de la route qui l'oblige à quitter pour plusieurs mois le milieu musical. On le croit retiré, reclus, dégoûté des turpitudes du show-business. C'est avec le soutien d'amis musiciens, qu'il reprend doucement la scène. Avant de recommencer à écrire et composer.

     Enfin, un nouvel et dernier disque sort en 2015, "Greneville" (du nom du village où il réside), plus marqué par le Country-rock. Et là encore, on frappe dans l'excellence. Si on ne juge que par sa seule discographie, Gildas donnerait l'image d'un artiste qui prend son temps, pour ne pas dire qu'il use de paresse. Or, ce serait mal le connaître, car lorsqu'il met sa carrière en sommeil, c'est pour travailler pour d'autres musiciens et chanteurs. A commencer par ses amis Marseillais, les anciens camarades d'Alenda et Canada, Benzi et Veneruso, ainsi que J.J. Goldman et Michael Jones. Pêle-mêle, il a joué ou/et composé pour Nanette Workman, Gabriel Yacoub (Malicorne), Carole Fredericks, Céline Dion, Florent Pagny, Garou, Maurane, Johnny Halliday (qui ne manquait pas de l'inviter sur scène lorsqu'il était dans les parages où qu'il faisait sa première partie), Cyril Tarquiny / J.A.H.O., Y. Noah, Roch Voisine, Roger Hodson / Excalibur, et quelques autres. Plus des sessions pour quelques soli et chorus de guitares par-ci par-là. 

     Plutôt que de filer des médailles en grandes pompes à Tartempion, Trucmuche et compagnie, il serait bon de se rappeler de Gildas Arzel


(1) En 1994, Gildas fit la première partie de ZZ-Top pour sa tournée française.


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